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Élargissement européen : Ursula von der Leyen en tournée dans les Balkans

Publié le 20/10/2025
9 min de lecture
Par Maxime Coulet
Europe
Ursula Von der Leyen rencontre le Premier ministre du Montenegro dans le cadre de l’élargissement européen.

Ursula Von der Leyen rencontre le Premier ministre du Montenegro dans le cadre de l’élargissement européen.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, vient de terminer une tournée dans les Balkans occidentaux. L’objectif officiel est de réaffirmer la perspective d’adhésion de la région et promouvoir le Plan de croissance pour les Balkans, destiné à renforcer l’intégration économique avant même l’entrée dans l’Union. Bruxelles cherche aussi à restaurer la crédibilité d’un processus d’élargissement perçu par de nombreux spécialistes comme bloqué, la faute à un manque de conviction et a des soubresauts stratégiques qui ne parviennent pas à convaincre. Le tout dans un contexte de compétition d’influence accrue avec la Russie, la Chine et la Turquie. L’occasion pour nous de faire un tour de l’élargissement européen, pays par pays.

Élargissement européen : le Monténégro et l’Albanie, les bons élèves.

Au Monténégro, Ursula von der Leyen a salué la stabilité retrouvée et la relance du processus de réformes. Le pays est aujourd’hui considéré comme le plus avancé sur la voie de l’adhésion. L’objectif est pour une fois daté, avec la fermeture des vingt-six chapitres d’ici 2026, pour une adhésion officielle fin 2028.  Ce constat, toutefois, met en lumière un dilemme stratégique : une approche différenciée risque de créer ironiquement une sorte « balkanisation » du processus d’intégration, rompant avec la logique régionale initialement prônée par Bruxelles, qui voit les Balkans occidentaux comme un groupe cohérent. C’est là peut-être un premier levier pour Bruxelles : accepter de différencier des États qui n’ont pas les mêmes intérêts, contextes et objectifs dans le dossier de l’élargissement européen.

L’autre pays sur la bonne voie de l’adhésion, c’est l’Albanie. Lors du forum UE-Western Balkans qui s’est déroulé les 13 et 14 à Tirana, la présidente de la Commission a mis l’accent sur les récentes réformes économiques prises par le gouvernement. Peu de mention cependant en matière de gouvernance et d’État de droit. La consolidation du pouvoir du Premier ministre Edi Rama, il est vrai très europhile, ne semble pas faire partie des conditions à remplir, tant que cee dernier continue de répondre aux bonnes grâces de Bruxelles. Cependant, comme un symbole, l’assassinat d’un juge en pleine audience à Tirana a mis en lumière les fragilités de la justice albanaise et les failles de sécurité dans un pays toujours gangréné par la corruption. Malgré cela, Tirana reste un partenaire loyal de l’Union et affiche une volonté claire de convergence institutionnelle.

La Macédoine fait face au nationalisme bulgare

Un troisième pays reste sur la voie de l’élargissement européen, mais peine à avancer. En Macédoine du Nord, le processus reste enlisé à cause des blocages bilatéraux avec la Bulgarie sur les questions linguistiques et identitaires. Malgré les réformes menées depuis l’ouverture des négociations, la lassitude politique et la polarisation interne fragilisent le consensus pro-européen, réduisant la portée de la visite de la présidente de la Commission. Dans ce contexte, l’Union Européenne fait preuve d’un manque flagrant d’autorité envers l’un de ses membres, la Bulgarie, qui continue d’imposer ses conditions. La Macédoine du Nord, malgré le changement de nom et les réformes entreprises, reste sous pression constante pour modifier sa Constitution afin de répondre aux exigences de Sofia, qui utilise ce levier depuis des années pour bloquer le processus d’adhésion à l’UE.

La proposition française de juin 2022, inscrite dans le cadre du « compromis européen », prévoit l’inclusion de la minorité bulgare dans la Constitution, la reconnaissance d’une histoire et d’une culture communes avec la Bulgarie, des engagements contre les discours de haine et la discrimination, ainsi qu’un suivi annuel par l’UE. L’acceptation de ces conditions a permis à la Bulgarie de lever son veto et de lancer officiellement les négociations, mais comporte le risque d’une assimilation progressive de la langue et de l’identité macédoniennes au profit du récit bulgare. On peut s’interroger sur cette proposition française, car elle risque de rendre légitime le nationalisme bulgare et d’affaiblir les principes (européens) d’égalité et de justice. Dans un rapport du Parlement Européen de juillet dernier, les mentions de la langue et de l’identité macédonienne ont tout bonnement été supprimées, ce qui constitue un bien mauvais message envoyé par l’Union Européenne envers son candidat le plus ancien.

Quoi qu’il en soit, Skopje et Bruxelles ont signé un accord de migration. Comme l’Albanie et le Monténégro, le pays va recevoir des fonds issus du Growth Plan pour son développement.

Dérives autoritaires et sécessionnistes ralentissent l’élargissement européen

En Serbie, le ton d’Ursula von der Leyen a changé. Elle a rappelé que l’Union européenne soutenait les démocraties et le droit de manifester. Moins souriante et enthousiaste qu’à Tirana ou Podgorica, elle a souligné que la Serbie devait intensifier ses efforts pour progresser vers l’adhésion à l’UE. En filigrane, elle a demandé à Belgrade de choisir son camp, et que ce choix ne se tourne pas vers la Russie, en insistant sur l’alignement de la Serbie avec les sanctions contre le Kremlin. Ces exhortations, qui prennent la forme de leçons de morale, interviennent alors que le projet d’adhésion, soutenu par seulement un tiers de la population, est au point mort. La question du Kosovo a également été abordée : le président serbe a affiché une volonté de dialogue constructif tout en insinuant que Pristina portait la responsabilité du blocage. La dérive autoritaire et la concentration du pouvoir continuent de creuser l’écart entre Belgrade et les standards européens, freinant une dynamique d’adhésion déjà fragile.

En Bosnie-Herzégovine, les choses viennent de bouger tout récemment. Lors de son passage à Sarajevo, la présidente de la Commission a réaffirmé son soutien à la souveraineté et à l’unité du pays, dans le contexte d’une crise menée par la Republika Srpska, qui agitait le spectre du séparatisme. Pour avoir défié les décisions du Haut Représentant et provoqué une crise institutionnelle majeure, le président de la RS, Milorad Dodik avait été condamné en août 2025 à un an de prison et à six ans d’inéligibilité. Ce lundi 20 octobre, l’Assemblée Nationale a annulé les lois sécessionnistes problématiques et la démission de Milorad Dodik. Une volte-face qui aurait été obtenue sous pression occidentale, et notamment américaine, mais qui, bien sûr, ne règle pas la crise de fond. L’instabilité institutionnelle et les velléités séparatistes des serbes Bosnie continuent de menacer la cohésion du pays et, par extension, la crédibilité de son processus d’intégration.

Toutefois, les bonnes nouvelles s’enchaînent enfin pour Sarajevo, après l’adoption de l’agenda de réformes fin septembre, et concrétise un peu plus l’avancée vers la voie européenne. Toutefois, le chemin reste encore très long et semé d’embûches.

Enfin, au Kosovo, Ursula von der Leyen a appelé à la désescalade des tensions dans le nord du pays et à la reprise du dialogue avec Belgrade. Le gouvernement d’Albin Kurti, bien que déterminé à affirmer la souveraineté du jeune État, peine à convaincre ses partenaires européens de sa capacité à stabiliser la situation, notamment concernant les municipalités à majorité serbe. Les blocages institutionnels des derniers mois, après les élections de février, sapent la crédibilité du Premier Ministre, alors que ce dernier a enchaîné les provocations à l’encontre des Serbes du Kosovo lors de son précédent mandat. En matière de politique étrangère, Pristina continue de s’aligner sur les demandes européennes mais, là encore, aucun calendrier, aucune annonce concrète ne vient étayer les objectifs d’un État qui se trouve encore à des années-lumière d’une quelconque adhésion.

Une Europe à deux vitesses dans l’élargissement ?

La tournée de la présidente von der Leyen souligne également un paradoxe. Alors que l’Union européenne réaffirme son engagement envers les Balkans occidentaux, certains voient les priorités se déplacer vers l’Ukraine et la Moldavie, désormais considérées comme les nouveaux symboles de la défense du projet européen face à la Russie. L’attention politique, les ressources financières et le calendrier diplomatique semblent aujourd’hui davantage orientés vers ces deux États, au détriment d’une région balkanique qui attend depuis plus de vingt ans l’ouverture réelle des portes de l’Union.

Pour Bruxelles, il s’agit d’un véritable exercice d’équilibrisme. L’UE doit à la fois soutenir les pays des Balkans occidentaux pour contrer l’influence russe dans la région, tout en évitant d’être trop exigeante afin de ne pas aliéner la Serbie et une partie de la Bosnie, dont la stabilité demeure stratégique. Parallèlement, l’attention se concentre sur l’Ukraine et la Moldavie, perçues comme des remparts essentiels contre Moscou, mobilisant prioritairement ressources et calendriers diplomatiques. Cette posture ralentit mécaniquement le processus d’adhésion balkanique, alors même que les « bons élèves » comme le Monténégro, l’Albanie ou la Macédoine du Nord ont démontré leur capacité à avancer. Pour être crédible et efficace, l’UE devrait accélérer l’intégration de ces pays performants au lieu de chercher à maintenir une homogénéité impossible avec des États en retard sur leurs réformes, au risque de décrédibiliser le projet européen dans les Balkans occidentaux.

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