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Affrontements militaires directs entre l’Iran et Israël, un tournant historique

L’Iran, en lançant une offensive directe sur le territoire israélien le 13 avril, a franchi un pas historique. Après plus de 40 ans de déstabilisation indirecte et l’utilisation de proxys pour mener à bien ses opérations contre Israël, la République Islamique a décidé d’engager directement ses propres capacités. Alors que cette décision laissait présager le début d’une escalade régionale, la réponse israélienne en Iran quelques jours plus tard n’a finalement pas été suivie par d’autres offensives.

 

Le samedi 13 avril, la République Islamique d’Iran a lancé une opération militaire baptisée « Promesse honnête » contre l’État d’Israël. Cette attaque a été rapidement revendiquée par l’intermédiaire du Corps des Gardiens de la Révolution : « En réponse à divers crimes du régime sioniste, notamment l’attaque de la section du consulat iranien à Damas et le martyre de certains commandants et conseillers militaires de notre pays en Syrie, l’armée de l’air du CGRI a ciblé des objectifs spécifiques à l’intérieur des territoires occupés en les frappant avec des dizaines de missiles et de drones. » Cette annonce est précisée par la représentation permanente de l’Iran aux Nations Unies, qui est allée plus loin en invoquant sa propre  perception du  respect du droit international et de la Charte des Nations Unies : « Conduite sur la base de l’article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense, l’action militaire de l’Iran répondait à l’agression du régime sioniste contre nos locaux diplomatiques à Damas. »

Dans la soirée, le Hezbollah libanais a emboîté le pas à son allié iranien, en revendiquant des frappes sur le plateau du Golan au nord d’Israël, tandis que les Houthis yéménites ont effectué un lancement de drones en direction du territoire israélien, en coordination avec l’offensive de l’Iran. D’après la compagnie de sécurité Ambrey, les cibles potentielles des drones étaient plusieurs ports israéliens.

Au-delà du fait que l’attaque soit présentée comme une simple réponse à une agression antérieure, Téhéran souhaite faire valoir ce qu’il considère être son plein droit depuis 1979, à savoir l’anéantissement de ce que le régime nomme régulièrement « l’entité sioniste ». La frappe israélienne à Damas constitue une opportunité importante pour pouvoir frapper directement le territoire israélien, tout en présentant cette opération comme une réponse proportionnée. Néanmoins, cette opération a naturellement déclenché les condamnations successives de nombreux États, ainsi que du Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres : «  Je condamne fermement la grave escalade que représente l’attaque à grande échelle lancée par l’Iran contre Israël. J’appelle à une cessation immédiate de ces hostilités. »

Historiquement, cette opération militaire marque un tournant dans le positionnement diplomatique et stratégique iranien. Depuis la révolution de 1979 et la mise en place du gouvernement de la république islamique khomeinienne, jamais l’Iran n’avait revendiqué une attaque directe sur le territoire d’Israël. La promotion de la destruction de l’État hébreu reposait essentiellement sur des menaces, des discours appelant à la mobilisation d’autres acteurs, et quand il s’agissait d’investir des forces militaires, un intermédiaire allié de Téhéran était systématiquement utilisé, limitant les affrontements avec Israël à une guerre par procuration. La livraison d’armes, le financement ainsi que l’assistance logistique à ces groupes impliquaient un affrontement à distance et limitaient les risques de réponses israéliennes sur le territoire iranien, au profit d’interventions de Tsahal sur des proxys présents en Syrie, en Irak et au Liban. Ce procédé permettait à la république islamique de ne pas risquer d’engager ses forces conventionnelle dans un conflit régional et évitait l’intervention d’une coalition internationale menée par des alliés occidentaux d’Israël.

Aussi, la fin du communiqué de la représentation permanente iranienne aux Nations Unies reflète l’entrée en terrain inconnu qu’impliquent les frappes sur le territoire israélien, et la crainte de voir les États-Unis prendre les devants pour porter assistance à son allié : « Il s’agit d’un conflit entre l’Iran et le régime voyou d’Israël, dont les États-Unis DOIVENT SE TENIR À L’ECART! ».

Le bilan des frappes iraniennes

Aux alentours de 10h30 dans la soirée, le porte-parole de l’armée israélienne Daniel Hagari a confirmé au cours d’un communiqué télévisé le lancement de drones et de missiles en provenance d’Iran et en direction du territoire israélien. Le lendemain, le journal Times of Israel rapporte l’information de Tsahal selon laquelle environ 99% des missiles ont été interceptés dans la nuit par des systèmes de défense aérienne. Une comptabilisation des équipements utilisés pour mener cette offensive a été également communiquée :  170 drones ont été identifiés sans aucun d’entre eux n’ait pu entrer dans l’espace aérien israélien, et tous ont été abattus avant leur arrivée aux frontières de L’État hébreu. De même pour les 30 missiles de croisières, dont 25 ont été détruits directement par les forces aériennes du pays. Enfin, parmi les 120 missiles balistiques utilisés par Téhéran, Daniel Hagari confirme que « Beaucoup d’entre eux ont été abattus par le système de défense aérienne à longue portée Arrow ». Ce système co-développé par les États-Unis et Israël, qui cible et élimine des missiles de courte et moyenne portée, a permis entre autre au système de défense israélien de faire preuve d’une efficacité quasi-parfaite.

Les dégâts subis s’élèvent finalement à des blessures graves subies par une petite fille de 7 ans dans un village bédouin israélien, ainsi que des détériorations matérielles mineures déclarées dans des infrastructures militaires au sud du pays. Cependant ces conséquences, bien que considérées minimes, ne sont pas proportionnelles à la dimension de l’attaque iranienne, qui d’après certains médias régionaux a été la plus grande offensive de drones de l’histoire. Aussi, malgré les pertes mineures subies par Israël, l’offensive constitue un tournant dans le statu quo fragile qui existait entre ces deux États.

Conséquences diplomatiques : l’échec de Téhéran pour isoler Israël

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a manifesté sa détermination de répondre à l’Iran et aux autres acteurs ayant l’intention de lui emboîter le pas : « J’ai établi un principe clair : quiconque nous fait du mal, nous lui ferons du mal. Nous nous défendrons contre toute menace et nous le ferons avec calme et détermination. » Ce positionnement s’inscrit dans la continuité des déclarations adoptées depuis les attaques du Hamas le 7 octobre 2023. En effet, la priorité du gouvernement israélien a été de manifester aux acteurs régionaux, mais également à la communauté internationale dans son ensemble, son engagement sans faille pour rétablir la sécurité de la population israélienne. Ce positionnement était récemment mis en difficulté par les nombreuses pressions diplomatiques émanant notamment de l’allié américain, qui multiplie depuis plusieurs semaines les demandes d’arrêt des combats entre Tsahal et le Hamas dans la bande de Gaza. Symboliquement plus fort que les déclarations officielles, les États-Unis ont pris la décision le 25 mars dernier de s’abstenir lors du vote d’une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies appelant à un cessez-le-feu et la libération des otages détenus à Gaza. Le refus d’approuver la résolution a en grande partie été justifié par l’absence de condamnation des agissement du Hamas dans le texte, comme la indiqué le Secrétaire d’État Anthony Blinken « Cette absence de condamnation du Hamas est particulièrement difficile à comprendre quelques jours après que le monde a de nouveau été témoin d’actes horribles commis par des groupes terroristes. » Néanmoins, la représentation américaine à New York n’a pas utilisé son pouvoir de veto, ce qui a provoqué un certain refroidissement avec l’allié israélien.

Après les attaques iraniennes du 13 avril, cette dynamique s’est interrompue et la diplomatie américaine a revu ses positions en réaffirmant un soutien diplomatique et matériel fort : un assistance de 17 milliards de dollars a été accordée à l’État hébreu, ainsi que 9 milliards de dollars d’aide humanitaire dans la bande de Gaza pour la population palestinienne. L’aide à Israël, contestée au sein du parti démocrate américain, à tout de même été approuvée par le président Joe Biden. L’offensive iranienne a donc, d’un point de vue diplomatique, poussé les États-Unis à réaffirmer son soutien et son investissement dans la région.

Pour l’Iran, l’intérêt d’une telle attaque, bien qu’en tenant compte des capacités de défense israélienne, s’avère multiple. D’une part si la possibilité d’atteindre et d’affaiblir directement Israël s’avérait toujours bénéfique aux yeux de Téhéran, le scénario d’une offensive inefficace aurait pu également être fructueux, car il minimise d’une part la responsabilité iranienne d’une telle attaque aux yeux des autres États, et pousse le gouvernement israélien à réagir d’une manière ou d’une autre face à une agression d’une telle ampleur. L’avantage prioritaire est sans doute de détériorer l’image d’Israël et de profiter du contexte de la guerre avec le Hamas, tout en continuant d’appliquer une pression militaire avec l’aide des alliés de l’ « Axe de la Résistance ». Dans cette perspective, le rapprochement américain avec Israël s’est avéré être un échec majeur dans la stratégie iranienne pour isoler son ennemi régional.

En revanche, en tenant compte du contexte sécuritaire interne iranien caractérisé par de nombreuses attaques subie sur son propre territoire et revendiqué par différentes forces opposées à la république islamique, l’opportunité d’une telle opération permet à l’échelle nationale de renforcer la légitimité du régime, et de se repositionner au premier rang de la résistance à l’ « oppression occidentale » aux yeux d’une partie de la population. Cette volonté de renforcer l’image des capacités militaires iraniennes a été exprimée par le Commandant en Chef des Armées Mohammed Bagheri, qui s’est félicité de l’offensive : «  Cette opération a montré un nouveau niveau de l’autorité de défense de la République Islamique des Forces Armées auprès de la communauté internationale ».

Au-delà de l’aide occidentale, le soutien saoudien et jordanien

Un autre paramètre permettant de supposer que l’offensive iranienne a été un échec réside dans la coopération de plusieurs États pour neutraliser les frappes. En effet, à l’ensemble des systèmes de défense utilisés par Tsahal s’ajoute une série d’assistances militaires menée par certains États voisins ou alliés pour abattre les missiles et drones se dirigeant vers Israël.

Au premier rang de ce soutien se trouve sans surprise Washington, dont l’United States Central Command responsable des opérations américaines au Moyen-Orient a annoncé avoir détruit environ 80 drones. Le Royaume-Uni, dont le Premier Ministre Rishi Sunak avait exprimé sa compassion et fermement condamné l’attaque iranienne, a annoncé par l’intermédiaire de son ministre de la Défense Grant Shapps : « En réponse à l’escalade dans la région et en partenariat avec nos alliés, le Premier ministre et moi-même avons autorisé le déploiement de moyens supplémentaires de la Royal Air Force. Les avions à réaction et les ravitailleurs de la RAF viendront renforcer l’opération Shader, l’opération britannique de lutte contre Daesh en Irak et en Syrie. En outre, ces avions intercepteront toute attaque aérienne dans le rayon d’action de nos missions existantes, le cas échéant. » Enfin, la France a également déployé ses capacités de défense dans la région, le Président de la République Emmanuel Macron ayant déclaré : « Depuis plusieurs années, nous disposons d’une base aérienne en Jordanie pour lutter contre le terrorisme. L’espace aérien jordanien a été violé… Nous avons fait décoller nos avions et nous avons intercepté ce que nous devions intercepter. »

Si l’assistance de ces trois États n’est pas une surprise, la coopération de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite est à mettre en avant. Un certain nombre de missiles ayant traversé l’espace aérien jordanien et se dirigeant vers la ville de Jérusalem ont été abattus par des chasseurs du royaume. Trois jours plus tard le 16 avril, le Ministre des Affaires Etrangères Ayman Safadi, a souhaité tempérer les observations soutenant l’idée que la Jordanie effectuait une assistance active à Israël : « Et permettez-moi d’être très clair : nous ferons de même, quelle que soit l’origine de ces drones. D’Israël, d’Iran ou de n’importe qui d’autre. Notre priorité est de protéger la Jordanie et les citoyens jordaniens. » Cette déclaration permet à la Jordanie de conserver un positionnement équilibré, et d’évite les potentielles contestations d’Etats hostiles à Israël. De plus, depuis le début de l’opération militaire israélienne à Gaza, le Royaume Hachémite a été un acteur central dans les vagues de contestation à l’encontre du gouvernement israélien, à l’image de la Reine Rania, qui a multiplié les condamnations contre L’État hébreu : « Il s’agit d’un meurtre de masse d’enfants au ralenti, qui dure depuis cinq mois. Des enfants qui s’épanouissaient et étaient en bonne santé il y a quelques mois à peine dépérissent sous les yeux de leurs parents. » Malgré des positionnements fermes illustrés par ces déclarations, l’aide apportée par la Jordanie lors de l’attaque iranienne indique une volonté de rétablir une certaine stabilité régionale, tout en réclamant la fin des combats à Gaza. La priorité du gouvernement, malgré un contexte diplomatique complexe avec le voisin israélien, demeure de minimiser le potentiel belligène iranien et d’éviter une escalade qui toucherait l’ensemble de la région.

Pour l’Arabie Saoudite, la coopération s’est traduite par l’utilisation de systèmes de défenses programmés pour abattre les projectiles entrant dans l’espace aérien saoudien. Le Royaume saoudien, qui avait officiellement normalisé ses relations avec l’Iran le 10 mars 2023 sous l’égide de la Chine, maintient également une posture d’équilibre et non une volonté de coopérer et assister Téhéran dans ses décisions. Au contraire, une potentielle normalisation israélo-saoudienne était d’actualité avant la guerre à Gaza déclenchée le 7 octobre dernier. Cependant, comme l’avait indiqué le ministre des Affaires étrangères saoudien en janvier dernier, un cessez-le-feu est demandé par Riyad pour pouvoir relancer le processus, ainsi qu’entre autre la reconnaissance d’un État palestinien aux côtés d’Israël. L’intervention saoudienne pour empêcher les missiles iraniens d’atteindre le territoire israélien coïncide avec ce positionnement, qui ne garantit aucun élément concret de normalisation pour Israël mais qui permet d’envisager une évolution des relations bilatérales dans le futur.

Pour l’Iran, la première offensive directe sur Israël se conclut donc sans changements majeurs dans les relations, officielles ou non, qu’entretiennent les États sunnites avec l’État hébreu, et favorise la méfiance et les tensions déjà présentes avec ces derniers.

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