10-16/09/2022 : Reprise préoccupante des tensions militaires entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, les plus graves depuis le cessez-le-feu de novembre 2020 : un bilan officiel de 206 morts.
Malgré la libération de 5 prisonniers arméniens par l’Azerbaïdjan le 8 septembre, faisant suite à la quatrième rencontre du 31 août à Bruxelles entre les dirigeants de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et du Conseil européen, de violents combats ont repris dès le 10 septembre au Karabakh et à la frontière arméno-azerbaïdjanaise.
Entre le 10 et le 12 septembre, la partie azerbaïdjanaise a dénoncé une douzaine de violations de cessez-le-feu par des «unités des forces armées arméniennes» et par «des membres de détachements illégaux arméniens» qui se seraient livrées à des tirs en direction de la colonie de Zaylik de la région de Kelbadjar, puis des colonies de Zaylik, Yellija, Yukhari Ayrim dans la région de Kelbadjar, et de la colonie de Sadinlar dans la région de Lachin, puis le lendemain de la colonie de Novoivanovka dans la région de Gadabay et de la colonie de Husulu dans la région de Lachin. Le 13 septembre, le ministre azerbaïdjanais de la Défense a affirmé par ailleurs que «des groupes de commandos de l’armée arménienne [avaient] miné les zones et ravitaillé les routes entre les positions des unités de l’armée azerbaïdjanaise dans différentes directions, en utilisant le relief montagneux de ces zones […] dans l’obscurité» et qu’ «afin d’empêcher la provocation des forces armées arméniennes et les menaces militaires contre le territoire et la souveraineté de notre pays, ainsi que pour assurer la sécurité de notre personnel militaire, y compris les travailleurs civils impliqués dans les travaux d’infrastructure sur le territoire de Kalbajar et dans les districts de Lachin, des mesures de représailles décisives [étaient] prises par les unités de l’armée azerbaïdjanaise déployées dans ces directions». Il a également affirmé : «Dans l’ensemble, les provocations des forces armées arméniennes en direction des districts de Lachin, Gadabey, Dashkasan et Kalbajar à la frontière de l’État, et les tirs contre les positions de l’armée azerbaïdjanaise dans ces régions avec divers types d’armes, ont été intensifs et systématiques au cours du mois passé. Dans le même temps, l’Arménie a procédé à une concentration d’armes offensives, d’artillerie lourde et de personnel le long des frontières de l’Azerbaïdjan. Tous ces faits indiquaient une fois de plus que l’Arménie se préparait à une provocation militaire à grande échelle. Avec de telles actions, l’Arménie vise également à ralentir la mise en œuvre des projets d’infrastructure civile à grande échelle mis en œuvre par l’Azerbaïdjan dans les régions frontalières libérées de l’occupation et à maintenir une atmosphère de tension près des frontières de l’Azerbaïdjan».
Ces déclarations ont été démenties par la partie arménienne. Le 12 septembre, alors que l’ambassadeur extraordinaire d’Arménie, Edmond Maroukian dénonçait le fait que «lorsque l’Azerbaïdjan planifie une autre provocation à la frontière, il organise une fausse base dans l’espace d’information visant à légitimer cette provocation avant de la mettre à exécution», le «médiateur du Haut-Karabakh», Gegham Stepanian, dénonçait le ciblage de trois maisons par la partie azerbaïdjanaise dans les villages de Karmir Shuka et de Taghavard dans la province de Martouni, ce qui a été démenti par la partie azerbaïdjanaise. Le 13 septembre, la partie arménienne a dénoncé, quant à elle, l’utilisation de l’«artillerie, les mortiers, les drones et les fusils de gros calibre dans les directions de Vardenis, Sotk, Artanish, Ishkhanasar, Goris et Kapan, ciblant à la fois les infrastructures militaires et civiles».
Le 9 et 10 septembre, le nouveau représentant états-unien au sein du groupe de Minsk et conseiller principal des États-Unis pour les négociations avec le Caucase, Philip Reeker a rencontré successivement le ministre arménien des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan, puis le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et le vice-président de l’Assemblée nationale et envoyé spécial pour la normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie, Ruben Rubinian. Nikol Pachinian a réaffirmé la «nécessité de rétablir le processus de négociation au sein de la coprésidence du groupe de Minsk». Le 12 septembre, Nikol Pachinian a présidé une réunion du Conseil de sécurité qui a débouché sur la décision de «de demander officiellement à la Fédération de Russie la mise en œuvre des dispositions du Traité d’amitié, de coopération et de coopération mutuelle de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective et [de faire appel] au Conseil de sécurité de l’ONU concernant l’agression contre le territoire souverain de la République d’Arménie», avant de s’entretenir par téléphone avec les présidents russe, français, états-unien et iranien, ainsi qu’avec celui du Conseil européen.
Le 13 septembre, Nikol Pachinian a annoncé devant l’Assemblée nationale la mort de 49 militaires dans les affrontements tout en se faisant offensif en déclarant : «l’un des principes proposés par l’Azerbaïdjan était la reconnaissance de l’intégrité territoriale de l’autre. Il y a ici un besoin de clarification. Qu’entend-on par intégrité territoriale? L’Azerbaïdjan désigne-t-il également les territoires de l’Arménie qui ont été occupés par l’Azerbaïdjan à la suite des événements de mai 2021 […]» sans plus de précisions. Le ministère de la santé annonçait, lui, 3 victimes civiles. Du côté azerbaïdjanais, le ministère de la Défense annonçait la mort de 50 militaires azerbaïdjanais, enterrés le soir même dans l’Allée des Martyrs à Bakou.
Le même jour, le département d’État états-unien a appelé à la «cessation immédiate des hostilités» de même que Toivo Klaar, représentant spécial de l’Union européenne pour le sud-Caucase, Josep Borell, haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, les responsables de l’OSCE, ou le secrétariat général des Nations Unies. Tandis que l’Élysée a annoncé que «la France [porterait] la situation devant le Conseil de sécurité des Nations unies, dont elle assure actuellement la présidence», l’OTSC a déclaré que «l’usage de la force [était] inacceptable [et que] seuls les moyens politiques et diplomatiques ainsi que les accords inscrits dans les déclarations des dirigeants de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et de la Russie du 09 novembre 2020, du 11 janvier 2021 et du 26 novembre 2021 doivent être utilisés pour résoudre les contradictions». Le Premier ministre géorgien s’est dit prêt à une médiation lors de sa conversation téléphonique avec son homologue arménien.
Une réunion du Conseil de sécurité de l’OTSC s’est réunie le même jour que Nikol Pachinian a qualifié de «satisfaisante» avec un «échange de vues ouvert et honnête» et durant laquelle il a demandé l’intervention militaire de l’OTSC pour «restaurer l’intégrité territoriale de l’Arménie». Un premier cessez-le-feu sous l’égide de la Russie n’a pas été respecté le 13 septembre.
Le 14 septembre, Nikol Pachinian a répondu à des questions devant l’Assemblée nationale après avoir annoncé le chiffre de 105 militaires arméniens morts depuis le 12 septembre et il a déclaré à cette occasion refuser pour le moment l’instauration de la loi martiale tout en affirmant: « L’Azerbaïdjan dit : reconnaissons l’intégrité territoriale de l’autre. Nous disons que nous sommes d’accord et que nous sommes prêts à le faire dès aujourd’hui. Mais les territoires qu’ils occupaient sont dans l’intégrité territoriale de quel État ? Si l’Azerbaïdjan prétend que c’est son territoire, alors nous ne reconnaissons pas l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, car ce sont nos territoires, ce n’est pas un territoire contesté, et, ce faisant, l’Azerbaïdjan ne reconnaît pas notre intégrité territoriale. […] Comme je l’ai dit, j’ai assumé la responsabilité de prendre des décisions difficiles au nom de la paix. Mais des décisions difficiles ne signifient pas des décisions contraires aux intérêts de l’État de la République d’Arménie. Nous ne pouvons pas signer un document appelé “Traité de paix”, à la suite duquel une nouvelle guerre commencera dans six mois. Nous sommes prêts à signer un document, à la suite duquel beaucoup nous crieront dessus, nous traiteront de traîtres, le peuple pourra même décider de nous retirer du pouvoir, mais à la suite de quoi l’Arménie recevra une paix durable. Nous serons heureux et reconnaissants si, à la suite de cela, l’Arménie bénéficie d’une paix et d’une sécurité durables dans une zone de 29 800 kilomètres carrés. Si celle-ci nous est fournie, je signerai cette décision. Je ne suis pas intéressé par ce qui m’arrivera plus tard, je suis intéressé par ce qui arrivera à la République d’Arménie plus tard».
Un nouveau cessez-le-feu a été décidé le 14 septembre prenant effet à 20h.
Suite à une réunion du Conseil de sécurité arménien le 15 septembre à laquelle était invité le « président du Haut Karabakh », Arayik Haroutiounian, ce dernier a déclaré : «aucun document relatif au statut de l’Artsakh n’est en cours de discussion à ce stade. Dans mon discours aux collègues arméniens, j’ai fait part de toutes nos préoccupations, soulignant qu’aucun document ne peut être au-dessus du droit et des aspirations de notre peuple à vivre librement et en souveraineté. Les autorités arméniennes ont réaffirmé qu’aucun document relatif à l’Artsakh ne sera signé sans en avoir discuté avec les autorités d’Artsakh et en tenant compte de l’opinion de notre peuple», alors que 4000 personnes se réunissaient dans les rues de Stepanakert.
Le même jour, le ministère de la Défense azerbaïdjanais a fait part un bilan de 71 militaires morts tandis que le vice-ministre de l’Administration territoriale de l’Arménie et des Infrastructures, Vache Terterian, faisait part d’un bilan de 192 maisons résidentielles endommagées dans les provinces de Gegharkunik, Siounik etVayots Dzor dont 60 entièrement détruites, et que la médiatrice de la République évoquait le déplacement de 2750 habitants de ces régions.
Le 15 septembre, une délégation de l’OTSC conduite par Anatoly Sidorov, son chef d’état-major interarmées, qui a rencontré le ministre de la Défense Suren Papikian, à la suite de quoi l’OTSC a affirmé que ce groupe est «chargé d’élaborer des propositions de désescalade des tensions» et qu’il a pour mission de mener des «démarches visant à étudier et surveiller la situation actuelle dans certaines zones frontalières». Le lendemain, 16 septembre, Nikol Pachinian a fait état d’un bilan de 135 morts du côté arménien.