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Actualité du Corridor Gazier Sud, le renouveau des relations balkano-caucasiennes

Le Caucase, ce sont les Balkans de l’Eurasie avait écrit Zbigniew Brzezinski1, conseiller à la sécurité nationale du président Carter de 1977 à 1981. Si comparaison n’est pas raison, on peut néanmoins relever les points communs entre ces deux aires géopolitiques. Ces territoires présentent des similarités géographiques du fait de la présence de hautes montagnes ; ils sont également de longue date des points de friction entre les empires turc et russe ; ils se présentent également comme deux mosaïques ethno-linguistiques et religieuses complexes mettant au défi une conception de l’État nation naturalisée et seule reconnue par les normes du droit international ; plus récemment c’est la reconnaissance occidentale de l’indépendance du Kosovo dans les Balkans qui a fourni une justification parfaite à la Russie pour soutenir l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud dans le Caucase, puis dans le Donbass, et renforcer ses liens avec la Serbie ; on sait aussi que les Arméniens sont arrivés en Anatolie à partir des Balkans vers 1200 av J.C ; ces deux aires géopolitiques sont animées par des conflits ethno-territoriaux qui ont connu une notable réactivation depuis la chute du bloc soviétique il y a une trentaine d’année seulement et elles sont marquées par un morcellement territorial y consécutif; et l’influence culturelle turque est prégnante sur l’ensemble de ces deux régions.

Les liens et les éléments engageant à la comparaison sont donc nombreux même si les problématiques de la mer Noire et de la mer Caspienne ne sont pas celles de la Méditerranée, que la diversité ethno-linguistique caucasienne est bien plus grande que celle des Balkans, et que l’environnement géopolitique immédiat est assez différent : si tous ces pays sont dans la zone d’influence turque, les deux régions sont marquées par une plus grande proximité de l’Union européenne pour l’une, et de l’Asie centrale, de la Russie et de l’Iran pour l’autre.

Mais ce sont plutôt des relations entre les pays de ces deux régions dont il sera question ici et plus particulièrement des relations avec l’Azerbaïdjan. En effet, les affrontements armés de la guerre ukrainienne déclenchés à partir de février 2022 ont donné une visibilité plus grande aux positions des uns et des autres par rapport au grand voisin russe. Des processus d’adhésion à l’Union européenne ont été relancés. Le jeu ambivalent de la Serbie a été mis en exergue, celui de l’Arménie tendant à sérieusement s’atténuer, du moins en apparence, depuis la fin de « la guerre de 44 jours » et les appels au secours restés sans réponse. Surtout des problématiques d’accès aux ressources énergétiques ont été révélées au grand jour qui ont permis un renouveau des relations balkano-caucasiennes qui sera ici abordé.

Car cette coopération en développement rend compte d’un autre point commun et probablement le plus important actuellement : tous ces pays sont situés sur un couloir de transport en développement allant de la Chine à l’Europe et pour lequel les tractations vont bon train, chacun voulant tirer avantage de sa position géostratégique. Un nouveau pont entre l’Europe et l’Asie tente de se frayer un passage au sud de la mer Noire par les Balkans2.

La guerre en Ukraine et le Corridor Gazier Sud

En juillet  2022, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, et Kadri Simon, la commissaire européenne à l’Énergie, se rendaient en Azerbaïdjan pour signer un nouveau protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie, comprenant « un engagement à doubler la capacité du corridor gazier sud pour livrer au moins 20 milliards de mètres cubes à l’UE par an d’ici 2027 » afin de contribuer aux « objectifs de diversification du plan REPowerEU » et aider l’Europe à « mettre fin à sa dépendance au gaz russe ». Ursula von der Leyen déclarait également « renforçons nos relations économiques et rapprochons nos peuples. La connectivité sera cruciale ici. L’UE veut travailler avec l’Azerbaïdjan et établir des liens avec l’Asie centrale et au-delà ». Le projet de protocole d’accord de la Commission daté du 11 juillet stipulait même que les deux parties devraient intensifier leurs actions pour réduire les émissions de méthane et étudier les possibilités d’interconnexions électriques et concernant le futur commerce de l’hydrogène. Cette coopération avait déjà été évoquée dès le 30 janvier 2022 par Josep Borell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à une période où la Russie limitait déjà ses livraisons de gaz à raison d’ une baisse de 25 % en glissement annuel au cours des trois derniers mois de 2021.

Dans la foulée, outre la visite du Premier ministre bulgare Kiril Petkov à Bakou quelques jours plus tard, soulignant l’existence d’ une ligne directe d’approvisionnement vers la Bulgarie le long du Corridor Gazier Sud, des échanges ont eu lieu avec l’Albanie, dont l’apport en électricité est essentiellement hydraulique. A l’occasion de son voyage le 15 novembre 2022, le premier d’un président azerbaïdjanais en Albanie, le président Aliev a rappelé aux côtés de son homologue Bayram Begay que les deux pays sont membres du projet TAP et déclaré que dans le cadre de l’accord avec l’UE «  ce gaz [passerait] par le territoire albanais, apportant ainsi un soutien et une contribution supplémentaires à la sécurité énergétique de l’Europe ». De même, il s’est dit prêt à investir dans l’établissement d’un réseau de gaz encore inexistant en Albanie, tout en soulignant leur appartenance commune à l’OTAN mais aussi le soutien albanais dans le conflit territorial qui l’oppose à l’Arménie. Quelques semaines plus tard, à l’occasion de la visite du Premier ministre albanais, Edi Rama, à Bakou, l’ouverture d’une ambassade à Tirana était annoncée.

Parallèlement en novembre 2022, l’Azerbaïdjan signait avec la Serbie3 7 accords bilatéraux, à l’occasion de la visite du président Ilham Aliev venu rencontrer son homologue Aleksandar Vucic le 23 novembre 2022. et les deux chefs d’État critiquaient ensemble et ouvertement le manque de respect du droit par les organisations internationales. En précisant « Nous avons beaucoup de choses en commun avec l’Azerbaïdjan, à commencer par le fait que nous préservons sans relâche notre intégrité territoriale » le président serbe établit un parallèle clair entre le Kosovo et le Karabakh. En qualifiant son homologue d’ « homme le plus populaire d’Europe » et en affirmant : « nous croyons plus en sa parole qu’en n’importe quelle signature », le président serbe abordait à l’occasion les nombreuses pistes de collaboration entre les deux pays : interconnexion entre la Serbie et la Bulgarie, transport d’électricité et projet européen reliant la Géorgie, la Roumanie, la Hongrie et l’Azerbaïdjan de câble sous-marin sous la mer Noire, jonction du réseau de transmission à la Roumanie et à la Hongrie. Début décembre, le président serbe, évoquait à nouveau «une connexion par gazoduc avec la Bulgarie sur la ligne Nis-Dimitrovgrad pour importer du gaz naturel d’Azerbaïdjan et du GNL de Grècdéclarant que «le gazoduc transadriatique (TAP) [serait] la deuxième plus grande source d’approvisionnement en gaz de l’Italie».

Tous ces projets ont été consciencieusement entretenus depuis l’été 2022 dans les Balkans occidentaux4 et avec les pays limitrophes. Les relations bilatérales de l’Azerbaïdjan avec les pays mentionnés font état d’une mise en balance de la fourniture énergétique avec le soutien de la position azerbaïdjanaise sur le plan international : on aura relevé le soutien albanais au Sommet de la Francophonie de Djerba ou les soutiens balkaniques à la tenue de la COP 29 en Azerbaïdjan par exemple.

Un projet aux multiples ramifications …

Pour rappel, le gazoduc transadriatique TAP de 878km partant d’Azerbaïdjan et aboutissant en Italie tout en passant par la Grèce5 et l’Albanie a été mis en service fin 2020 avec une capacité de 10 milliards de mètres cube par an et il en exportait déjà 8,1 milliards en 2021 dont 1,2 milliards pour la Bulgarie et la Grèce, tout en ayant une capacité d’expansion à 20 milliards de mètre cube par an. Son apport ne peut donc pas égaler les 158,5 milliards de mètres cubes exportés en 2020 par la Russie en Europe, soit 40 % de la fourniture européenne. L’Azerbaïdjan avait alors accepté d’exporter 4 millions de mètres cube par jour vers la Turquie pour le mois de février 2022, accord facilité par celui signé entre l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et l’Iran le 28 novembre 2021. Le CGS, devenu opérationnel le 31 décembre 2020, comprend Shah Deniz 2, extension du gazoduc du sud-Caucase, le gazoduc transanatolien (TANAP) et le gazoduc transadriatique (TAP).

Le 1er mars 2024 a vu le déroulement de la 10ème réunion ministérielle du Corridor Gazier Sud à Bakou durant laquelle le président Aliev a annoncé la livraison nouvelle de deux pays supplémentaires : Serbie et Hongrie rappelant que l’Azerbaïdjan livrait 8 pays dont 6 pays européens. Il a rappelé « le début de la production commerciale de gaz naturel du champ de gaz et de condensats d’Apchéron dans le secteur azerbaïdjanais de la mer Caspienne » deuxième plus grande découverte d’énormes gisements de gaz après Shahdeniz6, permettant une prévision de production annuelle de 1,5 milliard de mètres cubes durant la première phase du projet qui a débuté puis 4 à 5 milliards de mètres cubes supplémentaires durant la deuxième phase de mise en place. Un projet pour lequel la société émiratie ADNOC est devenue actionnaire en 2023. Mais il a également évoqué le projet de production de gaz naturel au premier trimestre 2025 à partir du projet de gaz profond Azeri-Chirag-Guneshli, dans lequel la société britannique BP est engagée, pour lequel un demi milliard de mètre cube supplémentaire est escompté ainsi qu’une augmentation de 3 à 5 fois supérieure dans les années suivantes. Le projet de câble vert sous la mer Noire a également été évoqué qui permettrait d’exporter vers l’Union européenne l’énergie solaire et éolienne produite dans le pays, notamment par la première grande centrale solaire azerbaïdjanaise d’une capacité de 230 mégawatts, construite par l’émirati Masdar avec la participation du saoudien ACWA. L’Azerbaïdjan compte ainsi produire jusqu’à 5 000 mégawatts ou 5 gigawatts d’énergie solaire et éolienne jusqu’en 2030. De même, des projets éoliens en mer Caspienne sont prévus. Occasion pour Kadri Simon de faire un bilan depuis « les premiers flux de gaz azerbaïdjanais vers l’UE le 31 décembre 2020 » : une augmentation des flux de 46 % entre 2021 et aujourd’hui, un apport de 11 milliards de mètres cube en 2023 de la part de l’Azerbaïdjan7, un travail en cours pour doubler cet apport d’ici 2027, un développement des projets d’énergies renouvelables et d’électrification et notamment un projet de câble sous la mer Noire.

L’interconnexion gazière Grèce Bulgarie IGB de 180km qualifiée de « révolutionnaire » par Ursula von der Leyen a été inaugurée en juillet 2022 entre Komotini et Stara Zagora, le protocole de Bucarest a été signé en décembre 2022 entre l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Hongrie et la Roumanie prévoyant la mise en place d’un câble sous marin de 1195 km sous la mer Noire, l’interconnexion gazière de 170km entre la Bulgarie et la Serbie a été inaugurée le 10 décembre 2023, un protocole d’accord a été signé à Sofia en avril 2023 concernant le projet Solidarity Ring réunissant Bulgarie, Roumanie, Hongrie et Slovaquie et un bureau de la SOCAR a été ouvert à Sofia, en novembre 2023 la Serbie signait avec l’Azerbaïdjan un accord concernant l’importation annuelle de 400 millions de mètre cube de gaz par l’opérateur serbe Srbijagas d’ici la fin de 20248, la gazéification de l’Albanie est en cours.

Le projet Soladirity Ring soutenu par l’UE prévoit l’extension de la capacité de la route allant de la Bulgarie à travers la Roumanie (points frontaliers Negru Voda 1 et 2 – Kardam et Ruse-Giurgiu) jusqu’à la Hongrie (point Csanadpalota) et la Slovaquie (point Balasagyarmat-Velké Zlievce) à 5–9,5 milliards de mètre cube chaque année. Ce projet coûterait 730 millions d’euros et serait terminé fin 2026. Il a été signé par la SOCAR, la compagnie pétrolière et gazière d’Azerbaïdjan, les ministres des différents pays concernés, et les sociétés de transport énergétiques des différents pays signataires Bulgartransgaz (Bulgarie), Transgaz (Roumanie), FGSZ (Hongrie), Eustream (Slovaquie).

La Roumanie, qui satisfait globalement à ses besoins énergétiques et qui a commencé des prospections en mer Noire en 2022 pour passer de 1 Giga mètre cube actuel à 10 Giga mètre cube en 2026, entend ainsi devenir un hub gazier régional en mesure de livrer du gaz à la Moldavie9 ou à l’Ukraine et ainsi contrebalancer les dépendances centre-européennes à la Russie10. Dès octobre 2022, la SOCAR avait signé avec la société roumaine ROMGAZ un protocole d’accord concernant un projet commun de GNL en mer Noire et signait en décembre 2022 sont premier contrat de livraison de gaz depuis l’Azerbaïdjan. La SOCAR exploitait déjà dans le pays une soixantaine de stations services. En février 2023, le président roumain Klaus Iohannis soulignait à Bakou l’existence de « très bonnes opportunités pour approfondir la coopération entre les ports de Bakou et de Constanta». De même la Bulgarie, déjà lié à l’Azerbaïdjan par un contrat de 25 ans pour l’apport d’1 Giga mètre cube de gaz par an couvrant 40 % des besoins du pays, qui est un acteur indispensable du projet et qui soutient également le projet Turkstream11 approvisionnant la région avec du gaz russe, entend également renforcer son rôle de transit mais escompte aussi une réduction des coûts de transport et donc du prix du gaz dans la région. La Hongrie, qui pourrait bénéficier de 2 milliards de mètre cube par an (20 % de sa consommation intérieure) voit, elle, la possibilité de diversifier ses apports gaziers sans renoncer à son contrat signé avec Gazprom en 2021 pour 15 ans représentant un apport de 4,5 milliards de mètre cube de gaz par an. Viktor Orban déclarait en janvier 2023 : «L’Azerbaïdjan est notre arme secrète pour la diversification dans le domaine de l’énergie » lors du voyage de son homologue à Budapest. La Slovaquie, qui a réduit sa dépendance énergétique vis à vis de la Russie de 85 % en 2021 et de 65 % en 2022, voit aussi d’un bon œil les retombées positives d’un tel projet.

Un autre projet est à souligner, le gazoduc Ionienne Adriatique IAP qui doit transporter le gaz azerbaïdjanais de l’Albanie vers la Croatie via le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine12. Une loi vient d’être votée en mars 2024 en Macédoine du nord13 pour un projet d’interconnexion gazière avec la Grèce entre Gostivar et Kicevo (37km) et Saint-Nicolas et Veles (28km).

Tous ces projets viennent réactiver, 20 ans plus tard, des projets anciens tels que Nabucco, initié en 2002, et d’autant plus soutenu par l’Union européenne suite à la coupure de l’approvisionnement russe suite à la crise russo-ukrainienne de 2009. Ce projet, visant à l’origine à relier l’Iran et les pays du sud-Caucase à l’Europe centrale, comprenait 3300 km de gazoduc et aurait permis d’être relié au réseau irakien et ou syrien. Il était le concurrent direct du projet russo-italien South Stream14 porté par Gazprom et Eni et également soutenu par la Turquie. Nabucco a été progressivement abandonné.

Le grand gagnant des nouveaux projets accélérés actuellement est l’Azerbaïdjan. Fin 2022, l’Azerbaïdjan se félicitait d’avoir accru ses exportations de gaz vers l’UE de 30 % dans l’année écoulée. En avril 2023, le Comité national des statistiques azerbaïdjanais estimait que les bénéfices de l’Azerbaïdjan avaient augmenté de 25 % grâce au transport par gazoduc en 2022. Mais aussi l’Union européenne qui a débloqué 17 milliards d’euros pour la construction du TANAP et du TAP à partir de 2009 et qui voit un projet de diversification d’approvisionnement se concrétiser ainsi que des perspectives d’importation d’énergie verte à plus long terme.

qui ne fait que changer sensiblement les dépendances européennes …

Plusieurs points de vigilance doivent être soulignés pour l’Union Européenne. D’abord, l’Azerbaïdjan qui poursuit une politique de non alignement, à la fois culturelle et ancrée dans ses traditions commerciales anciennes et liée à sa position géographique, est fourni partiellement en gaz russe pour sa consommation intérieure tandis qu’elle revend sa propre production gazière principalement à l’UE. De même que depuis novembre 2021 le Turkménistan fournit du gaz à l’Iran qui, lui, fournit l’Azerbaïdjan, (1,5 à 2 milliards de mètre cube par an). Cette stratégie pose les bases d’une coopération entre le Turkménistan et l’Azerbaïdjan qui pourrait, elle aussi, permettre d’alimenter plus encore l’Union européenne à l’avenir et elle permet à l’Azerbaïdjan, en assurant sa consommation interne avec du gaz iranien ou russe, de se placer comme interlocuteur privilégié de l’UE (plutôt que l’Iran ou la Russie) pour sa fourniture en gaz et d’obtenir des soutiens internationaux sur d’autres terrains, notamment celui du conflit avec l’Arménie, tentant ainsi de convertir la dépendance énergétique en dépendance politique. Un premier point de vigilance pour l’Union européenne.

L’UE devra aussi, si elle veut rester cohérente avec sa démarche, veiller à ce que ni le gaz russe ni le gaz iranien ne pénètre dans les Balkans. Mais tous ces projets actuels sont surtout largement dépendant de la relation que la Turquie, « pays frère » de l’Azerbaïdjan et par lequel transitent tous ces gazoducs, instaurera avec l’UE. La diversification de l’approvisionnement gazier de l’UE, tout en la détournant de la Russie, l’oblige vis à vis de son partenaire turc.

Au delà, ces projets sont tributaires plus exactement de la relation entre la Russie et la Turquie qui est faite de marchandage au cas par cas sur divers théâtres géopolitiques. Les investissements dans la production des énergies renouvelables produites en Azerbaïdjan, solaires et éoliens, ne sont pas non plus européens mais émiratis et saoudiens et il est attendu qu’ils transitent par un câble sous-marin de 1195 km de long sous la mer Noire dont le contrôle est, là encore, particulièrement disputé entre la Russie et la Turquie. La guerre en Ukraine menée par la Russie s’inscrit, comme chacun sait, dans une longue histoire stratégique d’accès aux mers chaudes, et le contrôle des détroits est assuré au sud par la Turquie.

De surcroît, au 1er janvier 2021, la Serbie a inauguré un nouveau tronçon du Turkstream russo-turc [approvisionné par la Russie via la Bulgarie qui s’y était connectée fin 2020] de 403 km de long entre Zajecar en Serbie et Horgos en Hongrie. Et l’Autriche souhaiterait également en bénéficier (tandis que 36 % du gaz consommé en Allemagne est importé de Russie).

Ce projet à lui seul est donc loin d’être suffisant pour compenser l’apport russe, dont l’Union européenne est déterminée à se détourner, d’abord en terme de quantité (158,5 milliards de mètre cube de la Russie vers l’UE en 2020 contre 22 milliards de mètre cube de l’Azerbaïdjan vers l’UE en 2027). Ensuite, parce que derrière l’offre azerbaïdjanaise figure le soutien indirect de la Russie pour que l’Azerbaïdjan assure sa consommation gazière interne, parce que l’approvisionnement de l’UE via les Balkans rend l’UE tributaire pas seulement de la Turquie mais plutôt de la relation russo-turque qui se joue sur des théâtres géopolitiques divers et variés à l’échelle planétaire, et enfin que le gaz russe continue d’être importé dans les Balkans via la Bulgarie et la Serbie.

Facteur de cohésion ou de dissension dans les Balkans ?

L’Union européenne a fondé la Communauté de l’Énergie en 2006 conçu comme instrument de pré-adhésion et d’intégration des marchés énergétiques balkaniques, regroupant l’UE, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie, et le Kosovo15. Ces nouveaux projets sont susceptibles de réunir les pays de la région autour d’objectifs pragmatiques, de servir de moyens d’apaisement des conflits bilatéraux et de satisfaire au critère de « relations de bon voisinage » pour l’adhésion à l’UE des pays qui le souhaitent. Par exemple, le 1er octobre 2022, la Bulgarie et la Macédoine du nord ont vu leurs présidents s’entretenir à l’occasion du Forum de Sofia inaugurant l’interconnexion gazière entre la Grèce et la Bulgarie. Cette dernière a proposé à cette occasion d’exporter vers la Macédoine du nord ses excédents d’électricité.

Pour autant, la rivalité russo-européenne pour l’approvisionnement énergétique de la région n’est pas prêt de prendre fin. Cela pourrait être finalement une bonne nouvelle pour l’UE puisqu’elle doit l’amener à accélérer sa transition écologique, à diversifier son mix énergétique, à accentuer la recherche et l’innovation, et à multiplier encore ses partenaires en matière énergétique. Ce sont aussi de nouvelles opportunités et de nouvelles perspectives qui se présentent aux pays des Balkans qui doivent composer avec leurs doubles appartenances turco-européennes. Comment l’Union Européenne composera-t-elle avec cette nouvelle donne dans le cadre des processus d’adhésion en cours ?

1 Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier, Paris, Bayard, 1997.

2Il est intéressant de noter que l’ex-Yougoslavie était le seul pays être connecté à la fois à l’UCTE occidental (union pour la coordination du transport de l’énérgie) et à l’IPS oriental (Integrated Power System).

3Il est à noter qu’en 2021 la Serbie remboursait un emprunt auprès de l’Azerbaïdjan de 172,7 millions d’euros pour la construction d’un tronçon routier de Preljina à Ljig, 300 millions ayant été empruntés en 2012 (les travaux avaient été réalisés par l’entreprise azerbaïdjanaise Azvirt).

4La part du gaz dans le mix énergétique des Balkans occidentaux y était de 9,3% en 2021, un chiffre qui masque de fortes disparités : Serbie 14,8% et Macédoine du nord 13,3%; Bosnie Herzégovine 2,8%; Albanie 1,9%; Kosovo et Monténégro 0%. Source : Ministère français de l’Économie, des Finances, et de la Souveraineté industrielle et numérique.

5Il est à noter que l’Azerbaïdjan a acquis en 2013 à la demande la Grèce une part du DESFA, le distributeur de gaz grec pour éviter que la Russie n’y établisse un monopole énergétique.

6BP détient 25% des parts du consortium.

7Contre 8,1 milliards de mètre cube en 2021.

8 Un protocole d’accord a aussi été signé pour renouveler cet accord tous les ans jusqu’en 2026 après quoi l’importation porterait sur 1 milliard de mètres cube par an.

9 Celle-ci a connu sa première participation à la réunion ministérielle annuelle du CGS en février 2022.

10 En ce qui concerne les Balkans, il y a seulement 10 ans, en 2014, La Russie exportait 88% de sa production de gaz vers l’Union européenne (70 % de cette quantité transitant par l’Ukraine) et les exportations dans les Balkans approchaient les 73 milliards de mètre cube (à peu près la moitié de la quantité exportée vers l’UE). Vladimir Poutine déclarait au premier sommet de l’énergie de l’Europe du sud-est à Zagreb en 2007 « l’énergie est une marchandise, mais pas comme une autre ». En 2022, ses exportations de gaz hors pays de l’ex-bloc soviétique avait chuté de 45,5 %.

11La Bulgarie s’est d’ailleurs connecté au Turkstream fin 2020, créant ainsi le Balkan Stream.

12 A cet effet, une ambassade azerbaïdjanaise a été ouverte en Bosnie-Herzégovine en 2021.

13L’opérateur national de transport de gaz est Nomagas AD Skopje.

14Il a été remplacé par le projet russo-turc Turkstream, en 2016, reliant Turquie et Russie à travers la mer Noire.

15La Moldavie les a rejoint en 2010 et l’Ukraine en 2011. Il y a également 3 membres observateurs : Turquie, Norvège et Géorgie.

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