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La politique énergétique européenne – de l’interdépendance à la dépendance énergétique vis-à-vis du partenaire russe ?

Le déclenchement de la guerre en Ukraine par l’offensive russe le 24 février 2022 a ramené la guerre sur un territoire qui n’en avait pas connu depuis près de 80 ans. Néanmoins, l’une des conséquences directes de cette guerre est la crise énergétique, qui avait déjà commencé fin 2021 et qui s’est exacerbée dans ce contexte géopolitique instable. Consciente de sa dépendance à l’égard de certains hydrocarbures russes – tels que le gaz et le pétrole – l’Union européenne a cherché à pallier cette situation à travers diverses politiques énergétiques européennes. Néanmoins, cette situation à laquelle l’UE est confrontée ne semble pas être sans précédent, puisque l’annexion de la Crimée en 2013-2014 avait déjà suscité quelques inquiétudes quant à la fiabilité du partenaire russe. Plus tôt encore, les crises gazières qui ont frappé l’Ukraine en 2006 – et qui l’ont empêchée de fournir à l’UE des ressources énergétiques en provenance de Russie – ont conduit l’Union européenne à trouver des alternatives pour pallier ce problème. Il semble que ce problème énergétique ne soit pas nouveau et trouve ses racines dans des considérations plus anciennes. Comment la politique énergétique européenne a-t-elle donc été façonnée depuis la fin des années 2000 ? Dans quelle mesure l’Union européenne a-t-elle ou non anticipé cette problématique ?  Si l’on parlait de co-dépendance ou d’interdépendance énergétique entre l’Union européenne et la Russie, peut-on en dire autant aujourd’hui ? Une dépendance énergétique européenne s’est-elle développée et, si oui, quelles en sont les caractéristiques ? Comment l’UE a-t-elle cherché à l’initier ou à l’éviter ?

Tout d’abord, il apparaît que le contexte de l’après-guerre froide a conduit l’Union européenne et la Russie à assurer une relation cordiale pour éviter les atrocités d’un vingtième siècle sur le point de s’achever. Cette période a vu l’effondrement du bloc soviétique en 1991, la libéralisation du marché européen de l’énergie, la reconstruction progressive des pays satellites de l’ex-URSS et la consolidation graduelle de l’Union européenne, ce qui a conduit à la signature de contrats énergétiques entre l’UE et la Russie au début des années 2000. La question de la dépendance énergétique n’était donc pas une urgence pour l’UE. Dans ce contexte, la Russie avait tout à gagner à chercher à se reconstruire en développant des partenariats stratégiques, à commencer par son environnement immédiat. De même, l’UE voyait ses besoins s’accroître – comme l’UE elle-même s’est élargie avec la vague d’intégration des pays d’Europe centrale et orientale en 2004 – et le partenaire russe, de par sa proximité géographique, pouvait être un allié essentiel. Or, c’est précisément à partir du début des années 2000 que la question de la dépendance énergétique commence à se poser.

Si celle-ci est rapidement étouffée, il n’en demeure pas moins que les chiffres d’EUROSTAT montrent que cette codépendance se transforme progressivement en dépendance, puisque les chiffres de l’Institut montrent que la dépendance énergétique européenne s’élevait à 47,8[1]% en 2000 et à 54,1 % en 2010. Néanmoins, la première partie des années 2010 se caractérise par la volonté européenne de développer certains aspects stratégiques de sa politique énergétique, à savoir assurer une efficacité énergétique sûre, durable et efficace et chercher à développer les énergies renouvelables sur son territoire. Ainsi, pendant près de 20 ans – des années 1990 aux années 2010 – l’UE a été presque indifférente aux risques de dépendance qui pourraient survenir à long terme. De plus, le couple franco-allemand, caractéristique de la construction européenne, a été un élément supplémentaire de cette dépendance progressive dans la mesure où les années 2000 et 2010 ont conduit l’Allemagne à développer leur partenariat énergétique avec la Russie, aboutissant à la construction d’un premier gazoduc, Nord Stream 1, puis d’un second qui n’est cependant toujours pas en service, Nord Stream 2. Ce qui était censé permettre un meilleur approvisionnement énergétique de l’UE s’est progressivement transformé en une forme de dépendance dont une grande partie du bloc européen – principalement la Pologne et les États baltes – avait mis en garde contre les risques à long terme.

Cette dépendance a été exacerbée par le fait que Moscou était le principal fournisseur de l’Union. En effet, les autres partenaires énergétiques européens tels que la Norvège, l’Algérie et certaines régions du Moyen-Orient étaient de plus en plus considérés comme des partenaires minimaux, bien que toujours essentiels par Bruxelles. L’annexion de la Crimée en 2014 n’a pas non plus conduit à une prise en compte des questions de dépendance énergétique, malgré les signaux croissants de la communauté scientifique. Par ailleurs, les politiques énergétiques européennes du début des années 2010 ont été principalement guidées par le contexte international avec les conclusions inquiétantes des différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ainsi, la politique ” 20-20-20 ” de l’UE, visant à réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre (GES), à porter à 20% la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen et à améliorer de 20% l’efficacité énergétique, a été mise en place à cette époque. Dans l’ensemble, l’UE a réussi à atteindre ou à dépasser cet objectif, notamment en termes de réduction des émissions de GES, qui ont été réduites de 33 %. Cette période a également été caractérisée par l’accent mis sur l’amélioration de la sécurité de l’approvisionnement énergétique, en fixant un objectif contraignant d’au moins 27 % d’énergies renouvelables dans sa consommation énergétique.

Cependant, bien que ces politiques énergétiques européennes, insérées progressivement et rendues possibles par une meilleure compréhension du marché européen de l’énergie, il n’en demeure pas moins que l’UE n’a pas réussi à atteindre tous ces objectifs ni même à anticiper l’interdépendance énergétique qui se transformait de plus en plus en dépendance énergétique. L’une des limites explicatives est ancrée dans des considérations juridiques.

En effet, la compétence énergétique est une compétence dite ” partagée “, c’est-à-dire partagée entre l’Union européenne et les États membres, ce qui ne permet pas toujours le consensus, les gouvernements nationaux ayant une marge de manœuvre. En outre, les spécificités et les diversités des mix énergétiques au sein de l’UE limitent les possibilités de consensus et de cohérence pour parvenir à une politique énergétique européenne unifiée. Alors que certains pays d’Europe centrale et orientale, comme la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie, continuent d’utiliser le charbon et ont encore une part trop élevée de pétrole dans leur mix énergétique, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas ont davantage recours aux énergies renouvelables.

Cependant, ces disparités peuvent également s’expliquer par des inégalités géographiques, puisque certains États disposent de ressources énergétiques, comme la France avec son parc nucléaire, alors que la Pologne, du fait de sa géographie et de ses politiques publiques antérieures, ne dispose pas de cet avantage. Les inégalités de mix énergétique entre les gouvernements nationaux expliquent également pourquoi la dépendance énergétique n’était pas la principale préoccupation de l’Union à l’époque, ce qui a conduit à la révélation de cette dépendance comme un véritable problème européen.

D’ailleurs, on reproche aujourd’hui à l’Union européenne d’avoir mené une politique très libérale sur les questions énergétiques, mettant ainsi de côté la question sociale. Celle-ci est désormais l’un des enjeux de la crise énergétique, comme en témoigne la hausse exacerbée des prix de l’énergie depuis février dernier, alors même que cette hausse avait déjà commencé en septembre 2021 en raison de la relance économique post-Covid 19.

Ainsi, la question de la dépendance énergétique en tant que telle n’a pas fait l’objet d’une politique publique concrète et argumentée au niveau européen. Les limites évoquées ci-dessus peuvent constituer des justifications et des éléments de compréhension de cette politique énergétique européenne ambitieuse mais empêchée par ses propres limites internes.

Le Pacte vert pour l’Europe est le fil conducteur de sa politique énergétique au niveau européen. Si cette politique fait plus référence à l’aspect climatique qu’à l’énergie, elle permet au moins d’appréhender et d’étudier les législations qui en découlent, comme le plan “Fit-for-55“, qui a permis de souligner le nouvel esprit européen dans le domaine énergétique.

Toutefois, il convient de souligner le paradoxe apparent dans le cadre de ce projet, qui se veut inclusif et sensible à tous les défis énergétiques de l’UE, alors même que le projet omet le problème de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, qui s’élève à près de 60,6 % en 2019.

En effet, il a fallu attendre l’offensive russe en Ukraine le 24 février dernier pour qu’un véritable tournant et une prise de conscience européenne des risques de la dépendance énergétique apparaissent. C’est donc dans le contexte de cette guerre que l’UE s’interroge sur la fiabilité de son principal fournisseur d’énergie. De plus, l’opinion publique européenne exige également un changement de position et d’attitude, constituant ainsi un élément de pression supplémentaire sur Bruxelles. La crise énergétique croissante et les menaces de coupures d’énergie en provenance de Moscou ont accéléré les processus décisionnels au niveau de l’UE, ce qui s’est traduit par une série de mesures législatives. En mai de cette année, Ursula von der Leyen a présenté le plan RePowerEU, qui vise à rompre la dépendance énergétique de l’UE vis-à-vis de Moscou. Ce plan reconfigure la position et la stratégie européennes, en insistant sur la nécessité de diversifier les approvisionnements énergétiques et de déployer les énergies renouvelables à plus grande échelle en Europe.

Cependant, malgré le chemin minimal à parcourir, des premières analyses peuvent être faites. En effet, l’UE se rapproche de régimes politiquement instables ou douteux – sinon contraires aux valeurs européennes – tels que l’Iran ou le Venezuela, ce qui pose la question de la crédibilité de l’Europe à concilier ses principes et ses urgences.

Par ailleurs, la signature de contrats à long terme de gaz naturel liquéfié (GNL) avec les États-Unis soulève également des questions sur les effets à long terme de ce nouveau partenariat, nous amenant à nous demander si nous n’assistons pas à un transfert de cette dépendance énergétique de la Russie vers les États-Unis.

Enfin, la question du nucléaire a refait surface sur la scène européenne et fait l’objet de débats, tant les positions sur ce sujet sont divergentes. En effet, la France est le premier pays européen à posséder le plus grand parc nucléaire, contrairement à l’Allemagne qui, suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima, a décrété sa sortie du nucléaire civil avec la fermeture de ses dernières centrales prévue pour fin 2022.

En résumé, il apparaît que ce que l’on pourrait appeler une interdépendance énergétique européenne s’est progressivement transformée en une dépendance. En effet, le contexte historico-politique de l’après-guerre froide ne coïncide plus avec celui des années 2020. De plus, l’élargissement de l’Union européenne et les choix énergétiques des gouvernements nationaux ont conduit à des disparités au sein de l’espace européen, entraînant un ralentissement, voire parfois une confusion, quant aux objectifs européens. Bien que certaines questions relatives à l’efficacité énergétique aient été une priorité pour Bruxelles dans les années 2010, le fait que les questions de dépendance n’aient pas été abordées explique la situation délicate et urgente dans laquelle se trouve l’Union européenne aujourd’hui. Enfin, il apparaît que la volonté européenne est de devenir totalement indépendant énergétiquement, mais il semble essentiel de souligner que cette volonté ne doit pas et ne pourrait pas se transformer en une réalité tangible dans le sens où l’Union ne peut pas être autosuffisante, et que la mise en place de partenariats énergétiques est indispensable. Plutôt que de viser l’indépendance, il s’agit plutôt de diversifier ses approvisionnements, même si l’on sait que la situation actuelle est tellement défavorable pour l’Union européenne qu’elle n’est pas en mesure de négocier réellement tous les termes et conditions des contrats qu’elle est amenée à signer.  Il s’agit désormais pour l’Union de chercher à pallier ses propres insuffisances en menant une politique unique, de parler d’une seule voix et d’apparaître comme un acteur majeur dans les négociations internationales. En effet, la capacité de l’Union européenne à surmonter cette crise sera également révélatrice de sa crédibilité sur la scène internationale et de la perception des autres acteurs de la scène politique internationale.

[1] Eurostat, “Changes in the EU’s energy dependence (2000-2010)”, 23 Septembre 2013

[2] Ibidem

[3] GAILLARD Barthélémy, “La dépendance énergétique dans l’Union européenne”, Toute l’Europe, 14 avril 2021

 

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