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Sécurité

Nouveau mémorandum de sécurité à la frontière entre l’Iran et l’Irak.

Publié le 23/08/2025
9 min de lecture
Par Carole Massalsky
Asie de l'ouest et Monde arabe

Le 11 août 2025, le Conseiller à la sécurité nationale irakien Qasim al-Araji et le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale (SNSC) iranien Ali Larijani, ont signé un nouveau protocole d’accord visant à renforcer la sécurité le long de leur frontière. Le Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani a supervisé la signature du mémorandum. Les deux pays ont réaffirmé leur volonté et leur engagement à renforcer leurs relations et à développer des partenariats conjoints au service des intérêts irakiens et iraniens, tout en condamnant l’agression israélienne contre l’Iran ainsi que toute escalade menaçant la stabilité régionale.

Alors que l’Irak considère ce pacte comme un simple accord de coordination sécuritaire aux frontières, Ali Larijani a souligné que l’accord visait à empêcher « des individus, des groupes ou des pays tiers » d’utiliser le territoire de l’un contre l’autre ou de créer des brèches dans la sécurité, en référence à la récente guerre des 12 jours. Il a également mis en avant l’intention de l’Iran de construire une ligne ferroviaire de passagers reliant l’Irak à la Development Road prévue par Bagdad.

Des sources issues de partis kurdes iraniens ont rapporté que les deux parties avaient également discuté d’un renforcemen

t de la pression sur les partis d’opposition kurdes iraniens présents dans la Région du Kurdistan d’Irak (KRI). Elles ont averti que si Israël frappait de nouveau l’Iran, Téhéran pourrait riposter contre les partis kurdes et la KRI. Le Conseil consultatif de sécurité nationale irakien a décrit le document comme un mémorandum de sécurité frontalière aligné sur l’Accord de sécurité conjoint de 2023, transformé en un accord formel couvrant les activités de cinq partis kurdes d’opposition iraniens.

Condamnation des États-Unis

Le département d’État américain a immédiatement rejeté le mémorandum, s’opposant à des mesures qui, selon lui, compromettent les efforts visant à renforcer les institutions sécuritaires irakiennes. Washington reste attentif à l’approfondissement des liens irano-irakiens, craignant une influence accrue de l’Iran sur un État où les États-Unis conservent des leviers de pouvoir mais moins de contrôle que durant l’occupation de 2003–2011. La porte-parole du département d’État, Tammy Bruce, a déclaré : « Nous soutenons une véritable souveraineté irakienne, pas une législation qui transformerait l’Irak en État client de l’Iran. »

Au cœur de ces inquiétudes se trouvent les Forces de mobilisation populaire (FMP / Hashd al-Shaabi), une coalition reconnue par l’État, composée majoritairement de milices chiites proches de l’Iran, et exerçant une influence militaire, politique et économique significative. Les États-Unis considèrent les FMP comme le principal levier de l’Iran en Irak.

Le débat sur la loi relative aux FMP.

Ces déclarations s’inscrivent dans le contexte des pressions actuelles de Washington sur l’Irak pour qu’il rejette le projet de loi sur l’Autorité des FMP, une législation qui formaliserait le statut de la coalition et élargirait les pouvoirs de ses factions pro-iraniennes. Le 16 juillet, le parlement irakien a procédé à la lecture finale du projet de loi révisé sur les FMP, destiné à remplacer la loi n°40 de 2016. Ce texte comprend 17 articles restructurant la hiérarchie des FMP, autorisant de nouvelles directions et élargissant leurs pouvoirs légaux et exécutifs, permettant qu’il soit soumis à un vote à tout moment.

S’il était adopté, le projet de loi transformerait les FMP en une institution étatique permanente, avec une structure, des responsabilités et des avantages formalisés, et ouvrirait la voie à la création d’une académie militaire distincte pour le Hashd. Actuellement, les FMP existent comme une commission temporaire créée par la loi n°40 de 2016, placée sous l’autorité du Premier ministre, qui les définissait comme faisant partie des forces armées mais en termes vagues. La nouvelle loi les consacrerait dans la législation, rendant bien plus difficile leur dissolution ou leur réforme substantielle, et leur garantissant une protection ainsi qu’une permanence institutionnelle. Plus controversé encore, elle élèverait le commandant des FMP, actuellement Faleh al-Fayyad, sanctionné par les États-Unis pour son rôle dans la répression violente des manifestations irakiennes de 2019, au rang ministériel et lui attribuerait également un siège au Comité ministériel de sécurité nationale. Un autre objectif du voyage de Larijani en Irak était d’inciter les factions chiites à soutenir ce projet de réforme des FMP.

Les tensions américano-irakiennes.

La pression américaine n’est pas nouvelle. En juillet 2022, des responsables américains, dont le sénateur Marco Rubio, avaient exprimé leurs inquiétudes directement auprès du Premier ministre irakien, estimant que le projet de loi sur les FMP « institutionnaliserait les factions chiites » et renforcerait l’influence iranienne, sapant ainsi la souveraineté de l’Irak.

En décembre 2024, lors d’une visite en Irak, le secrétaire d’État Antony Blinken avait encouragé Sudani à tirer parti de l’affaiblissement de l’Iran après la chute d’Assad pour dissoudre les milices chiites, qualifiant ce moment « d’opportunité » pour consolider la souveraineté et la stabilité de l’Irak. Début janvier 2025, juste avant sa visite en Iran, Sudani a reçu un message du président américain Donald Trump l’exhortant à limiter les armes détenues par des acteurs non étatiques et à réduire l’influence des groupes soutenus par l’Iran. Si Washington réaffirmait son soutien à la souveraineté irakienne, Sudani a rejeté ces appels, soulignant le statut légal des FMP en vertu de la loi de 2014 et refusant toute condition imposée de l’extérieur à l’Irak.

Le Washington Institute souligne que Sudani présente le projet de loi sur les FMP comme une réforme sécuritaire, affirmant qu’il rendrait le Hashd redevable devant l’État. Washington, cependant, estime que peu de choses changeront et considère que les FMP ressemblent de plus en plus aux Gardiens de la révolution iraniens (IRGC), financés par l’État mais opérant indépendamment et en toute impunité. L’institut va plus loin, affirmant que le soutien de Bagdad à l’institutionnalisation des FMP compromettra la coopération militaire américaine et découragera de futurs investissements américains en Irak. Washington a déjà mis en garde contre des conséquences, des rapports indiquant que le chargé d’affaires américain Steven Fagin aurait menacé Sudani d’une « intervention internationale décisive » si le gouvernement continuait d’armer les milices.

Bien qu’une action militaire directe des États-Unis contre le Hashd reste improbable tant qu’il n’y a pas de nouvelles attaques contre les Américains, Washington dispose de plusieurs options. Il pourrait accélérer le retrait des 2 500 soldats américains prévu d’ici 2026, surtout que des factions des FMP ont menacé d’attaquer si les troupes restaient au-delà du mois prochain. Il pourrait publier des renseignements prouvant l’implication des FMP dans des frappes de drones au Kurdistan, mettant en évidence le conflit d’intérêts de Bagdad en enquêtant sur ses propres partenaires de coalition. Il pourrait refuser à Sudani une visite à Washington, qu’il souhaite pour obtenir une légitimité avant les élections irakiennes. Sur le plan économique, les États-Unis pourraient publier des avertissements pour décourager les investissements, soulignant les risques liés aux entités associées aux FMP, comme la Muhandis General Company, qui étend sa présence dans l’économie irakienne et suscite des préoccupations en matière de sanctions. Politiquement, Washington pourrait tenir les partis kurdes et autres formations responsables de leur vote sur la loi relative aux FMP, compte tenu de leur volonté passée de soutenir des législations controversées. Sur le plan régional, les États-Unis pourraient internationaliser la réponse, en s’alignant avec les États arabes irrités par les attaques des FMP contre le Koweït, l’Arabie saoudite, la Syrie et leurs menaces contre la Jordanie. En dernier recours, Washington pourrait désigner l’Irak comme État soutenant le terrorisme, mais une telle décision risquerait de rapprocher encore davantage Bagdad de Téhéran. Une mesure plus immédiate serait de sanctionner la Muhandis General Company et ses filiales, tout en tenant le gouvernement irakien responsable des contrats passés avec des entreprises contrôlées par les FMP.

Le dilemme du retrait des troupes américaines.

La coalition dirigée par les États-Unis se retire d’Irak d’ici 2026 conformément à un accord formel, avec la majorité des troupes devant partir d’ici fin 2025 et une plus petite force restant à Erbil. Les responsables insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un scénario similaire à 2014, lorsque Daech avait profité de la faiblesse des défenses irakiennes. Cette fois, les frontières sont mieux sécurisées, les forces de sécurité plus solides et de nouveaux contrats de défense sont en place. Néanmoins, l’Irak fait face à un dilemme : continuer à coopérer avec les États-Unis dans le cadre de l’Accord-cadre stratégique, ou céder aux factions, en particulier les FMP, qui rejettent toute présence américaine. Certains voient ce retrait comme une victoire pour la souveraineté irakienne et l’« Axe de la résistance », tandis que d’autres avertissent qu’il pourrait entraîner de l’instabilité si le consensus politique s’effondre ou si un affrontement Iran–Israël entraînait les groupes irakiens dans le conflit.

À propos de l'auteur

Carole Massalsky

Carole Massalsky

Après une carrière dans l’audit financier et la finance d’entreprise, Carole a récemment obtenu un Master en Relations Internationales et Diplomatie auprès de l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR). Elle est actuellement doctorante en Géostratégie et Géopolitique à l’Académie de Géopolitique de Paris, où elle consacre sa recherche aux relations entre l’Iran et l’Irak. Son intérêt pour les relations internationales et la géopolitique se concentre principalement sur l’Asie de l’Ouest et le monde arabe, avec une attention particulière à la politique étrangère de l’Iran et à ses relations avec ses voisins.

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