Tournée diplomatique du roi de Jordanie en Europe.

Le roi de Jordanie Abdallah II a entamé le 8 octobre une tournée diplomatique dans plusieurs pays européens. Accompagné de son fils héritier et de son ministre des Affaires étrangères, il a visité entre autres la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Vatican et la Slovénie, où il a été invité à participer au 12e Sommet des pays du Sud de l’Union européenne le 20 octobre.
Une tournée marquée par l’accord de cessez-le-feu à Gaza.
La signature du fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas à Charm el-Cheikh et la réunion ministérielle sur « l’opérationnalisation du plan de paix au Proche-Orient » qui se sont déroulées respectivement le 13 et 9 octobre, et auxquelles la Jordanie a participé, ont fait de l’établissement de la paix à Gaza un des sujets importants de cette tournée diplomatique. Il a notamment été évoqué lors de la rencontre entre Abdallah II et Giorgia Meloni, ainsi qu’avec Viktor Orban.
L’assurance d’un soutien européen dans un contexte régional et interne instable.
Ces visites ont été une occasion de « renforcer la coopération et la coordination dans divers domaines (…) militaires. » entre le Royaume et ses partenaires européens, comme l’a indiqué le Ministère des Affaires étrangères jordanien lors de la rencontre entre l’héritier Hussein et le Chef d’État-Major des armées françaises.
La sécurité est pour la Jordanie un enjeu majeur, en particulier depuis le 7 octobre 2023. Le pays, l’un des plus stables de la région, abrite une population dont plus de la moitié est originaire de Palestine, une grande partie d’entre elles étant issue des vagues de réfugiés provoquées par les guerres entre Israël et ses voisins depuis 1948. Depuis le retour de la guerre à Gaza, des tensions ont éclaté à la frontière israélo-jordanienne, et des manifestations ont régulièrement eu lieu, notamment lorsque le président américain Donald Trump a évoqué la possibilité de déporter les Gazaouis vers l’Égypte et la Jordanie.
De plus, les dernières élections législatives de 2024 ont été marquées par l’arrivée en tête du parti islamiste « Front d’Action Islamique », qui a fait de la guerre à Gaza le sujet principal de sa campagne.
Face aux contestations politiques, la monarchie jordanienne tente ainsi de réaffirmer son action en faveur des Palestiniens, et cette tournée en Europe vise à en être une illustration pour la population et la classe politique jordaniennes.
Un réalignement économique depuis les États-Unis vers l’Europe.
La suspension de l’USAID en janvier 2025 a fragilisé la Jordanie, dont l’économie souffrait déjà d’une chute du tourisme de 61% entre 2023 et 2024. Ainsi, le Royaume était parvenu à conclure un partenariat stratégique avec l’Union Européenne, d’une valeur totale de 3 milliards d’euros sous forme d’investissements et de subventions, notamment dans le secteur de la sécurité, permettant au pays d’amortir les chocs économiques récents, alors que le taux de chômage frise les 20% de la population. Ce partenariat, conclu au moment de la suspension de l’aide américaine, a été approfondi en mars par la négociation d’une nouvelle aide de 500 millions d’euros. Cette évolution a déjà des effets concrets : les exportations jordaniennes vers l’Union Européenne ont augmenté de 30% depuis le début de l’année.
Un enjeu historique et symbolique pour le pouvoir jordanien.
Abdallah II a rencontré le pape Léon XIV au Vatican le 14 octobre. A cette occasion, il a rappelé « le rôle religieux et historique de la Jordanie dans la protection des lieux saints musulmans et chrétiens de Jérusalem » et a invité le souverain pontife à visiter le site du baptême de Jésus Christ. Ces propos du roi font aussi écho à la cause palestinienne, dont le Dôme du Rocher et la Mosquée al-Aqsa en sont des symboles.
Il convient de rappeler que la Jordanie a longtemps revendiqué sa primauté dans la défense de la cause palestinienne. En effet, dès les années 1920, les Hachémites avaient échoué dans leur tentative d’unifier le Levant, découpé par la France et le Royaume-Uni. Dans le sillage de cette ambition frustrée, Abdallah I, devenu roi de Transjordanie, a annexé en 1950 la Cisjordanie ainsi que Jérusalem-Ouest et ses lieux saints chrétiens et musulmans, officiellement sous responsabilité jordanienne encore aujourd’hui.
Cependant, la Jordanie a été contrainte de lâcher ses revendications, après l’annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem-Ouest par Israël à l’issue de la Guerre des Six Jours en 1967, puis face à l’Organisation de Libération de la Palestine que le pouvoir affronte par les armes sur son territoire en 1970-71, après que celle-ci l’ait accusé de trahir la cause palestinienne en négociant avec Israël. Après cet épisode, la Ligue Arabe puis l’ONU reconnaissent l’OLP comme « seul et légitime représentant du peuple palestinien » en 1974, sanctionnant la perte de légitimité du royaume sur cette question. Ce dernier se désengage totalement de Cisjordanie en 1988, puis signe la paix avec Israël en 1994 dans le contexte des Accords d’Oslo, dans lesquels il est prévu que la Jordanie garde un rôle privilégié dans la gestion des lieux saints de Jérusalem. Mais depuis l’accession au pouvoir de Benjamin Netanyahou en 1996, ce rôle lui aussi est régulièrement contesté par Israël sans que la Jordanie n’ait de réel pouvoir d’action.
Ainsi, la Jordanie cherche, au travers de cette tournée européenne, à réaffirmer son statut historique de médiateur dans ce conflit, et espère trouver en ses partenaires européens de réels appuis diplomatiques, alors que ces derniers ont qualifié la Jordanie de « partenaire fiable et crédible jouant un rôle clé pour la stabilité, la paix et la sécurité au Moyen-Orient ».
Néanmoins, le royaume est face à des acteurs régionaux puissants diplomatiquement et économiquement, comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Égypte ou la Turquie. Si la démarche consolide la coopération avec les États européens, elle semble symbolique et vise à restaurer l’image ternie de la monarchie en son pays, qui n’est pour l’instant pas à même de concurrencer ses voisins.
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Boris Delaporte



