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Hadramaout : rivalités saoudo-émiraties sur fond de pétrole et de tribalisme

Publié le 10/12/2025
5 min de lecture
Par Lucas Calmon Miranda
Asie de l'ouest et Monde arabe
Hadramaout : rivalités saoudo-émiraties sur fond de pétrole et de tribalisme

Hadramaout : rivalités saoudo-émiraties sur fond de pétrole et de tribalisme

Un bras de fer entre les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite a plongé l’Hadramaout, un gouvernorat de l’est du Yémen, dans un conflit opposant le Conseil de transition du Sud (CTS) aux forces tribales dissidentes. Derrière cette escalade, des enjeux pétroliers et une ingérence croissante fragilisent l’accord de Riyad, signé en 2019 entre le CTS et le gouvernement reconnu.

En 2013, à la suite de l’assassinat du cheikh Sa’d bin Habrich à Sayoun, les tribus de l’Hadramaout ont formé une alliance destinée à représenter les communautés locales et à défendre leurs intérêts politico-économiques. Le cheikh Amr bin Habrich en a pris la tête, qu’il a conservée jusqu’en novembre 2025. Sous sa présidence, l’Alliance tribale de l’Hadramaout (ATH) s’est majoritairement alignée sur le gouvernement reconnu par l’ONU et opposée au CTS, pour des raisons essentiellement économiques. La deuxième région militaire est ainsi restée sous influence saoudienne depuis plus de dix ans, occupant une place stratégique dans la politique de Riyad.

Territoire placé sous l’autorité du Conseil de direction présidentiel, l’Hadramaout occupe une place géostratégique centrale aux yeux de Mohammed Ben Salman. Sa superficie, nettement supérieure à celle des autres régions, en fait un pivot territorial majeur. Deuxième région pétrolière du pays, elle s’étend de la frontière saoudienne jusqu’au golfe d’Aden, offrant à Riyad un accès potentiel à l’océan Indien en contournant le détroit d’Ormuz. Cette position dominante faisait des tribus hadramies un allié indispensable pour l’Arabie saoudite, qui comptait sur elles pour contenir l’influence croissante du Conseil de transition du Sud, soutenu par Abou Dhabi.

Cependant, depuis plusieurs mois, le Conseil de direction présidentiel se trouve fragilisé par la corruption au sein du gouvernement reconnu internationalement et par les ambitions croissantes du CTS. L’incapacité d’Al-Amini à répondre aux crises politiques et économiques a provoqué des divisions et des tensions internes, notamment entre le camp soutenu par les Émirats arabes unis et le reste de la présidence, aligné sur l’Arabie saoudite.

La suspension des exportations pétrolières yéménites a conduit Aden à acheter du pétrole à l’entreprise hadramie PetroMasila afin d’alimenter ses centrales électriques. Selon un média local, la Masila Exploration and Production Company (MEPCO), nom officiel de PetroMasila, aurait détourné plus de 1,2 milliard de dollars depuis sa création en 2011. Bien que son siège soit officiellement à Sanaa, l’entreprise aurait été exposée à la corruption du gouvernement houthi, avec la complicité d’Al-Amini et supposément celle d’Amr bin Habrich, surnommé le « Tsar du pétrole » par The New Lines Magazine.

Les tensions au sein de la gouvernance, combinées à l’exploitation des ressources hadramies par divers acteurs politiques yéménites, ont poussé l’Alliance tribale du Hadramaout (ATH) à voter pour la succession d’Amr bin Habrich, accusé d’avoir « changé la trajectoire de l’alliance » et provoqué de « graves crises sécuritaires et politiques » dans la région. Le 29 novembre, l’assemblée a désigné le cheikh Khalid al-Kathiri comme successeur, une décision favorable aux Émirats arabes unis. Sa nomination a été soutenue par plusieurs chefs tribaux locaux et responsables pro-CTS, marquant ainsi un revirement régional significatif.

Le basculement de l’ATH en faveur d’Abou Dhabi a immédiatement reconfiguré les rapports de force dans la région, ouvrant la voie à une intervention militaire du CTS. Le même jour, l’Alliance des tribus du Hadramaout a annoncé son intention de prendre d’assaut les champs pétroliers du bloc 14 de PetroMasila. Dès le début de l’offensive, le CTS a profité de la discorde interne pour s’emparer du sud de l’Hadramaout, notamment de la ville de Seyun, deuxième centre urbain de la région. Tout en affirmant vouloir apaiser les tensions et répondre à l’insécurité chronique, les forces soutenues par les Émirats arabes unis ont hissé le drapeau indépendantiste du Sud-Yémen dans chaque territoire occupé. Elles auraient également saisi les infrastructures de PetroMasila autour de la capitale régionale, alors même que le Conseil de direction présidentiel avait déjà conclu un accord sur leur gestion

Cette offensive semble avoir été préméditée, avec ou sans la complicité de membres de l’alliance tribale, dans le but d’élargir la zone d’influence du CTS. L’instauration d’un statu quo reste incertaine, mais il est indéniable que les équilibres territoriaux du Yémen ont été profondément modifiés ces derniers jours. Selon The Sufan Center, les groupes soutenus par les Émirats arabes unis auraient désormais pris le contrôle des côtes longeant le golfe d’Aden, privant ainsi l’Arabie saoudite de son accès direct à l’océan Indien. Les forces pro-saoudiennes se retrouvent contraintes de se replier vers le nord-est du pays, perdant leur autorité sur une partie de l’Hadramaout ainsi que sur l’intégralité du gouvernorat d’Al Mahrah. 

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, mais le coup de force orchestré par les Émirats arabes unis annonce une nouvelle cristallisation du territoire yéménite, désormais fragmenté en trois fronts. Les avancées du CTS renforcent par ailleurs l’hypothèse d’une future indépendance du Sud Yémen. Dans ce contexte, les Houthis tirent un avantage indirect mais réel de l’affaiblissement du camp anti-houthiste, sans avoir eu à lancer la moindre offensive.

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