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Arabie saoudite et enjeux de pouvoir au Yémen

Publié le 07/10/2025
5 min de lecture
Par Lucas Calmon Miranda
Asie de l'ouest et Monde arabe

Alors que l’escalade entre les Houthis et Israël se poursuit, les partis du gouvernement yéménite reconnu internationalement (GRI) se divisent. L’Arabie Saoudite profite de cette période de troubles pour se positionner en médiateur de la crise politique qui oppose le Conseil de direction présidentiel (CDP) au Conseil de transition du sud (CTS). Lors d’une interview accordée à Sky News, Aidarous Al Zubaidi a évoqué l’éventualité de se séparer du CDP et d’émettre son propre décret présidentiel. Il a accusé ses opposants de promouvoir la “corruption et le terrorisme”. Il a également avancé que le CDP avait été absent ces trois dernières années” et que certains ministères, en l’absence de siège, n’ont jamais eu de représentation à Aden. Face au désordre de la présidence, le ministre a donc appelé à “s’adresser au peuple et à exprimer sa volonté dans les gouvernorats totalement libérés.”

Le gouvernement est victime, depuis 2014, d’une crise économique sans précédent, due à la guerre civile et à l’expansion continue des houthis dans la gouvernance du pays. Exilé de sa capitale par la présence d’Ansar Allah dans le nord-ouest du Yémen, le GRI subit des pertes fiscales constantes depuis le début du conflit. Le commerce d’hydrocarbures, qui représente entre 70 et 80% des recettes publiques, est le premier secteur ciblé par les houthis. Depuis la fin des années 2010, un blocus touche les oléoducs et gazoducs du GRI: Par l’intermédiaire de points de contrôles, les ennemis du GRI saisissent les camions quittant les gouvernorats de Hadramout, de Marib et de Shabwa. 

L’économie étatique est également affectée par la fragmentation entre les régions contrôlées par le GRI et les régions houthistes. Tandis que les banques des gouvernorats du sud et du centre sont encore gérées par le gouvernement reconnu, les banques du nord-ouest du pays servent à blanchir les revenus des réseaux hawala houthistes. Cette fragmentation du système bancaire yéménite et de l’économie, couplée aux sanctions américaines sur le réseau économique contrôlé par les houthis, a provoqué, selon des sources locales, la chute de la monnaie à 2900 rial / USD, à la mi-juillet. En conséquence, la Banque centrale yéménite, déplacée à Aden en 2016,  a pris des mesures à l’encontre de l’usage de monnaies étrangères, servant à la spéculation financière au détriment de la stabilité économique. Il pourrait s’agir d’une tentative de sabotage de la devise du pays par Ansar Allah: en août, après la forte dépréciation du rial yéménite, les houthis ont annoncé la production de nouvelles monnaies produites par la Banque centrale de Sanaa. L’introduction d’une pièce de 50 rial et l’annonce d’un billet de 200 rial pourraient marquer le déclenchement d’une guerre monétaire, susceptible de fracturer durablement l’économie yéménite.

Le 20 septembre, en réaction à l’accélération de la guerre économique et aux divisions internes au GRI, l’Arabie saoudite a annoncé l’envoi de 368 millions de dollars, par le biais du Programme saoudien de développement et de reconstruction du Yémen (SDRPY). Cette aide financière, saluée au sein du GRI, vise à stabiliser l’économie et à relancer le développement après les revers récents. Cela sert également les intérêt de Mohammed ben Salman, qui se positionne en médiateur de la crise politique et en sauveur de l’économie yéménite aux yeux de l’ensemble du GRI, notamment le CTS. Al Zubaidi lui a adressé, sur X, sa profonde gratitude pour ce “soutien fraternel” en réaction à la menace houthiste.

Face au renforcement des houthis et à leur menace croissante pour la survie de la présidence, il apparaît crucial pour l’Arabie saoudite de maintenir un soutien financier régulier au gouvernement reconnu pour préserver sa stabilité. Riyad, fort de son accord de défense mutuelle avec le Pakistan, semble vouloir se repositionner au Yémen comme garant du financement et de la continuité du gouvernement officiel. Dans cette optique, le contrôle du détroit de Bab El Mandeb revêt une importance stratégique. Il n’est pas dans l’intérêt du gouvernement saoudien de soutenir directement les offensives israéliennes et américaines sur le Yémen, compte tenu de l’accroissement des tensions avec Israël et de la puissance du gouvernement de Netanyahou. C’est pourquoi le choix de soutenir économiquement le GRI est également opportun et vital pour le maintien de la crédibilité régionale de l’Arabie saoudite. Doit-on s’attendre à une recrudescence de l’interventionnisme saoudien au Yémen ou, du moins, à une nouvelle guerre par procuration avec son rival iranien ?

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