Démission du chef de cabinet de Volodymyr Zelensky : renouvellement stratégique ou signe de fragilité ?

Démission du chef de cabinet de Volodymyr Zelensky : renouvellement stratégique ou signe de fragilité ?
La démission du chef de cabinet de Volodymyr Zelensky, Andriy Yermak, suscite de nombreuses interrogations, tant sur le plan politique qu’international. Cette décision significative pourrait marquer un tournant pour l’Ukraine, à la fois sur le plan interne et externe.
Le 28 novembre, Volodymyr Zelensky a signé un décret révoquant Andriy Yermak, alors chef de cabinet du président. Celui-ci occupait ce poste depuis février 2020. Considéré comme l’un des principaux alliés de Volodymyr Zelensky, il était la deuxième personnalité la plus influente du pays après le chef de l’État. Il avait été un acteur clé de nombreuses initiatives diplomatiques, notamment dans les échanges avec les États-Unis, l’Union européenne et d’autres partenaires internationaux. Dans le contexte de la guerre, il agissait comme médiateur stratégique et coordinateur des efforts diplomatiques. Malgré son influence considérable, Andriy Yermak a été la cible de critiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Certaines de ses décisions ont été jugées controversées et ont alimenté des tensions au sein du gouvernement ukrainien. Son influence sur le président a également suscité de nombreuses spéculations et fait l’objet de vives critiques.
Le 10 novembre 2025, le Bureau national anticorruption d’Ukraine (NABU) et le Parquet spécialisé anticorruption (SAPO) annonçaient l’opération Midas, qui révélait un vaste système de corruption dans le secteur de l’énergie, causant des dommages dépassant les 100 millions de dollars. Plusieurs personnes sont soupçonnées d’avoir mis en place un système de rétrocommissions : des entreprises contractantes versaient des pots-de-vin représentant environ 10 à 15 % de la valeur des contrats du groupe d’État en échange de l’obtention de ces marchés. Des perquisitions ont été menées aux domiciles de l’homme d’affaires Timur Mindich et du ministre de l’Énergie Hermann Galouchchenko, ainsi qu’au siège de la Compagnie nationale de production d’énergie nucléaire, Energoatom. Par la suite, des enregistrements de conversations détaillant le fonctionnement du système ont été rendus publics. Il apparaissait alors que le chef de cabinet du président, Andriy Yermak, y figurait probablement sous le pseudonyme d’« Ali-Baba » et aurait donné des instructions visant à entraver les enquêtes ou à influencer l’action des agences anticorruption. Ce scandale a provoqué une crise politique majeure, entraînant la suspension temporaire des travaux du Parlement ukrainien. Le 28 novembre 2025, les services anticorruption ukrainiens, le NABU et le SAPO, ont perquisitionné le domicile et les bureaux d’Andriy Yermak. Depuis cette opération, aucune suite judiciaire concrète n’a encore été donnée à son encontre, et il n’a fait l’objet d’aucune inculpation officielle à ce jour.
L’opération Midas s’inscrit dans un contexte plus large, où plusieurs scandales récents révèlent les failles persistantes dans la lutte contre la corruption en Ukraine. En août 2025, le NABU et le SAPO ont mis au jour une affaire de corruption à grande échelle concernant l’acquisition de drones et de systèmes de guerre électronique. Selon l’enquête, entre 2024 et 2025, des membres d’un groupe criminel organisé, dont le député Oleksii Kuznietsov et le responsable de la Garde nationale ukrainienne Vasyl Myshanskyi, ont systématiquement détourné des fonds publics alloués par les collectivités locales aux besoins des forces de défense. Des systèmes de guerre électronique ont été achetés à un prix manifestement surévalué, les membres du groupe percevant jusqu’à 30 % du montant des contrats en pots-de-vin. Un schéma similaire a été observé pour l’acquisition de drones FPV, pour près de 10 millions de hryvnias, livrés à un prix gonflé d’environ 80 000 dollars, une partie des fonds étant reversée au groupe criminel. Cette affaire intervenait dans un contexte déjà sensible : en juillet 2025, le président Volodymyr Zelensky avait signé un projet de loi compromettant l’indépendance des principales agences anticorruption du pays (NABU et SAPO), en subordonnant leurs activités au procureur général. Le président estimait que leurs pouvoirs devaient être encadrés afin d’éviter ce qu’il percevait comme une ingérence excessive dans les affaires exécutives. Cette initiative a été vivement critiquée par la société civile et les experts, qui y ont vu un risque pour l’indépendance des enquêtes et la transparence du système.
Selon le média ukrainien NV, plusieurs figures politiques, y compris au sein de la majorité, estiment que la démission d’Andriy Yermak, suivie de sa révocation par le président, était nécessaire pour restaurer la confiance du public. Cette affaire de corruption et l’implication présumée de hauts responsables politiques ne constituent que la partie émergée de l’iceberg d’un système qui continue de dominer en Ukraine, malgré les efforts des instances anticorruption. Le système ukrainien reste en effet très vulnérable à la corruption. Même après les réformes, certaines entreprises publiques demeurent structurellement opaques. Des réseaux préexistants — hérités de l’époque post-soviétique — survivent, malgré la volonté réformiste du pouvoir central. Par ailleurs, ces scandales amoindrissent la légitimité des autorités. Cette affaire ravive la fatigue et le scepticisme face à la guerre comme face à la lenteur de la lutte contre la corruption. Les pratiques anciennes restent profondément enracinées, et le simple remplacement du chef du bureau présidentiel ne résout pas tous les problèmes structurels. Toutefois, cette affaire met en lumière la nécessité de réformes plus profondes, d’une transparence renforcée et d’une lutte anticorruption plus déterminée. Elle ouvre également la possibilité d’une clarification de la responsabilité de l’exécutif, surtout en temps de guerre, et laisse entrevoir que, malgré les défis persistants, un renouveau institutionnel reste possible.
La démission d’Andriy Yermak pourrait être perçue comme un signe de renouvellement pour le gouvernement ukrainien. En période de guerre, un changement à des postes clés peut être interprété comme une manière de relancer le fonctionnement du gouvernement. En se séparant d’un proche allié, Volodymyr Zelensky pourrait chercher à se distancer de certaines critiques sur la gestion de la lutte contre la corruption ou de la guerre, notamment sur le plan diplomatique. Cette décision pourrait également renforcer sa position vis-à-vis d’alliés comme les États-Unis ou l’Union européenne, qui pourraient accueillir favorablement un renouvellement au sein de son cercle exécutif. Cependant, cette démission peut aussi créer de l’instabilité au sein de l’exécutif. Volodymyr Zelensky devra choisir un successeur capable de remplir le même rôle stratégique sans provoquer de divisions supplémentaires. Le moment choisi — en pleine guerre — soulève des questions et peut être perçu comme un signe de fragilité ou de tensions au sein du gouvernement, ce qui pourrait affecter la confiance des partenaires internationaux.
Le départ d’Andriy Yermak soulève de nombreuses questions quant à l’avenir immédiat de l’Ukraine. Son successeur pourrait jouer un rôle déterminant dans les prochaines orientations de la politique intérieure comme de la politique internationale du pays. Selon le média ukrainien Ukrainska Pravda, le lundi 8 décembre, le président Volodymyr Zelensky a annoncé une liste de personnalités pressenties pour prendre la tête de l’administration présidentielle. Parmi elles figurent le ministre de la Défense Denys Shmyhal, le ministre de la Transformation numérique Mykhailo Fedorov, le chef de la Direction principale du renseignement Kyrylo Budanov, le chef adjoint de l’administration présidentielle Pavlo Palisa et le vice-ministre des Affaires étrangères Serhiy Kyslytsya. L’impact de cette démission sur la conduite de la guerre reste également à mesurer. Bien qu’elle puisse être interprétée comme un signe de fragilité, elle pourrait aussi marquer un tournant nécessaire pour réajuster les stratégies internes et externes du gouvernement ukrainien. Si Andriy Yermak n’a pas répondu à certaines attentes en matière de diplomatie, la nomination d’un nouveau chef de cabinet pourrait offrir l’occasion de mieux répondre aux défis immédiats et à long terme auxquels le pays est confronté.
À propos de l'auteur
Olga Chekhurska
Olga est diplômée d’une Licence en Sciences politiques de l’Université Paris Nanterre et d’un Master en Relations internationales à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales – Langues O’). Spécialisée en géopolitique de l’Europe centrale et orientale, et plus particulièrement de l’Ukraine, elle s’intéresse aux dynamiques politiques, sécuritaires et sociétales de la région.



