Balkans
Serbie
UE

Où est en la mobilisation des étudiants Serbes ?

Publié le 15/04/2025
7 min de lecture
Par Maxime Coulet
Europe

Depuis le 1er novembre et l’accident de la gare de Novi Sad, la Serbie est en proie à d’intenses protestations lancées par un mouvement étudiant, dont le point d’orgue aura été la manifestation à Belgrade le 15 mars dernier. Depuis cet événement qui représentait la plus grande manifestation depuis celles ayant conduit à la chute de Milosevic en 2000, quelle a été l’évolution de la mobilisation des étudiants serbes ? Le point sur place.

La manifestation du 15 mars, point d’orgue de la mobilisation des étudiants serbes

La date n’avait pas été choisie au hasard, le 15 symbolisant chacune des victimes de Novi Sad. Depuis, une 16ème personne a succombé à ses blessures en mars dernier. Cette manifestation a été largement suivie, renforcée par les agriculteurs, et soutenue par la majorité de la population. Elle aurait réuni environ 300 000 personnes, un chiffre moqué par le président serbe Aleksandar Vučić, qui a préféré parler de 100 000 manifestants. Cependant, les images parlent d’elles-mêmes et montrent toute l’étendue de la mobilisation. Depuis le début du mouvement, le président n’a eu de cesse de dénigrer cette opposition à son régime.

Malgré tout, depuis cette date, l’évolution du mouvement semble avoir dévié. Plusieurs éléments permettent de l’analyser. Tout d’abord, lors de l’événement lui-même. D’après plusieurs personnes sur place, étudiants comme journalistes, les tensions étaient très fortes les jours précédents la manifestation. Certains d’entre eux ont fait part de sacs de pierres déposées à différents endroits stratégiques. Par chance, les étudiants et leurs familles ont pu rapidement s’organiser pour

les évacuer dès le début de la manifestation. D’autre part, des contre-manifestants pro-régime s’étaient retranchés et ont même campé au Pionirski Park (parc des Pionniers), devant le Parlement, accentuant les tensions avec les manifestants et se préparant à d’éventuelles confrontations.

Dans ce contexte, la tension qui régnait le 15 mars était palpable, particulièrement parce que le régime n’a, à aucun moment, souhaité entretenir le débat. Si ces événements ont été présentés par la presse internationale comme un élan démocratique grandissant en Serbie et une nette réussite des étudiants, la réalité semble un peu plus nuancée.

Un goût amer et un coup sur la tête

L’utilisation d’un canon à son afin de disperser ou créer la panique parmi les manifestations a été largement documentée dans les médias. Cette utilisation, démentie par le régime, a eu comme effet, en autres, de pousser les étudiants à stopper la manifestation, qui s’est arrêtée à 20h15, en raison également des débuts de violence autour du Parlement, alors que plusieurs jours de blocage étaient prévus.

Lorsque je me rends sur place, une vingtaine de jours après, il semble que le calme soit revenu. D’abord à Novi Sad, où le printemps a fait son apparition, et alors que certains étudiants de la ville ont quitté ses rues à vélo pour se rendre à la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg.

En discutant avec certains étudiants, on a le sentiment qu’ils ne sont pas passés loin de quelque chose de plus grand, d’autant plus que la police (et peut-être même l’armée) semblait se tenir à leurs côtés ces dernières semaines. À Novi Sad, beaucoup arborent fièrement un t-shirt avec le symbole de la main ensanglantée, symbole que l’on trouve un peu partout, sur les murs, les panneaux publicitaires, et surtout sur les portraits d’élus.

La gare de Novi Sad est délabrée, après six mois de fermeture. On y distingue nettement la ferraille qui pend en lieu et place de l’auvent. L’ambiance alentour reste très glauque et tranche avec le centre-ville noir de monde lors de ce premier week-end ensoleillé. Les portraits et les noms des victimes y sont toujours exposés, et quelques personnes viennent encore se recueillir.

Cap sur Belgrade ensuite où quelques manifestations sporadiques se produisent encore. Je croise des petits groupes d’étudiants déterminés avec quelques drapeaux en main. La mobilisation n’a pas envie de s’éteindre, ni de s’essouffler. Mais Aleksandar Vučić a décidé de contre-attaquer : il a annoncé la nomination du docteur Djuro Macut, un médecin endocrinologue, au poste de Premier ministre, et l’a chargé de former un nouveau gouvernement. C’est un coup dur pour le mouvement étudiant, qui avait cru obtenir la tenue d’élections au mois de juin.

En coulisses, les étudiants se prononcent en faveur de la mise en place d’un gouvernement technique, sans aucun représentent du pouvoir actuel. Le régime lui, expulse des ressortissants étrangers : un pianiste italien et une médecin croate pour leur participation au mouvement.

Devant le Parlement, là même où étaient retranchés des soutiens du régime, se montent des scènes destinées à accueillir la contre-offensive d’Aleksandar Vucic : le « Mouvement pour le peuple et l’État » Près de 55 000 personnes ont accouru en soutien du président, certains ayant même marché depuis le nord du Kosovo. Bien loin des soutiens aux étudiants, alors même qu’on estime qu’un bon nombre d’entre eux sont payés par le parti. Lors de son discours, Aleksandar Vučić a de nouveau fustigé une attaque « venue de l’étranger » destiné à faire tomber une Serbie « libre, indépendante et souveraine »

Quel avenir à court terme ?

Il semble qu’aucune partie ne souhaite lâcher le moindre bout de terrain. Si la détermination d’Aleksandar Vucic à mettre fin aux blocages et aux manifestations a pris de l’ampleur à la suite de la grande manifestation de Belgrade, sa contre-offensive n’a pas réussi à mettre à terre le mouvement. La nomination d’un nouveau gouvernement qui sera sans nul doute soumis au système actuel aurait pu encore accentuer cette reprise en main par le régime, mais après quelques jours de doute, le mouvement donne l’impression de ne pas se laisser maintenir la tête sous l’eau.

S’il a pris un vrai coup sur la tête à Belgrade, malgré l’ampleur de la mobilisation des étudiants serbes et, si l’on a pu craindre un essoufflement de la révolte, l’arrivée imminente des cyclistes et la reprise des événements pourraient redonner une nouvelle impulsion au mouvement. Par ailleurs, l’absence de leaders a souvent été considéré comme une force mais pourrait aussi s’avérer une faiblesse car cela impacte l’organisation de la révolte. Nous nous trouvons actuellement dans un moment où le confrontation est à son maximum : aucun compromis ne semble possible, ce qui laisse présager des blocages constants et un risque de violences. Reste à savoir si l’Union Européenne se saisira réellement du dossier avec l’arrivée des cyclistes.

Malgré tout, les étudiants ont encore récemment démontré leur volonté de rebattre les cartes dans une Serbie sclérosée par la corruption et l’immobilisme du système. En témoigne la dernière grande manifestation à Novi Pazar le 12 avril dernier, où la majorité de la population est musulmane (78%).

Dans cette ville où la cohabitation entre bosniaques et serbes a rarement été simple, les communautés se sont réunies dans une ambiance de paix, et ont partagés des plats halal préparés par les Serbes et de Carême préparés par les musulmans, dans une grande volonté de réconciliation, unis par leur souhait de mettre à terre un système qui les oppresse. Du jamais vu en Serbie.

À propos de l'auteur

Maxime Coulet

Maxime Coulet

Biographie non renseignée

Auteur vérifié

Articles à lire dans cette rubrique

Balkans
Serbie
+ 1
il y a 3 heures
En savoir plus
Politique intérieure
Ukraine
il y a 6 jours
En savoir plus
France
Royaume-Uni
+ 1
il y a 2 mois
En savoir plus

Newsletter

Recevez nos analyses géopolitiques directement dans votre boîte mail

Pas de spam, désabonnement en un clic