РусскийFrançaisEnglish
  
     
         
Blog

Lithium en Serbie : Enjeux Économiques et Ambitions Européennes

Le 19 juillet dernier, le chancelier allemand Olaf Sholz s’est rendu à Belgrade (Serbie) afin de signer un accord sur les matières premières critiques, enjeux de la transition et de l’autonomie énergétiques européennes. Derrière cet accord se cache le projet controversé de l’exploitation d’une mine de Lithium dans la région de Jadar, projet suspendu deux ans en arrière par le gouvernement serbe sous la pression populaire.

 

L’extraction de lithium en Serbie, particulièrement dans la région de Jadar, est devenue un sujet central dans le contexte des ambitions européennes du pays. Découvertes en 2004, les réserves de lithium de Jadar sont parmi les plus importantes d’Europe et représentent une opportunité stratégique majeure pour la Serbie et pour l’Europe. Géré par le géant minier anglo-australien Rio Tinto, ce projet pourrait permettre de produire annuellement 58 000 tonnes de carbonate de lithium, suffisantes pour équiper environ 1,1 million de véhicules électriques, soit 17 % de la production européenne de véhicules électriques.

Le lithium est un métal crucial pour la fabrication de batteries de véhicules électriques, un secteur en pleine expansion alors que l’Union européenne prévoit d’interdire la vente de véhicules thermiques à partir de 2035. Ainsi, l’exploitation de cette ressource en Serbie s’inscrit dans une dynamique plus large de transition énergétique et de réduction de la dépendance européenne vis-à-vis du numéro un mondial de la production, la Chine. À elle seule, l’entreprise chinoise CATL produit environ 35% des batteries au lithium dans le monde.

Le projet de la mine de Jadar a suscité de nombreux débats et oppositions, notamment en raison des préoccupations environnementales et des impacts potentiels sur la région agricole environnante. En 2022, sous la pression des manifestations, le gouvernement serbe avait suspendu le projet, offrant une victoire aux manifestants. Celle-ci fut cependant remise en cause par une décision de la Cour constitutionnelle, qui a jugé cette suspension anticonstitutionnelle, ouvrant la voie à la reprise des opérations.

Cette initiative s’accompagne de partenariats et de soutiens européens significatifs, visant à garantir que la matière première reste sur le sol européen, et à renforcer la chaîne de valeur ajoutée en Serbie. Le président serbe Aleksandar Vučić voit dans ce projet une occasion unique d’attirer des milliards d’investissements et de moderniser l’économie serbe. C’est également un moyen de se conformer au bon vouloir de Bruxelles et de marquer des points dans un processus d’intégration cher au président nationaliste. Une intégration qui demeure un objectif économique bien plus qu’idéologique, alors qu’Aleksandar Vučić s’est récemment montré très critique vis-à-vis de l’hégémonie occidentale et de sa gestion de la guerre en Ukraine.

Ainsi, l’extraction de lithium en Serbie ne se limite pas à une simple exploitation minière, mais s’intègre dans une vision stratégique plus large de développement économique durable et de rapprochement avec l’Union européenne.

Le lithium Serbe : un trésor économique au cœur de l’Europe

Le projet de la mine de lithium de Jadar, situé dans l’ouest de la Serbie, représente l’un des projets miniers les plus ambitieux et les plus prometteurs d’Europe. Géré par l’Australien Rio Tinto, ce projet vise à exploiter l’une des plus grandes réserves de lithium au monde. L’importance stratégique de cette mine ne se limite pas à la production de lithium. Elle implique également des partenariats économiques majeurs avec plusieurs entreprises européennes de premier plan. Des discussions sont en cours avec des constructeurs automobiles tels que Mercedes, Volkswagen et Stellantis pour sécuriser l’approvisionnement en lithium. La signature d’un protocole d’accord entre la Serbie et l’Union européenne sur les matières premières et la chaîne d’approvisionnement des batteries et des véhicules électriques est un autre aspect crucial de ce projet. Cet accord vise à garantir que le lithium extrait en Serbie reste sur le sol européen, renforçant ainsi l’autonomie stratégique de l’Europe en matière de production de batteries. Le président serbe Aleksandar Vučić a confirmé que les exportations de lithium seraient destinées exclusivement à des partenaires européens. Il a souligné cette promesse faite aux dirigeants européens de réserver les exportations au marché européen malgré l’intérêt porté par la Chine, par ailleurs partenaire important de la Serbie. Un jeu d’équilibriste assumé par Belgrade qui tient à travailler avec tout type de partenaire, s’affranchissant du système de blocs qui s’opposent sur de très nombreux sujets géopolitiques.

Cette décision stratégique permet de consolider les relations économiques entre la Serbie et l’Union européenne, tout en assurant une stabilité dans l’approvisionnement en lithium pour les industries européennes. L’engagement de la Serbie à ne pas exporter plus de 12 % à 13 % de la matière première sous forme brute et à transformer le reste en produits à plus forte valeur ajoutée, comme des cathodes ou des batteries, souligne la volonté du pays de développer une industrie locale robuste et intégrée à l’économie européenne.

Quel impact économique pour la Serbie ?

L’impact économique potentiel de ce projet pour la Serbie promet d’être conséquent. La mine de Jadar pourrait attirer des milliards d’euros d’investissements étrangers, stimuler l’emploi et favoriser le développement industriel. La Serbie bénéficie également d’un soutien financier et technologique de la part de l’Union européenne. Son intégration dans l’Agenda vert pour les Balkans occidentaux et le Plan économique et d’investissement, qui prévoit des investissements massifs dans des projets durables, renforcera encore davantage le potentiel de développement économique du pays.

En s’associant étroitement avec l’Union européenne et en attirant des investissements internationaux, la Serbie souhaite donc se positionner comme un acteur majeur de la transition énergétique européenne. Cependant, un certain nombre d’externalités négatives et de défis sont à prendre en compte pour une analyse complète.

Enjeux environnementaux et contestations sociales

L’exploitation des réserves de lithium de Jadar soulève des inquiétudes significatives concernant l’impact environnemental. Jadar est une région principalement agricole, et les habitants craignent que les activités minières ne contaminent les terres cultivables, les sources d’eau et ne perturbent l’écosystème local. Les procédés d’extraction du lithium peuvent libérer des produits chimiques dangereux et provoquer une pollution durable des sols et des eaux souterraines.

Ces préoccupations se voient amplifiées par le passé controversé de Rio Tinto en matière de gestion environnementale. L’entreprise subit de lourdes critiques dans d’autres régions du monde pour ses pratiques minières, ce qui a conduit à une méfiance accrue parmi les communautés locales et les militants écologistes en Serbie. Rio Tinto est notamment accusée d’avoir provoqué des dommages environnementaux considérables lors de l’exploitation de la mine de Panguna, sur l’île de Bougainville, en Papouasie Nouvelle-Guinée durant les années 80. La cessation des activités de la mine en 1989 a été provoquée par une campagne de sabotage menée par les habitants excédés par la destruction de l’environnement et le manque de retombées économiques pour la région. Une affaire qui sera jugée en octobre 2024. L’entreprise est également accusée d’avoir dynamité un site aborigène en Australie. Des événements qui ne sont pas passés inaperçus auprès de la population serbe, très critique de la décision du gouvernement et qui avait largement manifesté contre l’exploitation de la mine.

En réponse à ces préoccupations, Rio Tinto et le gouvernement serbe ont promis de respecter des normes environnementales strictes et de mettre en place des mesures de protection afin de minimiser l’impact écologique. Des normes qui seront en adéquation avec celles de l’UE, promettent-ils. Mais face aux défis que représentent le changement climatique et la transition énergétique, la population s’inquiète des éventuels passe-droits dont pourrait bénéficier Rio Tinto.

Deux ans plus tôt, une forte mobilisation et opposition locale

En 2022, les mouvements de protestation ont conduit le gouvernement serbe à suspendre temporairement le projet. Les manifestants avaient largement dénoncé le manque de transparence et de consultation publique dans le processus de prise de décision. Malgré les promesses du gouvernement et de Rio Tinto concernant la protection de l’environnement, la méfiance persiste donc. Les opposants au projet continuent de faire entendre leur voix, craignant que les intérêts économiques ne prennent le pas sur les considérations environnementales et sociales. La récente décision de la Cour constitutionnelle autorisant la reprise du projet a ravivé les tensions, et des manifestations ont éclaté pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une décision dictée par des intérêts étrangers au détriment de la souveraineté et de la sécurité environnementale de la Serbie.

Engagements et mesures de protection : vers une exploitation durable ?

Face à ces contestations, le gouvernement serbe a pris plusieurs engagements pour assurer une exploitation responsable et durable des ressources de lithium. Le président Vučić a affirmé que la protection de l’environnement serait une priorité, annonçant la présence sur place des meilleurs experts européens pour superviser le projet et garantir le respect des normes les plus strictes.

Le gouvernement a également signé un protocole d’accord avec l’Union européenne, soulignant l’importance de l’exploitation durable des ressources naturelles. Cet accord prévoit non seulement des normes environnementales rigoureuses, mais aussi des investissements dans des technologies propres et des pratiques minières durables. En outre, des fonds de l’Union européenne seront alloués pour soutenir des initiatives de développement durable et de protection environnementale en Serbie.

Pour renforcer la confiance des populations locales, le gouvernement a promis des mécanismes de surveillance et de transparence, incluant des consultations régulières avec les communautés affectées et des évaluations d’impact environnemental rigoureuses. Des garanties ont été données que la majorité du lithium extrait serait transformée localement, réduisant ainsi les risques associés au transport et à l’exportation de matières premières non raffinées.

L’intégration de la Serbie à l’Union européenne implique par ailleurs une conformité aux standards environnementaux européens. Les exigences strictes de l’UE en matière de protection de l’environnement offrent un cadre de régulation qui pourrait assurer que les opérations minières respectent des pratiques durables et minimisent les impacts négatifs.

Cependant, la réussite de ces engagements dépendra de la mise en œuvre effective des mesures de protection et de la capacité des autorités serbes et des entreprises impliquées à tenir leurs promesses, mais pas seulement. L’Union Européenne a également pu faire preuve de recul quant à la question énergétique par le passé, dans une tentative de rattraper son retard stratégique face aux États-Unis et à la Chine, dont les standards écologiques sont loin d’être exemplaires. Les dernières élections européennes ont d’ailleurs été dévastateurs pour les partis écologiques européens tandis que le nationalisme a engrangé des sièges supplémentaires.

Le tremplin vers l’intégration européenne ?

La Serbie est en pleine négociation pour son adhésion à l’Union européenne, un processus qui implique une série de réformes économiques, politiques et sociales. Nous l’avons vu, l’extraction de lithium s’inscrit dans la stratégie de l’UE visant à promouvoir la transition écologique et à renforcer sa souveraineté énergétique. La Serbie peut s’aligner sur les objectifs de l’UE, mais reste en même temps un partenaire fiable de Moscou. L’objectif de Belgrade demeure bien entendu de bénéficier de l’accès au marché unique, des fonds de développement européens et de la libre circulation des biens et des personnes, tout en continuant de travailler en étroite collaboration avec la Russie.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, cela peut s’avérer perturbant. Mais la Serbie tient à garder cette neutralité au sein d’une logique de blocs. Si le pays reconnaît la souveraineté ukrainienne, il se refuse à sanctionner Moscou, s’alignant sur la stratégie des pays du « Sud Global » et dénonce le « deux poids, deux mesures » des Occidentaux. Le choix de Rio Tinto illustre parfaitement cette caractéristique puisque l’entreprise minière australienne s’est alignée sur les sanctions de Camberra vis-à-vis du régime russe. Travaillant en étroite collaboration avec le géant russe de l’aluminium Rusal avant le lancement de « l’opération spéciale », Rio Tinto a suspendu la fourniture d’alumine, matière première essentielle à la production d’aluminium, à ce dernier, décision confirmée par la justice australienne.

Coopération et soutien allemand

Le soutien européen se manifeste également par l’engagement de l’Allemagne, avec la proposition daide pour le développement d’une chaîne de valeur plus complète autour de la production de lithium en Serbie de la part du chancelier Olaf Scholz. Cela inclut des investissements dans des infrastructures locales pour la transformation du lithium en cathodes et batteries, et potentiellement, la production de véhicules électriques en Serbie.

Vous devez souscrire à un abonnement EurasiaPeace pour avoir accès au contenu - Prendre votre abonnement
Previous Article

Politique intérieure iranienne – Point de situation au 20/07/2024

Next Article

Nouvelle étape dans la mobilisation ukrainienne : en recherche de motivation ?