Centrale nucléaire de Zaporijia : une fragilité persistante malgré le rétablissement de l’alimentation

Centrale nucléaire de Zaporijia : une fragilité persistante malgré le rétablissement de l’alimentation
Le 23 octobre 2025, la centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine, la plus grande d’Europe, a retrouvé une alimentation externe après plus d’un mois de fonctionnement en mode d’urgence sur générateurs diesel de secours. Ce rétablissement a été rendu possible grâce à un cessez-le-feu local entre les forces russes et ukrainiennes, négocié et supervisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Selon le communiqué de l’AIEA du 23 octobre, la ligne principale, dite « Dniprovska », a été réparée, tandis que la ligne de secours, traversant une zone occupée, reste en travaux. Toutefois, l’agence a salué le rétablissement de l’alimentation tout en avertissant que la situation demeure hautement instable.
La centrale nucléaire de Zaporijia est située à Enerhodar, dans l’oblast de Zaporijia, en Ukraine. Elle compte six réacteurs nucléaires actuellement à l’arrêt, mais qui nécessitent une alimentation électrique externe afin d’assurer leur refroidissement. Passée sous contrôle russe depuis mars 2022, la centrale a connu plusieurs pannes majeures d’alimentation électrique.
Le 23 septembre, vers 18 h, la centrale nucléaire de Zaporijia a subi sa dixième panne d’électricité externe depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, la déconnectant de toute source d’alimentation externe. Cette coupure est survenue à la suite de l’endommagement de la dernière ligne de 750 kV reliant la centrale au réseau ukrainien.
Selon la compagnie nationale de production d’énergie nucléaire d’Ukraine, Energoatom, la coupure n’était pas accidentelle. Kiev accuse la Russie d’avoir délibérément interrompu l’alimentation externe afin de tester l’autonomie de la centrale et de préparer son raccordement au réseau électrique russe.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a indiqué sur son compte Telegram que « c’est une menace pour tous », rappelant que les générateurs ne sont pas conçus pour fonctionner sur de longues périodes. Le 2 octobre, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Andriy Sybiha, a précisé, dans un message sur son compte X, que les Russes tentaient de reconnecter la ligne depuis les territoires occupés afin de relancer la production d’électricité. « La prochaine étape pour la Russie sera encore plus dangereuse : lancer un réacteur sous occupation, sans refroidissement adéquat, sans les autorisations et procédures de surveillance nécessaires », a-t-il averti, ajoutant que de telles actions irresponsables augmentent fortement le risque d’incidents nucléaires.
De son côté, Moscou a affirmé que la coupure a été due à des tirs ukrainiens sur la zone industrielle d’Enerhodar, où se situe la centrale. Le 23 septembre, le service de presse de la centrale nucléaire de Zaporijia a précisé sur son compte officiel Telegram que l’interruption de l’alimentation électrique externe avait été causée par un incendie déclenché par les forces armées ukrainiennes. Selon Evgueni Balitski, chef de la région de Zaporijia nommé par Moscou, les forces ukrainiennes ont bombardé la centrale, endommageant la ligne haute tension et entraînant un passage sur les générateurs diesel de secours.
Le 3 octobre, le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, a déclaré que « les générateurs diesel de secours fonctionnent mais il s’agit d’une situation sans précédent qui doit être résolue sans tarder. C’est un problème de sûreté nucléaire et il est dans l’intérêt de tous d’y remédier » et a appelé à un « acte de volonté politique» des deux parties pour rétablir une alimentation stable.
La situation à Zaporijia demeure l’un des points les plus sensibles du conflit énergétique et géopolitique entre Kiev et Moscou. Si les deux camps reconnaissent la coupure et la nécessité de rétablissement de l’alimentation électrique externe, ils divergent radicalement sur ses causes : pour l’Ukraine, il s’agit d’une manœuvre stratégique de la Russie; pour Moscou, d’une conséquence directe des frappes ukrainiennes. L’AIEA joue un rôle clé en tant que médiateur technique et garant des normes de sûreté, mais la persistance des tensions montre que la sécurité nucléaire reste fragile et dépend largement de la volonté politique des belligérants.
Avant la guerre, la centrale de Zaporijia produisait environ 20 % de l’électricité ukrainienne. En la contrôlant, la Russie cherche principalement à priver Kiev d’une ressource énergétique essentielle, à renforcer sa mainmise sur les infrastructures stratégiques du sud du pays et à alimenter les zones sous occupation, notamment la Crimée et les territoires occupés. Le contrôle de la centrale s’inscrit également dans un contexte territorial plus large : une grande partie de la région de Zaporijia est déjà sous occupation russe. Pour Moscou, la maîtrise de la centrale nucléaire permet ainsi de consolider son contrôle administratif et énergétique sur ces zones.
Pour l’Ukraine, la perte de la centrale a des conséquences considérables, entraînant une forte diminution de sa capacité de production électrique, alors même que les frappes russes contre les infrastructures se multiplient. Toute tentative de reprise du site serait aujourd’hui trop risquée, tant sur le plan nucléaire que militaire. Kiev reste donc dans une position contrainte, misant sur la diplomatie internationale et la pression politique pour obtenir, à terme, le retour de la centrale sous contrôle ukrainien.
La stabilité autour du site reste menacée. Les lignes électriques, déjà endommagées à plusieurs reprises, traversent des zones de front actives. L’armée russe utilise par ailleurs la centrale comme point d’appui et de dissuasion, profitant du fait que Kiev ne peut y mener d’opérations offensives majeures. Chaque avancée russe à l’est, dans le Donbass, consolide leur position stratégique dans le sud et réduit les perspectives d’un retour rapide de la centrale sous contrôle ukrainien. Cette situation met également à l’épreuve la capacité de l’AIEA à garantir la sûreté des installations nucléaires dans un contexte de conflit armé prolongé.
À propos de l'auteur
Olga Chekhurska
Olga est diplômée d’une Licence en Sciences politiques de l’Université Paris Nanterre et d’un Master en Relations internationales à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales – Langues O’). Spécialisée en géopolitique de l’Europe centrale et orientale, et plus particulièrement de l’Ukraine, elle s’intéresse aux dynamiques politiques, sécuritaires et sociétales de la région.



