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L’opération militaire de l’Azerbaïdjan au Karabakh – Point de situation au 28/09/23

Les dossiers que nous suivons : Processus de résolution du Conflit du Karabakh ; Point humanitaire et sécuritaire au Karabakh et dans le corridor de Latchin ; Conflit Abkhazie et Ossétie du sud / Géorgie ; Relation Géorgie – UE / US/Russie/Ukraine et politique intérieure géorgienne ; Problématiques énergétiques, commerciales et de transport sud-caucasiennes ; Droits de l’homme au sud-Caucase ; Diverses politiques extérieures Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie.

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65 036 personnes. Tel est le chiffre annoncé par le gouvernement arménien le 28 septembre à 8h du matin concernant le nombre de personnes qui a franchi la frontière avec l’Arménie depuis le Haut-Karabakh ! Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a même prédit en Cabinet des ministres que «tous les Arméniens [quitteraient] le Haut-Karabakh dans un avenir proche» dénonçant «un acte direct de désarménianisation et de privation de patrie» et un «nettoyage ethnique».

Deux heures plus tard, le «président du Haut-Karabakh», Samvel Chahramanian, signait le décret décidant de «dissoudre toutes les institutions et organisations de l’État qui leur sont subordonnées jusqu’au 1er janvier 2024, date à laquelle la République du Haut-Karabakh (Artsakh) cessera d’exister» et prévoyant que «la population du Haut-Karabakh, y compris celles situées à l’extérieur de la République, après l’entrée en vigueur de ce décret, se familiarisera avec les conditions de réintégration présentées par la République d’Azerbaïdjan, afin de prendre une décision indépendante et individuelle dans l’avenir sur la possibilité de séjourner (revenir) au Haut-Karabakh».

David Babayan, «conseiller du président du Haut-Karabakh» et ancien «ministre des Affaires étrangères» a annoncé, dans la matinée, se rendre à Choucha depuis Stepanakert/Khankendi du fait que «la partie azerbaïdjanaise a exigé [son] arrivée à Bakou pour une enquête appropriée». La veille c’était Ruben Vardanian, ancien «ministre d’État», qui était arrêté à la frontière arménienne par les autorités de Bakou avant d’être inculpé comme l’ont relaté les services de sécurité de l’État pour «financement du terrorisme», «participation à la création et au fonctionnement de formations ou groupes armés non prévus» et «franchissement illégal de la frontière de la République d’Azerbaïdjan». Le gouvernement arménien a fait, à ce sujet, appel à la CEDH.

Le ministère de la Santé azerbaïdjanais a fait état le 27 septembre du bilan des victimes azerbaïdjanaises de son opération anti-terroriste : 180 soldats, 12 policiers et 1 civil morts, 511 soldats et 1 civil blessés. Tandis que le 26 septembre, Arman Tatoyan, ancien médiateur d’Arménie, a fait état du bilan des civils morts du côté arménien durant l’opération : «18 civils, dont 6 enfants, ainsi que des femmes et personnes âgées». Le bilan de l’équipement militaire saisi par les forces azerbaïdjanaises a été publiées par le ministère de la Défense.

Parallèlement l’aide humanitaire apportée désormais par l’État azerbaïdjanais aux habitants de l’enclave se poursuit, l’administration présidentielle annonçant le 28 septembre une nouvelle livraison d’un «véhicule avec 32 tonnes d’essence […] pour répondre aux besoins des jardins d’enfants, des services médicaux d’urgence et des pompiers en matériaux comburants et lubrifiants», après les 2 véhicules avec 38 tonnes d’essence et 16 tonnes de gazole fournis le 26 septembre ou les 30 tonnes d’essence et 34 tonnes de diesel évoqués le même jour, les 15 véhicules spéciaux de lutte contre l’incendie, brigades de pompiers, matériel médical et autres dispositifs d’assistance suite à l’explosion intervenue le 25 septembre dans un entrepôt de carburant à proximité de l’autoroute Stepanakert – Askeran qui a fait 290 blessés et une vingtaine de morts. Hikmet Hadjiyev a publié via X un bilan de l’aide fournie à l’enclave entre le 22 et le 26 septembre.

ECHO a annoncé 5 millions€ d’aide humanitaire pour les personnes déplacées du Haut-Karabakh, les États-Unis 1 million$ via l’USAID et 10,5 millions$ via le Département d’État et la France 7 millions€. Le ministère russe des Affaires étrangères a fait état d’un «soutien humanitaire a grande échelle» parlant notamment de la livraison de 125 tonnes d’aide humanitaire et 65 tonnes de carburant les 25 et 26 septembre.

Par ailleurs, une rencontre a eu lieu le 27 septembre entre Ilham Aliev et Samantha Power, administratrice de l’USAID, accompagnée de Yuri Kim, secrétaire d’État adjointe au affaires européennes et eurasiennes, et de Louis Bono, conseiller principal pour les négociations dans le Caucase. Il a été noté l’engagement du président azerbaïdjanais à «protéger les droits et la sécurité des Arméniens de souche» tandis que l’USAID a demandé deux mesures spécifiques à cette fin : à savoir un accès humanitaire sans entrave au Haut-Karabakh et le déploiement d’observateurs internationaux sur le terrain au Haut-Karabakh. Proposition refusée le même jour par Hikmet Hadjiyev, conseiller en politique étrangère de la présidence azerbaïdjanaise en ces termes : «nous sommes actuellement en contact avec nos homologues de l’ONU à Bakou, qui sont accrédités pour l’ensemble du territoire de l’Azerbaïdjan, et certains de leurs représentants, lors d’une réunion d’experts au niveau national, peuvent également y avoir accès […] mais nous ne voyons pas la nécessité d’une quelconque mission d’observation internationale car les réalités sur le terrain sont évidentes, l’Azerbaïdjan n’a rien à cacher». La veille le site de la présidence azerbaïdjanaise faisait déjà part de cette position suite à la discussion d’Ilham Aliev avec le secrétaire d’État états-unien Anthony Blinken en ces termes : «la partie azerbaïdjanaise est prête à organiser une visite du bureau du coordonnateur résident des Nations Unies accrédité dans notre pays dans la région du Karabakh en Azerbaïdjan dans un avenir proche».

Position de la France sur la situation résumée par les déclarations de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale : «l’opération militaire engagée par l’Azerbaïdjan il y a quelques jours est injustifiable et inacceptable. La France l’a condamnée et elle l’a condamnée à nouveau lors d’une réunion au Conseil de sécurité il y a quelques jours, demandée et obtenue par notre pays […] Les discussions entre Bakou et Stepanakert doivent se tenir sous les auspices de la communauté internationale, nous le demandons également».

Une réunion présidée par le président du Conseil européen Charles Michel a eu lieu le 26 septembre réunissant le secrétaire du Conseil de sécurité arménien Armen Grigorian et le conseiller en politique étrangère du président azerbaïdjanais Hikmet Hadjiyev ainsi que Emmanuel Bonne et Jens Ploetner, conseillers respectifs des dirigeants français et allemand, ainsi que Toivo Klaar, le représentant spécial de l’UE pour le Caucase du Sud. Une future réunion à l’occasion du prochain Sommet de la CPE à Grenade le 5 octobre prochain a été évoquée tandis que l’UE a insisté sur la nécessité de «transparence et d’accès pour les acteurs internationaux de l’aide humanitaire et des droits de l’homme, ainsi que de plus de détails sur la vision de Bakou concernant l’avenir des Arméniens du Karabakh en Azerbaïdjan».

La veille, lundi 25 septembre avait lieu une nouvelle réunion à Khodjali au siège du contingent de l’armée russe de maintien de la paix (suite à la première réunion post-opération militaire azerbaïdjanaise qui avait eu lieu le 21 septembre à Yevlakh puis à celle du 22 septembre à Choucha entre Samvel Chahramanian et Ali Naghiyev), entre Ramin Mammadov, représentant de l’Azerbaïdjan pour les contacts avec les résidents arméniens vivant dans la région du Karabakh, et des représentants des résidents arméniens du Karabakh : Davit Melkumyan, alors membre du «Parti démocratique d’Artsakh» et «membre de la commission permanente des relations étrangères de l’Assemblée nationale d’Artsakh» et Sergey Martirosyan, alors «secrétaire du Conseil de sécurité d’Artsakh».

Réunion de 2heures et demi qui a abordé les questions suivantes :

– procédure d’accès aux soins pour les personnes seules ou âgées et coopération avec la Croix Rouge

– organisation d’une réunion d’un groupe de travail avec le vice-Premier ministre azerbaïdjanais sur la solution des problèmes sociaux, humanitaires, économiques et d’infrastructure

– organisation conjointe d’un service de santé par du personnel médical azerbaïdjanais et arménien 

– organisation conjointe d’un service de ravitaillement alimentaire par du personnel militaire azerbaïdjanais et arménien

– création d’équipes médicales mobiles composées de travailleurs azerbaïdjanais et arméniens accédant aux villages isolés

– organisation de visites de représentants de la société civile et d’activistes sociaux d’origine arménienne

– création d’une plate forme de dialogue avec la société civile.

En guise de conclusion, il semble bien que le démantèlement des institutions auto-proclamées du «Haut-Karabakh» marque le début de la fin d’un conflit territorial qui aura duré 35 ans. Mais à plusieurs conditions qui peuvent garantir une paix durable qui reste encore fragile :

– l’efficacité du dialogue entre l’État azerbaïdjanais et les représentants de la minorité arménienne de l’Azerbaïdjan et des mesures qui en découlent.

– l’absence de revendication territoriale supplémentaire de la part de l’Azerbaïdjan, la délimitation rapide des frontières entre les deux pays et son enregistrement officiel au niveau international.

– la mise en place par l’Arménie de voies de transport entre le Nakhitchevan et le reste de l’Azerbaïdjan, et par conséquent l’intégration arménienne au processus en cours de désenclavement économique et commercial de la région, en bonne intelligence avec tous ses voisins.

– la non ingérence étrangère et notamment des anciens tenants du statu quo et membres de l’ex groupe de Minsk : Russie, États-Unis et France.

Il n’y a pas de nettoyage ethnique au Karabakh. Les personnes qui se réfugient actuellement en Arménie font simplement le choix de refuser la nationalité azerbaïdjanaise. Et leur retour au Karabakh n’est pas encore exclu par l’État azerbaïdjanais. La violence qui s’exerce sur la minorité arménienne de l’Azerbaïdjan (les résidents ethniques arméniens du Karabakh) est celle de l’assimilation nationale : elle n’est, jusqu’à preuve du contraire, pas conduite par une volonté de destruction ou d’annihilation. Le défi du dialogue actuel est l’acceptation par ces habitants qu’on puisse être ethniquement arménien et Azerbaïdjanais de nationalité. Et que s’ils veulent être ethniquement arménien et Arménien de nationalité, cela ne peut se passer que sur le territoire souverain de l’Arménie.

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