Arménie – Azerbaïdjan : un premier transit ferroviaire de grains depuis le Kazakhstan

Arménie - Azerbaïdjan : un premier transit ferroviaire de grains depuis le Kazakhstan
Après la pose de la première borne de délimitation frontalière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en mai 2024, le premier transit ferroviaire de grains depuis le Kazakhstan vers l’Arménie via l’Azerbaïdjan et la Géorgie est certainement le deuxième pas symbolique important dans l’instauration d’une paix durable au sud-Caucase. Annoncé par Ilham Aliev le 21 octobre depuis le Kazakhstan, et félicité par son homologue arménien, le Premier ministre Pachinian, au 5ème Forum de la Route de la Soie en Géorgie le lendemain, le premier convoi est arrivé à bon port ce 6 novembre (Hetq, Haqqin, Le Courrier d’Erevan).
Pour rappel, en août 2025, sous l’égide de Donald Trump, les deux pays ont signé la Déclaration de Washington octroyant aux États-Unis des droits exclusifs de développement du corridor dit « Route Trump pour la Paix et la prospérité internationales » – TRIPP, sur le territoire de l’Arménie. Il s’agit pour Pachinian d’une avancée majeure dans son projet de « Carrefour de la Paix comme pour Aliev en ce qui concerne son projet de « Corridor du Zanguezour ».
L’apaisement actuel des relations de l’Azerbaïdjan avec la Russie depuis le crash de l’avion de l’Azerbaïdjan Airlines le 25 décembre 2024 au Kazakhstan s’explique peut-être par cette avancée majeure. Cette liaison ferroviaire entre deux membres de l’Union Économique Eurasiatique que sont le Kazakhstan et l’Arménie laisse entrevoir la concrétisation progressive du projet de « corridor du Zanguezour » de l’Azerbaïdjan sur un axe est-ouest transcaspien. Mais la perspective d’une concrétisation du corridor Golfe persique – mer Noire sur un axe nord-sud en Arménie rend d’autant plus urgente l’avancée des discussions russo-azerbaïdjanaises sur l’autre projet de corridor nord-sud concurrent allant de l’Inde à la Russie, route commerciale ferroviaire et navale de 7200km depuis le port de Jawaharlal Nehru en passant par l’Iran permettant à la Russie de contourner les sanctions. Un ultime tronçon de 164km entre Rasht et Astara à la frontière irano-azerbaïdjanaise est encore manquant et promu par l’Iran.
La nécessité de ces discussions s’est traduite par la reconnaissance par Vladimir Poutine à Douchanbé le 9 octobre que la tragédie avait été causée par des « dysfonctionnements techniques du système de défense aérienne russe ». En échange de quoi, le responsable de Spoutnik en Azerbaïdjan, Igor Kartavykh, arrêté le 30 juin, a été relâché le 19 octobre. Des tensions similaires avaient eu lieu en 2022 quand l’Azerbaïdjan avait apporté officiellement son soutien à l’Ukraine : procédure pénale du Procureur général azerbaïdjanais contre un membre de la Douma, dénonciation de l’« impunité de la Russie en Ukraine » auprès de l’APCE, accusations russes de présence de laboratoires de recherche sur les armes biologiques sur le territoire azerbaïdjanais, refus de la prolongation de son permis de séjour dans le pays à la rédactrice en chef de Spoutnik Azerbaïdjan. Il s’agit là de soubresauts diplomatiques récurrents entre les pays parties prenantes de ce corridor international, les relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan pouvant être houleuses également selon les aléas de la politique internationale régionale. On peut ainsi rappeler qu’en octobre 2021 une crise entre les deux pays s’était résolue par la signature d’un accord gazier entre l’Iran, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan le mois suivant.
Ces différents épisodes mettent en exergue la politique azerbaïdjanaise de défense contre les influences étrangères qu’il s’agisse du discours islamiste chiite provenant d’Iran ou de la propagande pro-russe pour valoriser son propre narratif à l’intérieur du pays. Elle dispose pour cela d’un moyen de pression considérable puisqu’elle constitue le chaînon indispensable sur ce corridor permettant de cimenter la relation russo-iranienne, une position sur laquelle elle a tout intérêt à capitaliser.
La ligne de rapprochement arménienne avec son voisin azerbaïdjanais est maintenue par l’actuel dirigeant arménien qui a intérêt à une ouverture des frontières et du commerce avec la Turquie, et qui fait néanmoins face à une féroce opposition de l’Église apostolique arménienne, pilier de l’identité arménienne. Le Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens a repris le flambeau de l’opposition dans le pays réclamant la démission du chef de l’État depuis la défaite arménienne dans la dernière guerre de 44 jours et plus particulièrement depuis l’accord frontalier du 19 avril 2024. Nikol Pachinian a d’ailleurs invité les fidèles à renverser Karékine II en juin dernier et assiste désormais aux messes de Stepan Asatryan déclaré défroqué par le Saint Siège d’ Etchmiadzin.
Un phénomène illustrant la porosité des rapports Église / Etat dans ce petit pays caucasien voisin de l’Azerbaïdjan, pays où la sécularisation est bien ancrée et où on peut même constater une certaine forme de lutte contre le développement du poids culturel de l’islam dans la société.
De son côté, la France a accueilli l’Arménie les 29-30 octobre, à l’occasion du Forum de Paris sur la Paix, et Pachinian a été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron. Ilham Aliev a déclaré le 16 octobre dernier que les malentendus passés entre la France et l’Azerbaïdjan avaient été dissipés. La France saura-t-elle procéder à un rééquilibrage de ses positionnements diplomatiques profitable aux entreprises françaises dans cette région ?
À propos de l'auteur
Morgan Caillet
Morgan est socio-anthropologue de formation, diplômé de l’IEP d’Aix en Provence en Management interculturel et médiation religieuse et de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques en gestion de projets internationaux. Il mène une recherche indépendante sur la résolution des conflits et la construction de la paix dans la région sud-caucasienne.



