Agriculture
Diplomatie
Russie
Ukraine
Yemen

Moscou à Aden : le pari yéménite de la Russie

Publié le 10/11/2025
4 min de lecture
Par Lucas Calmon Miranda
Asie de l'ouest et Monde arabe

Le 22 octobre 2025, à Moscou, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a reçu Aidarous Al-Zubaidi, président du Conseil de transition du Sud (CTS), accompagné de membres de son gouvernement. La rencontre a porté sur le renforcement des relations bilatérales et la préservation des économies des deux pays. Les deux délégations ont discuté d’une coopération accrue dans les secteurs de l’énergie, du pétrole, de l’agriculture, de la pêche, afin d’encourager les investissements dans une économie durable au Sud-Yémen. Le vice-Premier ministre russe, Alexander Novak, a rappelé que « la Russie et la République du Yémen sont liées par des liens d’amitié solides, vieux de près d’un siècle. Leur partenariat n’a jamais été interrompu. L’URSS a apporté une aide socio-économique et technique considérable au Yémen, et la Russie souhaite aujourd’hui renforcer et développer davantage la coopération entre nos deux pays ». La rencontre s’est conclue par l’annonce, à venir, de la première session de la commission intergouvernementale russo-yéménite sur la coopération commerciale économique et scientifique.

Malgré sa proximité avec les Houthis et son partenariat stratégique avec l’Iran, la Russie cherche désormais à renforcer ses relations avec le Conseil de Transition du Sud. Moscou mobilise le récit historique, en évoquant les frontières de la République démocratique populaire du Yémen, aujourd’hui partiellement reprises par le parti d’Al Zubaidi. La Russie se présente ainsi comme le garant historique de la région et allié naturel du CTS.

Cette réaffirmation du soutien au gouvernement au Sud du pays est inattendue, mais elle n’est pas pour autant surprenante, au vu du contexte régional :  La chute de Bachar Al-Assad, ancien allié le plus proche du Kremlin au Moyen-Orient et l’affaiblissement de l’Iran face à Israël ont porté un coup dur à la diplomatie régionale russe. Enlisé dans une guerre d’usure contre l’Ukraine, Poutine a plus que jamais besoin de renouveler ses alliances, afin d’éviter l’isolement international. En misant sur une politique de non-alignement au Yémen, Moscou espère préserver ses relations diplomatiques et économiques, quelque soit l’issue de la guerre civile yéménite.

Le rapprochement entre Moscou et Aden revêt également une dimension économique majeure, notamment concernant la stratégie de guerre économique russe à l’encontre de l’Ukraine. La Russie et l’Ukraine figurent parmi les plus grands exportateurs de céréales au monde. Au Moyen-Orient, et plus particulièrement au Yémen, les exportations de blé proviennent à 50% des récoltes russo-ukrainiennes. 

Dès le début du conflit russo-ukrainien, la Russie a utilisé le blé comme arme afin de déstabiliser l’économie ukrainienne et menacer la sécurité alimentaire mondiale. Cette stratégie géoéconomique se caractérise essentiellement par la destruction des champs ukrainiens. Mais aujourd’hui, elle prend progressivement la forme d’une guerre commerciale plus globale.

Selon Global Right Compliance, le Kremlin aurait lancé une campagne qui vise à “démanteler l’économie agricole ukrainienne” avec l’ambition de supplanter Kiev comme premier exportateur mondial de céréales. Dans ce contexte, le Yémen, dépendant à 97% du blé étranger, dont 25.7%  proviennent de Russie et 19.6% d’Ukraine, occupe une place importante dans les ambition commerciales et stratégiques russes:  En s’attaquant à la part de marché ukrainienne, Moscou pourrait détenir le quasi-monopole sur les importations yéménites de blé et renforcer sa présence économique dans la région, au détriment de son ennemi. 

Selon une enquête de Bellingcat, le gouvernement russe utiliserait les ports des régions contrôlées par les houthis pour exporter le blé pillé à l’Ukraine et le réintroduire dans le marché mondial. En 2024, le Wall Street Journal révélait que le “marchand de mort”, directement affilié à Poutine, négociait la vente d’armes aux Houthis. La coopération avec l’axe de la résistance, tant dans l’agriculture que dans son trafic d’armes, illustre la stratégie de la Russie au Yémen: Exploiter les divisions internes pour renforcer sa présence économique. En choisissant de forger des liens économiques avec les deux belligérants de la guerre civile, la Russie opte pour une diplomatie d’équilibre, entre le Realpolitik et le pragmatisme économique pour asseoir ses intérêts stratégiques régionaux.

À propos de l'auteur

Photo de Lucas Calmon Miranda

Lucas Calmon Miranda

Biographie non renseignée

Auteur vérifié

Articles à lire dans cette rubrique

Diplomatie
Jordanie
+ 1
il y a 11 jours
En savoir plus
BRICS
Turquie
il y a 14 jours
En savoir plus
Arabie saoudite
Yemen
il y a un mois
En savoir plus
BRICS
Chine
+ 1
il y a 2 mois
En savoir plus

Recevez nos analyses géopolitiques directement dans votre boîte mail

Pas de spam, désabonnement en un clic