Equipe de veille Europe de l’Est: Olga Cherkhuska, Khava Doudoucheva, supervisée par Clelia Frouté
7-8/02/2022 : Tournée de médiation du président français Emmanuel Macron à Moscou, Kiev et Berlin. – Olga Chekhurska –
Le 7 février, les présidents russe et français Vladimir Poutine et Emmanuel Macron se sont entretenus à Moscou. Les dirigeants ont discuté pendant un peu plus de 5 heures principalement au sujet de la crise ukrainienne et des tensions russo-occidentales.
Un certain nombre d’idées et de propositions du président français Emmanuel Macron «sont possibles pour jeter les bases d’avancées communes», a déclaré le président russe au cours d’une conférence de presse commune. Cependant, selon Poutine, les États-Unis et l’OTAN ont ignoré les points clés des propositions russes de garanties de sécurité. Néanmoins, le dialogue doit se poursuivre : la Fédération de Russie compte préparer et envoyer sa réponse aux documents reçus de Washington et de Bruxelles. Le dirigeant russe a souligné qu’en cas de conflit militaire entre Moscou et l’OTAN, “il n’y aura pas de gagnants” et que Moscou ne souhaite pas une telle évolution des événements et s’efforcera de trouver des compromis qui conviendraient à tout le monde. Quant à l’Ukraine, le président russe a appelé Kiev à commencer à mettre en œuvre les accords de Minsk par rapport auxquels «il n’y a [selon lui] pas d’alternative» pour régler la situation à l’est du pays, ce en quoi il s’est accordé avec son interlocuteur.
De son côté, Emmanuel Macron a déclaré que grâce au dialogue bilatéral, ils peuvent trouver des moyens «pour une voie pacifique et la stabilité en Europe». Il a souligné, tout en opposant “la Russie et les Occidentaux”, que la Russie a une «position forte» qui ne coïncide pas avec la position européenne sur les questions de l’OTAN et de l’Ukraine. Selon Macron, il faut en tenir compte et travailler pour éviter toute escalade, mais sans limiter les droits européens fondamentaux et les principes des accords des trente dernières années. «Il faut trouver de nouveaux mécanismes qui assureraient la stabilité. Nous avons essayé de trouver des points où nos positions convergent. Cela devrait se confirmer dans les jours à venir. Cela dépend des consultations avec les États-Unis, l’OTAN, les Européens et de notre rencontre avec le président Zelensky. Les prochains jours seront décisifs», a déclaré Emmanuel Macron.
Le 8 février, le dirigeant français s’est rendu à Kiev, où il a rencontré son homologue Volodymyr Zelensky. Lors d’une conférence de presse, Emmanuel Macron a déclaré que l’Ukraine et la Russie avaient confirmé leur intention d’agir en respectant les accords de Minsk. «Aujourd’hui, j’ai entendu cela de M. Zelensky, hier de M. Poutine». Emmanuel Macron a précisé que «la détermination partagée [à mettre en œuvre les accords de Minsk] est le seul chemin permettant de construire la paix». Le résultat de la rencontre entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky a été également la signature de plusieurs contrats, notamment entre Ukroboronprom et Thales, la fourniture à l’Ukraine de 130 locomotives Alstom et de matériel d’incendie et de secours. La France a également prêté 1,2 milliard d’euros à l’Ukraine.
Le soir même, a eu lieu la rencontre à Berlin avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président polonais, Andrzej Duda, toujours dans le but d’éviter une escalade en Europe. Les chefs d’Etat et de gouvernement du Triangle de Weimar (Allemagne, France et Pologne) ont souligné leur engagement à des efforts conjoints pour renforcer l’architecture de sécurité européenne et transatlantique. En même temps, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Andrzej Duda ont souligné que «toute nouvelle agression militaire russe contre l’Ukraine aura de graves conséquences et un prix élevé». Le chancelier et les présidents ont convenu que l’OTAN devrait «revoir en permanence sa stratégie de défense et de dissuasion». Les trois dirigeants ont déclaré leur soutien à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de cette dernière. Ils ont appelé à des efforts diplomatiques et ont soutenu le format Normandie dans la mise en œuvre des accords de Minsk.
11/02/2022 : Le Conseil de sécurité nationale et de défense d’Ukraine impose des sanctions contre la chaîne de télévision ukrainienne NASH. – Olga Chekhurska –
Lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale et de défense tenue le 11 février à Kharkiv, des sanctions ont été imposées à la chaîne de télévision NASH, ayant pour conséquence la fermeture de cette dernière. Les rumeurs selon lesquelles des sanctions pourraient être imposées à la chaîne de télévision NASH s’étaient intensifiées au début de cette année suite à l’annonce du ministère des Affaires étrangères britannique le 22 janvier 2022 d’une liste présumée de membres du “gouvernement d’occupation” à venir de l’Ukraine en cas d’invasion russe dont le chef présumé serait le fondateur de la chaîne NASH et ex-député Yevgeni Muraev. Le ministère des Affaires étrangères britannique a ainsi affirmé que les services de renseignement russes entretenaient des « liens avec de nombreux anciens hommes politiques ukrainiens » et « certains d’entre eux actuellement impliqués dans la planification d’une attaque contre l’Ukraine ».
La chaîne faisait déjà l’objet des nombreuses attaques des groupes d’extrême-droite, demandant sa fermeture, la dernière en date, après l’accusation de Londres, avait été organisée à l’extérieur des bureaux de la chaîne de télévision le 1 février 2022.
Alexei Danilov, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense, lors d’un briefing, a déclaré, sans fournir d’explications exacte,s que les sanctions de fermeture s’imposaient aux sociétés propriétaires de la chaîne : NASH 24, NASH 365 et NASHA Praha. Ce n’est pas la première fois que les chaînes de télévision ukrainiennes font l’objet d’une fermeture puisqu’en 2021, le Conseil de sécurité nationale et de défense a imposé des sanctions contre Taras Kozak, le propriétaire des chaînes de télévision ZIK, 112 et Newsone. Taras Kozak est aussi membre du parti d’opposition «Plateforme d’opposition – Pour la vie» et un proche allié d’un oligarque considéré comme pro-russe, Viktor Medvedtchouk.
10-12/02/2022: Avec crise ukrainienne en toile de fond, la Russie et la Biélorussie, Etats de l’Union, en pleines manœuvres stratégiques. – Khava Doudoucheva –
Le 10 février 2022, la Russie et la Biélorussie ont lancé les exercices militaires conjoints de deuxième phase de la “Résolution de l’Union 2022”, menés sur le côté sud et les frontières occidentales de la Biélorussie, donc près des frontières de l’Ukraine et de l’Union Européenne.
Pour rappel, les opérations militaires de la “Résolution de l’Union 2022” ont eu lieu en deux temps. Lors de la première phase, qui s’est déroulée jusqu’au 9 février, des troupes et d’énormes quantités de matériel militaire ont été transportées vers la Biélorussie, notamment depuis l’Extrême-Orient. Ce qui est très inhabituel pour un exercice militaire, selon les analystes. L’Otan a signalé que la Russie avait entre autres déployé des missiles tactiques Iskander dans la République du Bélarus. Le ministère de la Défense russe, quant à lui, a déclaré avoir envoyé des systèmes de missiles sol-air S-400 et des avions de combat Su-35. Ils ont affirmé que ces systèmes étaient uniquement destinés à tester les capacités de défense aérienne de la zone.
Puis dans cette même phase, l’inspection des forces de riposte des États de l’Union a été mise en place, consistant à déployer les équipements et à positionner les troupes au sein du territoire de la République du Bélarus. Selon les gouvernements des deux Etats de l’Union, ce sera uniquement dans le but d’organiser la protection et la défense de la frontière commune à l’Ukraine et à la Biélorussie.
La deuxième phase, quant à elle, a débuté le 10 février avec les manœuvres conjointes «Résolution de l’Union 2022». Le ministre russe de la Défense, Serguei Choïgou, a déclaré qu’au cours des exercices, «des taches visant à assurer la sécurité militaire de l’État de l’Union et à la lutte contre le terrorisme seront élaborées».
Le déploiement de ces soldats a été immédiatement dénoncé par la présidence ukrainienne, jugée comme un moyen de «pression psychologique» de la part de la Russie, qui aurait installé 30 000 soldats en Biélorussie ce mois-ci dans le cadre des exercices conjoints, et plus de 100 000 soldats près de sa propre frontière avec l’Ukraine depuis novembre. Alexandre Loukachenko a répondu à cela en assurant qu’une guerre ne se tiendra pas, « à moins que des nazis fous en Ukraine ne fassent une provocation ». En parallèle, ce dernier a précisé que la présence de ces troupes et de ces armements à leurs actuelles positions pourrait éventuellement servir contre l’Ukraine “si besoin devait se faire”.
Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, a jugé « incompréhensible » l’inquiétude des Occidentaux au sujet des manœuvres conjointes. La Russie a en outre annoncé l’arrivée en Crimée de six navires de guerre en vue de prochaines manœuvres en mer Noire, au cœur stratégique des tensions entre Moscou et Kiev. A savoir que la Russie et l’Ukraine sont cosignataires de la Convention de Montreux de 1936 qui réglemente la circulation vers et sur la Mer Noire par les détroits de Dardanelles et du Bosphore, en temps de paix et en temps de guerre, et en limite l’utilisation pour les Etats non-riverains. La Convention avait notamment permis de base légale pour la limitation de la présence de navires de l’OTAN sur la Mer Noire, les navires militaires de pays non-riverains ne pouvant naviguer sur ces eaux que pour une durée de 21 jours maximum. Cette convention a ainsi positionné la Turquie et la France (la France est dépositaire de la Convention de Montreux) comme médiateurs des tensions entre l’OTAN et les Etats de l’Union par voie de conséquence.
Ce samedi 12 février, des conversations téléphoniques se sont aussi tenues entre Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko. Les deux présidents des Etats de l’Union ont abordé la question des réactions des États-Unis et de l’OTAN aux propositions russes sur les garanties de sécurité et les compromis à négocier dans le cadre de la crise ukrainienne, a indiqué le Kremlin. Le service de presse du dirigeant biélorusse a confirmé ces déclarations.