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Iran–Etats-Unis : un développement incertain.

Publié le 24/06/2025
10 min de lecture
Par Carole Massalsky
Asie de l'ouest et Monde arabe

Sur un ton belliciste et engagé, contrastant avec ses promesses électorales, Trump avait annoncé le 19 juin dernier son intention de se donner deux semaines pour décider s’il interviendrait militairement afin de frapper les sites nucléaires iraniens. A peine trois jours plus tard, le dimanche 22 juin, les États-Unis ont finalement ciblé trois sites nucléaires stratégiques : Fordo, site souterrain dédié à l’enrichissement de l’uranium et abritant environ 2700 centrifugeuses selon l’AIEA ; Natanz, le plus grand centre d’enrichissement d’uranium iranien, composé d’une partie en surface et d’installations souterraines ; et Ispahan, centre de recherche hébergeant trois réacteurs de recherche, différents laboratoires et une usine de conversion de l’uranium. Le président Trump s’est félicité du succès de ces frappes affirmant avoir anéanti ces installations et menaçant l’Iran de frappes encore plus massives « if peace does not come quickly ». Selon Amwaj.media, l’Iran aurait toutefois été prévenu à l’avance, et l’essentiel de ses stocks d’uranium enrichi aurait été conservé en lieu sûr.

Les spéculations abondent quant aux véritables objectifs de ces frappes, et surtout des frappes israéliennes en amont, oscillant entre volonté de détruire entièrement le programme nucléaire et stratégie de changement de régime. L’Iran, de son côté, a toujours nié son intention de se doter de l’arme nucléaire.  En avril 2025, le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi ingtonpost.com/opinions/2025/04/08/iran-indirect-negotiations-united-states/">rappelait encore dans une tribune au Washington Post l’engagement pris par l’Iran dans le cadre du JCPOA de 2015 à ne jamais chercher, développer ou acquérir, et en aucune circonstance l’arme nucléaire et insistait sur l’absence de preuve de toute violation de cet engagement. Peu avant cela, en mars 2025, un rapport annuel des services de renseignement américains publié par l’Office of the Director of National Intelligence (ODNI) affirmait « Nous continuons à estimer que l’Iran ne construit pas d’arme nucléaire et que Khamenei n’a pas réautorisé le programme nucléaire militaire qu’il avait suspendu en 2003, même si la pression à cet égard s’est probablement accrue ».

Plus récemment, la directrice du renseignement national (DNI), Tulsi Gabbard, témoignait devant le Congrès américain que l’Iran ne cherchait pas à produire l’arme nucléaire, qu’aucune preuve tangible ne permettait de prouver le contraire et que le Guide suprême n’avait pas autorisé un programme nucléaire à usage militaire, avant de se heurter publiquement au Président Trump qui qualifia son jugement de décevant et erroné en déclarant « she’s wrong ». Il y a deux jours, Tulsi Gabbard a révisé sa position en affirmant que l’Iran pourrait désormais produire des armes nucléaires en quelques semaines.  Le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi a lui-même confirmé que l’agence ne disposait à ce jour d’aucune preuve d’un effort systématique de l’Iran pour se doter de l’arme nucléaire.

Il reste néanmoins probable que l’Iran cherchait plutôt à s’approcher du seuil de dissuasion, sans franchir explicitement le pas, conscient qu’une acquisition de l’arme nucléaire déclencherait aussitôt une course à l’armement régional, notamment avec la Turquie, l’Égypte et surtout, l’Arabie Saoudite qui avait déjà exprimé son intention de se doter de la bombe si l’Iran devenait une puissance nucléaire. Parmi les neuf puissances nucléaires actuelles (Russie, États-Unis, Chine, France, Royaume-Uni, Pakistan, Inde, Israël et Corée du Nord), Israël est le seul pays de la région à en posséder, et le seul au monde à ne jamais l’avoir déclaré officiellement, et ce depuis la fin des années 1960. Israël avait déjà démontré sa doctrine préventive en détruisant le réacteur Osirak en Irak en 1981, une installation construite avec l’aide de la France et soupçonnée par Israël de servir à des fins militaires, bien que Saddam Hussein ait toujours démenti. L’opération fut condamnée à l’époque par la communauté internationale y compris par les États-Unis et le Conseil de sécurité des Nations-Unies via la Résolution 487, la condamnant comme une violation de la souveraineté irakienne et du droit international, réaffirmant le droit de l’Irak, État partie au TNP et sous contrôle de l’AIEA, et appela Israël, non signataire du TNP, à s’abstenir dans le futur de toute menace ou acte similaire et à se soumettre aux garanties de l’AIEA.

L’historien et politologue britannico-israélien, Avi Shlaim, professeur à Oxford reconnu pour ses travaux critiques sur la politique étrangère israélienne déclarait il y a quelques jours que l’Iran ne constituait pas une menace existentielle pour Israël, mais une menace stratégique, tandis qu’inversement, Israël représente selon lui une menace existentielle pour l’Iran. Il rappelait qu’alors que l’Iran n’a jamais attaqué de pays voisin, Israël a mené huit conflits en huit décennies depuis 1948, et soulignait que l’Iran a signé le TNP, à la différence d’Israël, et se soumet aux inspections de l’AIEA. Selon lui, Israël disposerait de 75 à 400 têtes nucléaires, et ses campagnes systématiques de désinformation viseraient à entretenir la perception d’une menace iranienne afin de justifier ses actions préventives, interrogeant ainsi le double standard de la communauté internationale.

En attendant, ces attaques ont interrompu le processus de négociations en cours, facilité par Oman. Changement de régime ou non, il est peu probable, a fortiori après ces attaques, que l’Iran renonce définitivement à l’idée de posséder l’arme nucléaire ; bien au contraire, ces événements pourraient renforcer une volonté déjà présente à l’époque du Shah. Ce scénario alimente la conviction que, comme l’Irak de Saddam Hussein en 2003 ou la Libye de Kadhafi en 2011, l’absence de dissuasion nucléaire rend l’Iran vulnérable.

Jusqu’à aujourd’hui, l’Iran misait sur son « axe de résistance » dissuasif avant tout patiemment bâti, selon la rhétorique iranienne, pour contrer l’impérialisme américain et l’expansionnisme israélien, et dont les racines remontent au traumatisme de la guerre Iran-Irak (1980-1988) pendant laquelle l’Irak belligérant avait attaqué l’Iran avec le soutien des puissances occidentales. Cet axe avait jusqu’ici protégé la République islamique d’attaques directes sur son territoire, mais à l’instant présent, seules les milices irakiennes pro-iraniennes, pour la majorité d’entre elles intégrées aux Forces de Mobilisation Populaire (FMP ou al-Hashd al-Shaabi) n’ont pas encore été directement ciblées. Leur avenir reste cependant incertain, car elles représentent un levier de pression majeur sur les 2500 soldats américains encore présents en Irak, ainsi que sur l’ambassade des États-Unis à Bagdad, la plus grande au monde, le consulat d’Erbil ainsi que la base aérienne de Harir à proximité d’Erbil.

Le Parlement iranien a approuvé dimanche dernier une motion en faveur de la fermeture du détroit d’Ormuz ; même si cette décision doit encore être validée par le Conseil suprême de sécurité nationale, elle pourrait rapidement provoquer une flambée des prix du pétrole, avec des estimations allant jusqu’à 120 à 130 dollars le baril, du moins temporairement, et perturber considérablement les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Environ 20% du commerce mondial de pétrole brut et près de 25 à 30% des exportations mondiales de gaz naturel liquéfié (principalement en provenance du Qatar) transitent par le détroit d’Ormuz, ce qui justifie l’impact majeur qu’une fermeture de ce passage pourrait avoir sur l’économie mondiale, même si un tel scénario reste peu probable. En effet, les principales victimes d’une fermeture de ce corridor stratégique seraient l’Europe, qui depuis la guerre russo-ukrainienne dépend davantage du Moyen-Orient et des États-Unis pour ses approvisionnements en énergie, mais surtout l’Iran lui-même qui écoule plus de 90% de son pétrole vers son allié chinois. De son côté, la Chine dépend du pétrole iranien à hauteur d’environ 15% de ses importations totales de brut, presque exclusivement via Ormuz, et environ 38% de l’ensemble des importations pétrolières chinoises, toutes provenances confondues, transitent par ce détroit. La Chine consomme ainsi plus de la moitié du pétrole produit dans le Golfe, et près de 50% de ses importations maritimes de brut passent par ce goulet stratégique.

Cette vulnérabilité doit cependant être relativisée : le pétrole ne représente qu’environ 20% de la consommation énergétique totale de la Chine, son mix énergétique reposant avant tout sur le charbon, notamment pour alimenter son parc croissant de véhicules électriques, complété par les énergies solaires et éoliennes. Le pétrole importé est destiné en Chine majoritairement à son industrie pétrochimique (environ 25%) et aux transports (près de 50%).

Aujourd’hui environ 18% du pétrole importé par l’Europe et 15% de son gaz naturel transitent également par le détroit d’Ormuz ; en cas de blocage effectif, les Européens devraient se tourner massivement vers l’approvisionnement en provenance des États-Unis.

Tout comme la Russie, la Chine a toujours soutenu le droit de l’Iran à développer un programme nucléaire civil mais ces deux alliés de l’Iran se sont toujours opposés à l’arme nucléaire dans la région, soutenant le principe de non-prolifération inscrit dans le TNP. Cependant, de futures attaques visant des infrastructures économiques pourraient directement menacer les intérêts économiques et stratégiques chinois et constituer une véritable ligne rouge. L’Iran joue un rôle stratégique dans l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative), reliant l’Asie du Sud et l’Asie centrale au Moyen-Orient et à l’Europe, et offrant un accès au golfe Persique, au golfe d’Oman et à la mer Caspienne. Dans ce contexte, les deux pays ont signé en 2021 un accord de coopération de 25 ans, prévoyant un investissement chinois de 400 milliards de dollars en échange de pétrole iranien à prix préférentiel, avec des investissements concentrés principalement dans le secteur énergétique et les infrastructures de transport iraniennes. Bien que les détails précis de cet accord soient restés confidentiels, la coopération énergétique en constitue sans aucun doute le pilier principal, notamment à travers des investissements dans plusieurs gisements pétroliers et gaziers majeurs, incluant South Pars Phase 11 (le plus grand gisement gazier au monde), North Pars Gas Field, Azadegan et Yadavaran, ainsi que dans la modernisation des raffineries d’Abadan et de Téhéran. La Chine a donc un intérêt stratégique crucial dans la stabilité et la coopération avec l’Iran sur les plans géopolitique et logistique ; il est donc probable qu’elle hausse le ton si ses retombées économiques venaient à être directement menacées.

À propos de l'auteur

Carole Massalsky

Carole Massalsky

Après une carrière dans l’audit financier et la finance d’entreprise, Carole a récemment obtenu un Master en Relations Internationales et Diplomatie auprès de l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR). Elle est actuellement doctorante en Géostratégie et Géopolitique à l’Académie de Géopolitique de Paris, où elle consacre sa recherche aux relations entre l’Iran et l’Irak. Son intérêt pour les relations internationales et la géopolitique se concentre principalement sur l’Asie de l’Ouest et le monde arabe, avec une attention particulière à la politique étrangère de l’Iran et à ses relations avec ses voisins.

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