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Une ministre virtuelle en Albanie !

Publié le 16/09/2025
4 min de lecture
Par Maxime Coulet
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La ministre albanaise Diella

La ministre albanaise Diella

Vainqueur des dernières élections législatives, le Parti socialiste du Premier ministre Edi Rama a dévoilé la composition de son nouveau gouvernement. Si la vice-première ministre Belinda Balluku conserve son poste, ce quatrième cabinet se distingue par un savant mélange d’anciens fidèles du Parti socialiste, de technocrates aguerris et de jeunes profils issus de l’administration. La véritable surprise vient toutefois de la création d’un ministère des marchés publics virtuel, confié à une intelligence artificielle. Cette ministre inédite, baptisée Diella (« Soleil » en albanais), apparaît sous les traits d’un avatar vêtu d’un habit traditionnel. Elle sera chargée de superviser les marchés publics, avec pour objectif affiché de faire de l’Albanie un pays où « les appels d’offres publics sont 100 % incorruptibles et transparents ».

Apparaissant sur la plateforme numérique e-Albania sur laquelle les citoyens peuvent gérer leur administratif, Diella ne se limitera pas à l’apparence d’un simple chatbot. Elle aura pour mission d’analyser les réponses aux appels d’offres, de détecter les conflits d’intérêts et de prévenir d’éventuelles malversations. Cette initiative constitue une première mondiale, même si d’autres pays, comme le Royaume-Uni, avaient déjà expérimenté la création de « candidats artificiels » sans aller jusqu’à leur confier des fonctions officielles.

Au-delà de l’effet de communication, cette « nomination » s’inscrit dans la volonté d’Edi Rama de positionner l’Albanie comme un acteur innovant, au moment où l’Union européenne multiplie ses programmes pour renforcer sa souveraineté numérique. Reste que la question demeure ouverte : la crise de gouvernance que connaissent de nombreux États européens pourrait-elle encourager l’essor de tels ministres virtuels ? Rien n’est moins sûr, d’autant que les grandes plateformes d’IA comme OpenAI ou Grok suscitent régulièrement des polémiques et montrent leurs limites face aux manipulations humaines.

Edi Rama, souvent accusé de profiter de la corruption endémique qui mine son pays, réalise à travers cette annonce un coup de communication habile. En parallèle, il poursuit sa stratégie de développement, notamment par le biais du secteur touristique. Après avoir attiré neuf millions de visiteurs en 2024, il a présenté une vision ambitieuse pour 2030 : certification des opérateurs et guides, régulation de l’usage des plages publiques et privées, amélioration de la propreté et de la gestion des déchets. Cette stratégie inclut aussi la lutte contre le bruit, le reboisement et la création d’espaces verts urbains, autant de chantiers qui, ironiquement, pourraient relever de la compétence de la nouvelle « ministre ».

L’initiative d’Edi Rama doit être comprise dans le contexte plus large de l’intégration européenne. En mettant en avant un outil numérique inédit censé combattre la corruption, le Premier ministre cherche à répondre à l’un des principaux « reproches » de Bruxelles envers Tirana, en tout cas l’un de ses principaux chantiers. Edi Rama utilise à son avantage l’Intelligence Artificielle, vu comme gage de crédibilité vis-à-vis de l’UE. Mais le risque est double : si Diella se révèle inefficace, ou si la corruption continue de proliférer en Albanie, cela exposera le gouvernement à des critiques internes et externes, alors que s’est ouvert le 22 mai 2025 les négociations autour du 3ème groupe de chapitres, comprenant notamment la transformation numérique.

Par ailleurs, cette stratégie illustre la manière dont les dirigeants des Balkans occidentaux se tournent vers l’innovation pour se démarquer dans un espace régional en quête d’attention internationale. Dans un contexte où la concurrence entre puissances (UE, Chine, Turquie, Russie) s’exacerbe dans la région, où les tensions entre ethnies restent vives, Edi Rama souhaite projeter l’image d’une Albanie moderne, tournée vers l’avenir et résolument ancrée dans le projet européen.

Ce pari relève d’une stratégie de puissance par la technologie. Elle consiste à faire de l’innovation numérique non seulement un outil de gouvernance, mais aussi une vitrine d’influence et un instrument diplomatique.

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