РусскийFrançaisEnglish
  
     
         
Blog

La triple instrumentalisation du conflit du Karabakh au dernier Sommet de la Francophonie 2022

L’Organisation Internationale de la Francophonie a été le théâtre d’une immixtion du conflit arméno-azerbaïdjanais dans les discussions de son dernier Sommet réuni à Djerba en Tunisie les 19 et 20 novembre 2022. L’Arménie a, en effet, obtenu le statut d’État associé de l’organisation en 2008 lors du Sommet du Québec après avoir obtenu le statut de membre observateur en 2003 lors du sommet de Ouagadougou et avant de devenir le 54ème État membre en 2012 lors du sommet de Kinshasa. Elle a par ailleurs accueilli le sommet de la Francophonie à Erevan en 2018. L’Azerbaïdjan, pays dans lequel le français est la 3ème langue enseignée, n’est pas membre de l’OIF, malgré la présence d’une Université franco-azerbaïdjanaise, (UFAZ), d’un lycée français à Bakou, d’un Institut français, d’une semaine de la francophonie chaque année au mois d’avril et d’un nombre de locuteurs qui ne doit pas être très différent de celui de son voisin (0,3 % de locuteurs en Arménie seulement selon l’OIF).

Mais son allié balkanique albanais, lui, l’est qui a rejoint l’organisation en 1999, et qui a vivement réagi aux tentatives arméniennes de discréditer son adversaire historique de la région sud-caucasienne. L’Albanie a, en effet, demandé à revenir sur les paragraphes relatifs à l’Arménie apparaissant dans le projet de résolution sur les crises de la francophonie.

Ces paragraphes qui ont été salués par le ministre arménien des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan, dans son discours à l’occasion de la 43ème session du Forum ministériel de la Francophonie le 18 novembre dernier, ont fait l’objet d’une réaction de l’Azerbaïdjan qui a dénoncé une «déclaration provocatrice pleine de distorsions» et des «dispositions provocatrices unilatérales, biaisées et déformées contre l’Azerbaïdjan […] incluses avec le soutien direct de la France aux textes initiaux» tout en saluant et exprimant sa gratitude concernant «l’intervention de plusieurs États membres lors de la discussion des projets de documents» ayant permis la suppression de dispositions et de formulations ciblant l’Azerbaïdjan dans les textes.

Que s’est-il donc passé en novembre dernier lors de ce sommet en Tunisie pour que l’Azerbaïdjan déclare : «Dans le cadre du processus de négociations autour des documents, des pressions politiques supplémentaires et des mesures de dissuasion contraires à la pratique diplomatique ont été prises par la France contre les pays qui s’opposaient aux dispositions unilatérales, biaisées et déformées contre l’Azerbaïdjan» informant qu’«il [avait] été signalé que le projet de document avait été approuvé pour être soumis au Sommet, ignorant les objections, violant les procédures de prise de décision et ne tenant pas compte des positions des États membres» ?

Quelques précédents concernant l’espace francophone et le conflit du Karabakh…

L’Arménie a tissé progressivement des liens forts avec l’organisation. Dès 1998 la ville d’Erevan est devenue membre de l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF). En 2009, l’Arménie a adhéré au Centre régional de la Francophonie en Europe centrale et orientale (CREFECO) et l’Assemblée nationale de la République d’Arménie est devenue membre associé de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). En 2013 elle a adhéré au Réseau des Structures et Institutions nationales en charge de la Francophonie en Europe centrale et orientale (RESIFECO) créée la même année et elle a signé un mémorandum de coopération éducative avec l’Ambassade de France en Arménie. Elle a accueilli aussi la 31ème session de la Conférence ministérielle de la Francophonie en 2015 pour le 100ème anniversaire du génocide arménien. La même année, elle a commencé à participer à l’Union des Conseils Économiques et Sociaux et Institutions Similaires Francophones (UCESIF) et à l’Association des Ombudsman et des Médiateurs de la Francophonie (AOMF).

Lors du 13ème sommet de la Francophonie à Montreux en Suisse en 2010 une résolution sur les «situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix dans l’espace francophone» a été prise par les chefs d’État de la Francophonie qui avaient déjà pris la position suivante sur le conflit en question : «Nous affirmons notre plein soutien aux efforts des co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE en vue du règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh. Nous appelons toutes les parties au conflit à s’abstenir de toute tentative de recours à la menace ou à l’emploi de la force qui risquerait de compromettre l’avenir du processus de paix ; nous les invitons à poursuivre les négociations sur la base des principes proposés par les co-présidents du Groupe de Minsk comme fondement d’une solution équilibrée et durable de ce conflit», une position maintenue lors de tous les sommets de la Francophonie suivants (Kinshasa, Dakar, Antananarive et Erevan).

Il faut mentionner aussi les nombreuses visites en Arménie, et parfois même dans l’enclave du Karabakh par tout le spectre politique français : de Valérie Pecresse le 22 décembre 2021 (en présence de Michel Barnier et de Bruno Retailleau), désormais persona non grata en Azerbaïdjan et soutenue ensuite par Jean-Yves le Drian le ministre des Affaires étrangères français suite aux mises en garde azerbaïdjanaises, Eric Zemmour en compagnie de Philippe de Villiers les 14 et 15 décembre 2021 pour, selon ses propos «défendre une terre chrétienne», Laurent Wauquiez le 29 mars dernier, qui a rencontré le «ministre des Affaires étrangères du Haut-Karabakh» Sergeï Ghazarian, et déclaré qu’«une attaque contre Siounik équivaudrait à une attaque contre Auvergne-Rhône-Alpes», et le soutien affiché de nombreuses personnalités de la gauche française comme Anne Hidalgo qui a rencontré le «président du Haut-Karabakh» autoproclamé le 28 mai 2022 entraînant une nouvelle convocation de l’ambassadeur français, ou le maire PS de Marseille Benoît Payan déclarant le 24 avril dernier : «Nous sommes à leurs côtés [les Arméniens] pour combattre aujourd’hui ceux qui veulent à nouveau les faire disparaître». Par ailleurs, les élections présidentielles françaises sont presque toutes marquées depuis des décennies par une cour assidue des candidats auprès de la minorité arménienne, en dépit des discours anti-communautaristes de la classe politique française quand il s’agit de cibler les musulmans français et alors même que toutes les études montrent qu’il n’existe pas de vote musulman en France. Emmanuel Macron déclarait même en mars 2022 à l’occasion de la conférence «Ambitions : Arménie France» à Paris : «Beaucoup de collectivités souhaitaient, on le sait bien, pouvoir apporter des projets à l’Arménie, au Haut-Karabakh aussi. C’était pleinement légitime […] Avec ce fonds de concours, nous allons donner un cadre stable, identifié avec, je dirais, l’appui plein et entier de l’Etat, la diplomatie française».

On aura noté également les résolutions du Sénat et de l’Assemblée nationale française fin 2020 demandant la reconnaissance de l’indépendance du «Haut-Karabakh» par l’État français. Le 9 novembre dernier, une nouvelle ambassadrice française en Azerbaïdjan était nommée en remplacement de Zacharie Gross, en la personne de Anne Boillon. Le 15 novembre, le Sénat adoptait à 295 voix pour et 1 contre une proposition de résolution visant à appliquer des sanctions contre l’Azerbaïdjan et à exiger son «retrait immédiat du territoire arménien» et réaffirmant la nécessité de «reconnaître la République du Haut-Karabakh» et de faire de cette reconnaissance un «instrument de négociations en vue d’instaurer une paix durable». Le 30 novembre 2022, c’est l’Assemblée nationale française qui adoptait à l’unanimité (par 256 voix pour et 0 contre) la résolution n°37 «visant à exiger la fin de l’agression de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’Arménie et à établir une paix durable dans le Caucase du Sud» invitant le gouvernement à œuvrer en faveur d’un déploiement d’une force d’interposition internationale au Karabakh, à considérer l’imposition de sanctions économiques personnelles et à étudier le renforcement des capacités de défense de l’Arménie. La France est aussi l’un des pays (une trentaine au total) qui a reconnu le génocide arménien, au grand dam de la Turquie, en 2001. Autant de faits qui ont fait dire à juste titre au ministre de la Défense azerbaïdjanais le 30 mars dernier : «Aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne que l’Arménie a deux principaux alliés dans le monde, l’un d’eux est la France et le second l’Iran».

Le projet de résolution sur les crises de la Francophonie 2022

Dans le cadre du Sommet, Nikol Pachinian, le Premier ministre arménien, a tenu plusieurs réunions bilatérales, notamment avec le président du Conseil européen, Charles Michel, le président français, Emmanuel Macron, et le Premier ministre canadien Justin Trudeau qui a annoncé l’ouverture d’une ambassade dans le pays. Lors de son discours, il a dénoncé les «pressions injustifiées et non provoquées» de l’Azerbaïdjan et appelé à condamner «l’occupation de parties du territoire arménien» et exiger «le retour des forces azerbaïdjanaises à leurs positions antérieures».

Vous devez souscrire à un abonnement EurasiaPeace pour avoir accès au contenu - Prendre votre abonnement
Previous Article

Politique intérieure du Bélarus et prisonniers politiques – Point de situation au 17/05/2023

Next Article

Conflit Abkhazie et Ossétie du sud / Géorgie – Point de situation au 19/05/2023