La Géorgie face au resserrement autoritaire et à l’érosion de son ancrage occidental

Gouvernance et relations extérieures : un dialogue occidental sous tension
La séquence de décembre confirme la dégradation accélérée des relations entre Tbilissi et ses partenaires occidentaux, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni. La rencontre (12/12) entre l’ambassadrice géorgienne aux États-Unis, Tamar Taliashvili, et le sénateur républicain Markwayne Mullin intervient dans un contexte de blocage persistant du MEGOBARI Act, pourtant adopté à une large majorité à la Chambre des représentants.
L’opposition de Mullin, ancien critique virulent du Georgian Dream, illustre un affaiblissement du consensus bipartisan pro-géorgien à Washington. En privilégiant une logique d’« engagement » avec le Premier ministre Irakli Kobakhidze plutôt que des sanctions, le sénateur contribue de facto à la paralysie du dispositif coercitif américain, alors même que l’opposition géorgienne tente de maintenir un canal avec le Sénat et le Département d’État.
En parallèle, les relations avec le Royaume-Uni se sont brusquement tendues après un reportage de la BBC sur l’usage présumé de substances chimiques lors de la répression des manifestations de 2024. La réaction du Premier ministre géorgien, exigeant des excuses officielles et qualifiant la diplomatie britannique de « souveraineté-dépréciée », marque un durcissement rhétorique souverainiste, désormais assumé au plus haut niveau de l’exécutif.
État de droit et contestation : la normalisation de l’exception
Sur le plan interne, le Georgian Dream poursuit une institutionnalisation progressive de la répression. Les amendements adoptés le 10 décembre par le parlement contesté étendent les restrictions au droit de manifester aux zones piétonnes et renforcent les pouvoirs du ministère de l’Intérieur, désormais chargé d’autoriser – ou de rediriger – les rassemblements, y compris spontanés.
La transformation des infractions liées aux manifestations en motifs de détention administrative quasi automatique, pouvant atteindre 20 jours pour les organisateurs, traduit une criminalisation assumée de la protestation pacifique. Les critiques de la Georgian Young Lawyers’ Association et les mises en garde antérieures de l’OSCE/ODIHR soulignent l’incompatibilité croissante de ces mesures avec les standards européens.
Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de mobilisations continues depuis l’annonce du gel du processus d’intégration européenne, auxquelles le pouvoir répond par un resserrement juridique et policier, destiné à épuiser le cycle protestataire plutôt qu’à le contenir ponctuellement.
Recomposition étatique et contrôle de l’espace politique
Le projet de création d’un vaste « Government Town » à Tbilissi, regroupant l’ensemble des institutions centrales de l’État, révèle une autre dimension de cette stratégie. Officiellement présenté comme un outil de modernisation administrative et d’efficacité des services publics, le projet évoque, pour ses détracteurs, une recentralisation spatiale du pouvoir, dans un contexte où les lieux symboliques de la contestation – notamment autour du Parlement – demeurent des foyers de mobilisation.
Le précédent du déplacement du Parlement à Koutaïssi sous le gouvernement UNM, perçu a posteriori comme une tentative de dispersion des protestations, alimente les soupçons d’un usage politique de l’aménagement institutionnel.
Enfin, la réforme radicale de l’enseignement supérieur annoncée par le gouvernement confirme l’extension de la logique de contrôle à l’espace académique. Suppression du système de vouchers, financement direct des universités publiques, limitation des filières et exclusion programmée des étudiants étrangers dessinent une reprise en main étatique du champ universitaire.
La justification idéologique avancée par le Premier ministre, dénonçant le « libéral-fascisme » et les universités comme vecteurs de manipulation extérieure, alimente les craintes de purges politiques, d’atteintes à l’autonomie académique et d’un alignement de l’enseignement supérieur sur des impératifs strictement étatiques et économiques.
Dynamiques régionales : fragilisation du rôle géorgien de hub
Sur le plan régional, les accusations relayées par des médias pro-gouvernementaux azerbaïdjanais concernant des entraves au transit et des pressions tarifaires sur les flux énergétiques à destination de l’Arménie mettent en lumière la vulnérabilité croissante de la position géorgienne.
Ces tensions interviennent dans le contexte du projet de Trump Route for International Peace and Prosperity (TRIPP), destiné à relier l’Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan via l’Arménie, contournant ainsi la Géorgie. Si Tbilissi a officiellement rejeté les accusations, la décision d’autoriser un transit gratuit ponctuel de carburant suggère une réaction défensive, révélatrice d’une perte de levier stratégique, notamment face à la dépendance énergétique vis-à-vis de Bakou.
À propos de l'auteur
Alexis de Varax
Alexis de Varax est analyste géopolitique. Il est diplômé en géopolitique et philosophie, spécialisé dans les dynamiques politiques du Caucase et de l'Europe de l'Est. Il contribue à la production de veilles géopolitiques hebdomadaires et d'analyses approfondies sur les relations internationales et les enjeux contemporains dans les pays post-soviétiques.



