Début novembre 2023, le ministre des Affaires étrangères serbe, Ivica Dacic, a exprimé sa détermination à ce que la Serbie devienne «un membre à part entière de l’Organisation internationale de la francophonie». Cette déclaration intervient à l’occasion d’une réunion avec les représentants du Groupe des ambassadeurs francophones (GAF), en amont du sommet bi-annuel de la Francophonie qui se tenait à Djerba à la fin du mois. Cet épisode illustre bien l’expansion politique de la langue française et des institutions qui lui sont rattachées, y compris dans des pays où la francophonie ne dispose pas d’une influence culturelle et linguistique reconnue. Les pays balkaniques se situent largement dans cette tendance. Toutefois, nous nous intéresserons spécifiquement aux Balkans occidentaux non-membres de l’UE, à savoir l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie. Bien qu’ayant des caractéristiques culturelles distinctes, ces États font face à des enjeux de développement, de coopération et d’intégration qu’il est possible de rapprocher et pour lesquels la francophonie peut jouer un rôle.
La pratique de la langue française a reculé mais des différences subsistent entre les pays
Alors que la francophonie balkanique nous évoque bien souvent la Roumanie au premier abord, il convient de rappeler que les Balkans ont, dans leur ensemble, une certaine tradition francophone, et plus largement francophile. Il nous revient néanmoins de nuancer cet héritage puisque la francophonie est dorénavant plus ou moins prégnante selon les pays de la région, d’autant que les frontières et les peuples se sont souvent déplacés au cours des derniers siècles et même des dernières décennies. L’OIF estime aujourd’hui les populations francophones à 4% de la population totale en Serbie (soit 245 000 personnes), 2% en Macédoine du Nord et au Monténégro (soit respectivement 43 000 et 13 000 personnes), et 1% en Albanie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo (soit respectivement 30 000, 26 000 et 26 000 personnes).
La France et la Serbie ont entretenu des liens culturels importants à travers l’histoire. Dès le 19e siècle, de célèbres écrivains français, comme Lamartine et Victor Hugo, séjournaient en Serbie et produisirent de véritables odes au peuple serbe, fort d’un courage immense dans sa lutte pour la liberté. Il s’ensuivit une lune de miel artistique entre les deux nations, qui vit défiler de nombreux peintres dont les influences se sont entremêlées. Au 20e siècle, l’alliance franco-serbe lors de la Première Guerre mondiale a renforcé les liens existants. Rapidement, les élites serbes ont appris le français et les échanges culturels se sont multipliés. Si le phénomène n’a plus l’ampleur d’antan et que les relations politiques entre les deux États ont perdu de leur superbe, le français reste une langue relativement répandue et enseignée comme langue étrangère à une partie non négligeable de la population.
Quant à l’Albanie, seul pays des Balkans occidentaux à ne pas être issu de la dislocation de la Yougoslavie, la tradition francophone et francophile y est probablement plus ancrée encore qu’en Serbie. Outre le soutien français à la cause kosovare, la France avait soutenu l’indépendance de l’Albanie dès la Première Guerre mondiale, lorsqu’elle occupait le Sud du pays, à l’époque disputé entre l’Autriche-Hongrie et la Grèce. Depuis cette date, le lycée français de Korça a formé un certain nombre d’élites locales, si bien que le Premier ministre albanais Edi Rama est francophone, tout comme son prédécesseur Sali Berisha et même le dictateur Enver Hoxha avant eux. En 1991, les autorités albanaises cherchent à s’ouvrir au multilinguisme et placent le français parmi les langues secondes dont l’enseignement fut alors obligatoire pendant un temps. Le français est actuellement la deuxième langue étrangère enseignée en Albanie.
Si un recul de la pratique de la langue française est observable dans les Balkans occidentaux, l’OIF s’est prononcée en 2019 en faveur d’un renforcement de la francophonie au sein de la région, surfant sur la dynamique multilingue qui caractérise cette vaste zone morcelée.
L’OIF rencontre un certain succès
Pour apprécier l’implantation politique de la francophonie, il faut désormais se pencher sur la présence de l’OIF dans la région. On constate alors que les 6 pays qui composent notre zone d’étude possèdent tous l’un des trois statuts proposés par l’OIF. Ainsi, l’Albanie et la Macédoine du Nord sont membres de plein droit, tandis que la Serbie et le Kosovo sont membres associés, et que le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine sont observateurs.
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