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Relation entre l’Inde et la Russie dans le contexte de l’élargissement des BRICS et la crise en Ukraine

Les BRICS, acronyme regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, représentent un ensemble de nations émergentes dont l’importance géopolitique n’a cessé de croître au fil des années. Ce groupe, qui réunit des puissances diverses en termes de culture, d’économie et de politique, constitue un acteur clé dans le nouvel ordre mondial. Cette diversité a été soulignée lors du sommet de Johannesburg le 24 août 2023, qui a accueilli l’adhésion de six nouveaux membres.

Cette expansion suscite des interrogations quant à la nature des BRICS, à leur importance dans un monde en constante mutation, et à la manière dont les relations bilatérales entre deux de ses membres, l’Inde et la Russie, ont contribué à leur influence.

Présentation des BRICS

Les BRICS, acronyme créé par l’économiste britannique Jim O’Neill, regroupent cinq nations : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ces pays se distinguent par leur ouverture au marché international et leur volonté de s’aligner sur les économies occidentales. Initialement plus liée à des considérations macroéconomiques qu’à des implications géopolitiques, cette notion trouve ses racines au début du XXIe siècle, dans le sillage de la fin de la guerre froide et de la chute de l’URSS.

Durant la confrontation indirecte entre les États-Unis et l’Union soviétique, un troisième espace, appelé le Tiers-Monde par le sociologue français Alfred Sauvy, a émergé, n’appartenant à aucun

des deux blocs Est et Ouest. Au départ, le concept de BRICS paraissait flou, car les cinq pays diffèrent considérablement, tant sur le plan civilisationnel que politique. Cependant, ce concept a pris forme le 16 juin 2009 à Ekaterinbourg, en Russie, lors d’un sommet crucial. Il est important de souligner que ce sommet s’est tenu en Russie, à la demande des Russes, un fait significatif compte tenu de la perte de puissance de ce pays sur la scène internationale après la chute du communisme.

Présentation de l’importance des BRICS

Un poids considérable dans l’économie mondiale

Après s’être réappropriés le terme d’O’Neil, les BRICS se veulent, dans les faits, une alternative économique à l’ordre international établi. Il existe une réelle volonté de stimuler la croissance et d’assurer la prospérité de chaque pays membre, même si l’objectif premier est de redistribuer les cartes de la politique mondiale, jusqu’ici tout de même assez conservée par l’Occident.

Cette union fait suite, en réalité, à une frustration de nombreux pays qui disent ne pas se sentir ou mal représentés par les grands organes décisionnels internationaux tels que le FMI, la Banque Mondiale et le Conseil de Sécurité des Nations Unies, et ce malgré leur population importante et leurs richesses produites. En effet, les BRICS ne possèdent, réunis, que 15% des votes à la Banque Mondiale et 10% au Fonds Monétaire International.

Ces chiffres contrastent avec une population représentant 42% de la population mondiale (3.2 milliards d’individus) et un Produit Intérieur Brut global de 26% du PIB mondial. En 2023, le produit intérieur brut cumulé des BRICS a finalement surpassé celui du G7, un groupe composé des sept nations les plus industrialisées du monde, qui étaient traditionnellement considérées comme les principaux moteurs de l’économie mondiale.

Ces données illustrent bien le poids des BRICS dans le monde. De plus, l’adhésion de trois grands producteurs de pétrole, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran, en 2024, va permettre à l’union de disposer d’une source importante de liquidités.

Un poids considérable dans la géopolitique internationale

Outre cet aspect économique, les BRICS possèdent également une influence considérable dans le domaine de la dissuasion nucléaire, avec trois puissances nucléaires parmi eux (Russie, Chine et Inde). Leur participation active à la configuration des dynamiques de sécurité internationale est indéniable. De plus, le fait que deux membres du groupe, à savoir la Chine et la Russie, soient également membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, renforce leur capacité à influencer les décisions et les politiques mondiales.

Cependant, pour mieux comprendre les mécanismes de cette alliance et ses implications, il est essentiel d’examiner de près la collaboration et la coopération politique et économique entre les BRICS. Cette recherche contribuera à approfondir notre connaissance des défis et des opportunités auxquels ces nations font face en cherchant collectivement à remodeler les dynamiques géopolitiques et économiques à l’échelle mondiale.

Coopération politique et économique

Les BRICS ambitionnent d’exercer une influence non seulement sur le plan économique mais également sur la scène politique et géopolitique. L’intégration de l’Afrique du Sud, une puissance régionale, élargit la portée des BRICS sur le continent africain. Inspirés par l’esprit de Bandung, les BRICS contestent l’ordre mondial unipolaire post-effondrement de l’Union soviétique et la suprématie économique occidentale, notamment celle des États-Unis.

Post-crise de 2007-2008, les BRICS s’orientent vers la proposition d’un ordre mondial plus équitable, distinguant leur projet au-delà des aspects économiques et politiques pour englober des dimensions culturelles et sociétales. Cette expansion de perspective, observable lors de chaque sommet, suscite des critiques malgré le rôle crucial des BRICS dans la redéfinition du nouvel ordre mondial.

Les BRICS ne se limitent pas à une coopération économique ; ils jouent également un rôle politique majeur. Leur convergence de vues sur des questions clés telles que la réforme des institutions financières internationales, la gouvernance mondiale, et la promotion de la multipolarité renforce leur capacité à influencer les décisions et à façonner les politiques mondiales. L’extension de leur alliance à des nations stratégiques, telles que l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, et l’Iran, renforce leur empreinte géopolitique, favorisant une diversité d’opinions et d’approches, renforçant ainsi leur légitimité et leur influence sur la scène internationale.

À première vue, l’Inde et la Chine adoptent une position similaire à l’égard de l’invasion russe en Ukraine, initialement refusant de condamner la Russie et privilégiant la résolution pacifique par le dialogue. Cependant, des nuances importantes émergent quant à la vision et au positionnement respectifs de la Chine et de l’Inde dans le conflit ukrainien. Bien que les deux pays maintiennent des relations avec la Russie, leurs motivations sous-jacentes diffèrent, la Chine soutenant davantage la Russie de Poutine tandis que l’Inde éprouve des difficultés à maintenir cette proximité.

Ainsi, les BRICS continuent de jouer un rôle crucial dans le nouvel ordre mondial, tant sur le plan économique que géopolitique. Leur expansion stratégique avec l’inclusion de nouveaux

membres atteste de leur capacité à s’adapter aux dynamiques changeantes du paysage international, consolidant ainsi leur position en tant que force unifiée et influente.

Comment l’évolution des relations entre l’Inde et la Russie, marquée par des moments clés tels que la période de la Guerre froide, la signature du traité d’amitié indo-soviétique, l’élargissement des BRICS, et l’impact de la crise en Ukraine, reflète-t-elle les dynamiques géopolitiques mondiales et quels sont les défis et opportunités pour ces deux nations dans un contexte en constante évolution ?

Historique des relations Inde-Russie : une relation « contre vent et marée »

Les origines d’une relation à l’épreuve de la guerre froide

Pour mieux appréhender la dynamique des relations entre la Russie et l’Inde, il est essentiel de revenir en arrière dans le temps et d’examiner les facteurs en jeu pendant la guerre froide. En 1947, l’Inde obtient son indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni. Sous la direction de Jawaharlal Nehru à partir de cette date, l’Inde est initialement perçue comme un allié de l’Occident américain par l’Union soviétique de Joseph Staline, car l’Inde avait choisi de rester membre du Commonwealth.

La mort de Staline et l’évolution de la guerre de Corée contribuent à accélérer le rapprochement entre ces deux États. Deux causes majeures sont à l’origine de cette évolution :

Tout d’abord, la montée en puissance de la Chine communiste dirigée par Mao Zedong crée des points de friction, notamment concernant les frontières, qui sont remises en question par la Chine après son invasion du Tibet en 1950. En octobre 1962, la Chine et son Armée populaire de libération lancent une offensive le long des frontières himalayennes, à l’est (dans la région actuelle de l’Aksai Chin) et à l’ouest (dans l’Arunachal Pradesh). L’armée indienne subit une défaite humiliante en raison de troupes mal équipées et d’une préparation logistique insuffisante. Cette guerre met en lumière les limites de la capacité de défense de l’Inde et, sur le plan diplomatique, l’Inde sollicite l’assistance militaire des États-Unis, ce qui porte atteinte à son prestige au sein du mouvement des non-alignés.

Du côté de l’Union soviétique, malgré un rapprochement entre Joseph Staline et Mao Zedong dans les années 50, les relations entre les deux pays se refroidissent, notamment sous Khrouchtchev. Cela conduit à la rupture sino-soviétique en 1963, et même à un conflit frontalier en 1969. Cette confrontation découle de la remise en question par la Chine du leadership soviétique au sein du monde communiste.

En outre, un autre facteur majeur contribuant à ce rapprochement est la réponse de l’Union soviétique à la politique d’alliance militaire menée par les États-Unis en Asie et dans le Pacifique. Par exemple, le pacte de Bagdad (ou traité d’organisation du Moyen-Orient) créé en 1955, qui inclut des pays comme le Pakistan, se rapproche progressivement de Washington. D’autres alliances telles que l’ANZUS et l’OTASE sont également à considérer. Face à la perspective d’un endiguement de la part de son rival américain, l’URSS sous Khrouchtchev cherche à établir des alliances qui lui seraient bénéfiques.

De son côté, l’Inde poursuit une stratégie de contournement, notamment vis-à-vis de son principal rival, le Pakistan, qui se rapproche des États-Unis. Le Pakistan encercle l’Inde à l’ouest (avec le Pakistan occidental, l’État actuel du Pakistan) et à l’est (avec le Pakistan oriental, l’État actuel du Bangladesh).

L’ensemble de ces facteurs converge vers un rapprochement opportun entre l’Inde de Nehru et l’Union soviétique de Khrouchtchev à partir de 1953. Ce rapprochement est également influencé par l’admiration du Premier ministre indien pour le modèle soviétique, et il atteint son apogée avec la signature du traité d’amitié indo-soviétique en 1971.

Une coopération dans des domaines économico-stratégique et politique

Le 9 août 1971 marque une date cruciale dans l’histoire des relations internationales, lorsque Moscou et New Delhi ont décidé de conclure un traité de paix, d’amitié et de coopération, largement perçu comme une “quasi-alliance” entre l’Inde et l’Union soviétique. Cette coopération s’est étendue à divers domaines, mais l’un des aspects les plus significatifs a été l’engagement mutuel dans le domaine de la sécurité et de la défense.

La coopération militaire a pris la forme d’une série d’initiatives de soutien de l’Union soviétique à l’Inde. Tout d’abord, l’Inde a cherché à renforcer son arsenal militaire affaibli par le conflit indo-chinois de 1962. Déjà avant la signature du traité, l’Inde s’était tournée vers l’armement soviétique pour remplacer un arsenal principalement composé d’armement britannique datant de la pré-Seconde Guerre mondiale. Cette opportunité a conduit le gouvernement de Nehru à acheter du matériel militaire à l’Union soviétique, y compris des avions de transport. En août 1963, le gouvernement indien a acquis la licence pour construire plusieurs centaines de Mig-21. Au niveau de la marine, l’Inde n’hésite pas acheter un matériel important auprès des chantiers soviétique allant de sous-marin aux missiles de navire en passant par des corvettes ainsi que des frégates de classe krivak créé au début des années 70.

Sous le leadership d’Indira Gandhi, l’Inde a considérablement renforcé son arsenal en achetant un grand nombre d’armes soviétiques, notamment dans le domaine de l’aviation militaire, des navires de guerre et des chars, en particulier les T-72, qui sont entrés en production en 1971, l’année du traité. Aujourd’hui, l’Armée de terre indienne utilise près de 2000 chars T-72[3]. Selon Gilles Boquerat[4], environ 35 milliards de dollars ont été dépensés pour l’acquisition de matériel soviétique entre 1960 et 1990. Ainsi, l’Inde fut le premier client de l’armement soviétique en dehors du pacte de Soviétique.

Dans le domaine économique, le traité d’amitié indo-russe a également favorisé la coopération économique, scientifique et technologique. Le commerce entre les deux nations a connu une croissance significative à partir du milieu des années 50. L’Inde a acheté des aciéries, et une partie de ces échanges a également porté sur l’énergie et l’achat de matières premières, en particulier du gaz et du pétrole, payés en roupies indiennes.

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