L’Asie centrale face à l’Afghanistan, quelles menaces exercées ?

L’Asie centrale face à l’Afghanistan, quelles menaces exercées ?
L’Asie centrale et l’Afghanistan, un terrain fertile pour le terrorisme
L’émergence et la consolidation du terrorisme en Asie centrale peut s’expliquer par un ensemble de facteurs. Sur le plan politique, dès la chute de l’URSS les régimes autoritaires, la corruption et la faiblesse des institutions ont nourri une méfiance envers l’État. Sur le plan social et culturel, le retour de l’islam dans les années 1990 a conforté une identité propre. À cela s’est ajoutée la marginalisation de certaines minorités et une part importante de la jeunesse sans emploi, ce qui facilite le recrutement. Sur le plan économique, une partie de la population vit dans la pauvreté. Cette situation est intimement liée au contexte politique, social et culturel, et les inégalités deviennent de plus en plus importantes. Enfin abordé lors de nos précédentes veilles, des facteurs géopolitiques renforcent l’instabilité : les pays d’Asie centrale font face à l’influence de puissances étrangères et les régions montagneuses qui constituent les frontières rendent difficile leur contrôle.
Pression sécuritaire venue d’Afghanistan
Frontalière au nord avec le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, l’Afghanistan est le pays le plus en proie à influencer l’instabilité de la région pour plusieurs raisons.
Depuis la prise de pouvoir des Talibans, l’Afghanistan constitue un État de facto dont la qualification terroriste n’est pas unanimement reconnue sur la scène internationale ; plusieurs acteurs, tels que la Chine et la Russie, entretiennent des relations pragmatiques avec le régime. Le pays abrite plusieurs organisations qualifiées de terroristes comme l’État islamique – Province du Khorassan (branche afghano-pakistanaise de Daech née en 2015), Al-Qaïda et d’autres groupes djihadistes. L’EI-K est une branche transnationale de Daech, ce qui signifie que l’organisation est liée au noyau central de l’État islamique tout en maintenant des liens avec l’Irak et la Syrie. Ces connexions renforcent la menace mondiale, y compris en Asie centrale et en Europe. Ces organisations cherchent à s’étendre au-delà de leurs frontières existantes notamment vers le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. D’autres groupes terroristes régionaux et locaux se sont aussi formés comme le Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO) et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO).
L’Afghanistan est aussi le premier producteur mondial d’opium et d’héroïne. Si la culture du pavot avait baissé de 95% après la reprise au pouvoir des Talibans en 2022, la situation semble avoir changé depuis 2024 avec une nouvelle augmentation des cultures de 19%. En effet, dans certaines zones rurales du pays les populations dépendent économiquement de cette culture. Malgré l’interdiction de la culture du pavot par les Talibans, le trafic de drogue reste une source de financement pour divers groupes armés, y compris l’EI-K, en raison de la persistance de réseaux criminels et de la demande internationale. Les routes de la drogue passant par l’Asie centrale, alimentent ainsi le financement du terrorisme. Les frontières montagneuses entre l’Afghanistan et ses voisins au nord sont de plus difficiles à contrôler, ce qui facilite les infiltrations de combattants, le passage d’armes et de drogues.
Enfin, l’EI-K s’est également modernisé pour recruter ses combattants. Ils utilisent les réseaux sociaux, des messageries cryptées mais aussi l’IA et des plateformes en ligne pour diffuser de la propagande, recruter et financer ses opérations. Au regard des moyens mobilisés, ces campagnes de radicalisation pourraient cibler particulièrement les jeunes d’Asie centrale et pourraient être diffusées sur des plateformes comme Telegram ou TikTok.
Une militarisation croissante pour pallier à ces enjeux sécuritaires qui révèle une dépendance extérieure
La pression sécuritaire venue d’Afghanistan est donc multidimensionnelle : menace terroriste, trafics d’armes et de drogues, cyber-radicalisation. Face à ces menaces multiformes, les États d’Asie centrale répondent par une militarisation croissante, mais cette stratégie révèle une dépendance problématique aux puissances extérieures. En effet, elle justifie la multiplication des exercices militaires et explique aussi pourquoi la Russie et la Chine cherchent à consolider leur influence sécuritaire sur l’Asie centrale.
A titre d’exemples, du 17 au 20 septembre 2025, le Kirghizistan a accueilli l’exercice « Rubezh-2025 », organisé par l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). En juillet 2025, la Russie et l’Ouzbékistan ont mené l’exercice « Hamkorlik-2025 ». Comme évoqué lors de nos précédentes veilles, la Chine intensifie ses coopérations militaires bilatérales en Asie centrale, en raison de ses préoccupations sécuritaires notamment le terrorisme et l’instabilité régionale.
Bien que majoritairement présents, la Chine et la Russie ne sont pas les seuls pays à organiser des exercices militaires axés sur la lutte contre le terrorisme. Du 4 au 9 août 2025, le Tadjikistan et le Pakistan ont organisé l’exercice « Friendship-2025 ». En septembre 2025, les forces spéciales de l’Azerbaïdjan, de la Turquie, de l’Ouzbékistan, du Kazakhstan et du Pakistan ont participé à l’exercice multilatéral « Endless Brotherhood IV »en Azerbaïdjan.
Tous ces exercices confondus visent à renforcer les coopérations en matière de défense nationale et de lutte contre le terrorisme. Ils permettent d’améliorer les capacités opérationnelles des forces armées et de répondre aux menaces sécuritaires régionales.
Quelles stratégies nationales en prévention ?
Des politiques nationales ont été élaborées pour faire face au terrorisme et aux mouvements extrémistes dans leur ensemble, et elles ne se limitent donc pas aux menaces provenant d’Afghanistan.
Dans les États d’Asie centrale, l’ensemble des faits religieux sont gérés et contrôlés par une structure étatique. Au Kirghizstan, le Conseil Islamique des oulémas et le Comité des affaires religieuses sont responsables des mosquées, des doctrines et sont en même temps surveillés par le Ministère de l’intérieur. Au Kazakhstan, le Ministère de l’éducation coordonne lui-même les seize madrasas (Cf. Océane Oria Pinheiro Boufenache).
Une surveillance plus importante sur internet, les réseaux sociaux vise à cibler les contenus extrémistes et la propagande en ligne. Des arrestations, saisie de littérature religieuse et refonte des lois sur la religion ont également lieu pour sanctionner ce qui est jugé comme « radical » ou « déviant ».
Pour cibler plus en amont et assurer un meilleur contrôle, le gouvernement kazakhstanais a par exemple établi plusieurs programmes menant des actions stratégiques concrètes comme des campagnes d’éducation, de sensibilisation à une éducation religieuse modérée, des formations, etc.
Certains États ont lancé des programmes de déradicalisation et de réinsertion. Toutefois, ces dispositifs restent très inégaux, souvent symboliques ou mal adaptés aux réalités locales, car ils manquent de coordination entre acteurs sécuritaires, religieux et sociaux.
Enfin, l’échange de renseignement est aussi primordial pour avancer dans cette lutte. Les services de renseignement jouent un rôle clé dans la prévention des attaques, souvent en coopération avec d’autres pays ou organisations internationales comme l’UE et l’ONU.
Ces stratégies nationales sont limitées. L’étatisation de l’islam peut conduire à un affaiblissement de la crédibilité des institutions religieuses « officielles ». Ces politiques peuvent engendrer des effets pervers : répression excessive, radicalisation de masse tel un « effet boomerang ». En cherchant à contrôler trop fermement la religion, les autorités aggravent également les divisions ce qui alimentent des discours extrémistes mettant en lumière la corruption des États et l’injustice.
À propos de l'auteur
Maya Néel
Biographie non renseignée