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Iran–Arabie Saoudite : la Realpolitik au service de la géopolitique.

Publié le 01/05/2025
8 min de lecture
Par Carole Massalsky
Asie de l'ouest et Monde arabe

Une visite saoudienne de poids à Téhéran :

La visite du 17 avril du ministre saoudien de la Défense, le prince Khalid bin Salman, en Iran, au cours de laquelle il a rencontré l’ayatollah Ali Khamenei, ainsi que le président Pezeshkian et le chef d’état-major des forces armées iraniennes, le général Mohammad Bagheri, témoigne de la volonté des deux pays de se rapprocher à un moment particulièrement tendu dans la région, alors que les deux États voisins sont confrontés à des défis similaires.
Depuis la normalisation de leurs relations diplomatiques en mars 2023, suivie de la visite d’une délégation saoudienne à Téhéran en avril 2023 pour discuter de la réouverture des missions diplomatiques, deux visites notables de responsables saoudiens ont précédé celle-ci. En juin 2023, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal bin Farhan, s’est rendu à Téhéran, marquant une étape importante dans le rétablissement des liens bilatéraux. Puis, en novembre 2024, le chef d’état-major des forces armées saoudiennes, Fayyad al-Ruwaili, a rencontré dans la capitale iranienne son homologue iranien, le général Gholamreza Mehrabi, afin d’échanger sur la diplomatie de défense et la coopération bilatérale visant à renforcer la sécurité et la stabilité régionales.


Objectifs et contenu d’une telle visite :

Le ministre saoudien de la Défense a remis une lettre personnelle du roi Salman bin Abdulaziz. Selon Amwaj.media, cette lettre abordait des questions clés telles que la sécurité bilatérale, les négociations en cours entre l’Iran et les États-Unis, la situation en Palestine et au Yémen, et exprimait une forte volonté affirmée de renforcer les liens avec un rival régional de longue date.

L’ayatollah Khamenei a publié sur X : « Il est bien mieux que les frères de la région de l’Asie de l’Ouest coopèrent et s’entraident plutôt que de dépendre des autres », tandis que le prince Khalid bin Salman a écrit : « Lors de la réunion, j’ai remis une lettre du Gardien des Deux Saintes Mosquées et transmis les salutations de la direction. Nous avons discuté de nos relations bilatérales et des sujets d’intérêt mutuel ».
Concernant la sécurité bilatérale, Amwaj.media rapporte que le Royaume a accepté une approche progressive pour instaurer une coopération sécuritaire avec l’Iran, une initiative lancée lors du processus de normalisation, qui a inclus cinq cycles de négociations accueillis par l’Irak, et qui a finalement débouché sur l’accord « médié » par la Chine en 2023. 

Auparavant, en 2001, les deux pays avaient déjà signé un accord de coopération en matière de sécurité, dont la réactivation a été mentionnée dans la déclaration commune sino-saoudienne-iranienne de 2023 annonçant la reprise des relations diplomatiques, rompues en 2016 à la suite de l’attaque de l’ambassade saoudienne à Téhéran lors de manifestations contre l’exécution, en Arabie Saoudite d’un religieux chiite dissident. Les questions militaires sont devenues un aspect central des échanges irano-saoudiens depuis 2023, comme en témoignent les discussions entre Al-Ruwaili et Bagheri en novembre 2024, portant sur le développement de la coopération en matière de défense. Lors de ces entretiens, Bagheri a également proposé que l’Arabie Saoudite participe aux exercices navals iraniens, ou à tout le moins y assiste en tant qu’observateur.

S’agissant des négociations en cours entre l’Iran et les États-Unis, l’Arabie Saoudite a probablement joué un rôle indirect dans l’apaisement des tensions. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le soutien explicite de l’Arabie Saoudite à un éventuel accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, comme exprimé par le roi Salman, représenterait une rupture majeure avec la position saoudienne de 2015, à l’époque de la négociation et de la signature du JCPOA. Le Royaume, à l’instar d’Israël, s’y était alors fermement opposé, craignant que la levée des sanctions ne favorise la croissance économique de l’Iran et, par conséquent, son influence régionale.
L’Arabie Saoudite a apporté un soutien direct au processus de médiation entre l’Iran et les États-Unis, qui se déroule principalement à Oman, allant jusqu’à proposer d’accueillir une réunion informelle entre responsables des deux pays lors de la prochaine visite prévue du président Trump à Riyad du 13 au 16 mai, ainsi qu’au Qatar et aux Émirats. L’Arabie Saoudite sera le premier pays visité par le président américain lors de son second mandat, après une visite au Vatican pour les funérailles du Pape. Selon Reuters, il devrait proposer à l’Arabie Saoudite un ensemble d’accords d’armement d’une valeur supérieure à 100 milliards de dollars, dans le cadre d’un pacte de défense plus large que celui que l’administration précédente, sous le président Biden, n’était pas parvenue à finaliser dans le cadre de la normalisation envisagée entre l’Arabie Saoudite et Israël. Cependant, le président Trump ne peut espérer aucun progrès supplémentaire de la part du Royaume concernant la normalisation avec Israël dans le cadre des « Accords d’Abraham » : l’Arabie Saoudite a réaffirmé, plus récemment lors de la visite d’avril à Téhéran, qu’elle ne normalisera pas ses relations avec Israël sans la création préalable d’un État palestinien indépendant.

Concernant les Houthis, le roi Salman aurait demandé à l’Iran de contribuer à contenir le mouvement rebelle yéménite afin d’atténuer les tensions en mer Rouge, une mesure qui pourrait également appuyer les négociations en cours entre Téhéran et Washington. Ansar Allah a été de nouveau désigné comme organisation terroriste étrangère (FTO) par le Département d’État américain en janvier 2025, et depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, les frappes américaines contre les Houthis se sont intensifiées. Bien qu’elles s’inscrivent dans une stratégie plus large de limitation de l’influence iranienne dans la région, la logique stratégique et les objectifs de ces opérations ont récemment été remis en question et débattus au sein de l’administration américaine.

Ce que révèle la visite et pourquoi elle est importante :

La fréquence et le niveau de ces trois visites témoignent d’un engagement mutuel fort en faveur de l’amélioration des relations bilatérales. La visite récente du plus haut dignitaire saoudien depuis des décennies, survenue dans un contexte de fortes tensions régionales et de négociations en cours entre l’Iran et les États-Unis, revêt une importance considérable. Elle illustre un approfondissement progressif mais tangible de l’engagement entre les deux nations, depuis la restauration de leurs relations diplomatiques. Cette visite visait également à réaffirmer que l’Arabie Saoudite ne s’opposera pas à l’Iran en cas de frappes israéliennes contre ses installations nucléaires. Les États du Golfe ont déjà déclaré que leur espace aérien ne sera pas utilisé pour mener des attaques contre l’Iran, lequel a, à plusieurs reprises et publiquement, averti que tout pays soutenant Israël serait considéré comme un agresseur direct.

L’Arabie Saoudite n’a aucun intérêt à un conflit régional, qui pourrait compromettre les objectifs de son plan de développement « Vision 2030 » ou déstabiliser les marchés pétroliers. Sur ce dernier point, toutefois, le Royaume, deuxième producteur de pétrole mondial après les États-Unis, et principal membre de l’OPEP+, a récemment annoncé qu’il ne soutiendrait plus le marché par des réductions de l’offre, affirmant être capable de faire face à une période prolongée de bas prix. Au contraire, il pourrait alléger les restrictions sur la production, un changement qui devrait satisfaire le président Trump, lequel, au début de son second mandat, a exhorté les pays de l’OPEP à « faire baisser le prix du pétrole » et devrait réitérer cette demande lors de sa visite prévue en mai. Le Royaume poursuit une stratégie de multi-alignement et, dans ce contexte, le rapprochement avec l’Iran, notamment en vue d’un potentiel accord nucléaire, apparait plus pertinent que jamais.

Au-delà de la Realpolitik, du pragmatisme et des opportunités stratégiques, les deux pays partagent aujourd’hui, plus que jamais, des préoccupations et des défis communs, au premier rang desquels figure la nécessité de renforcer la stabilité régionale.

À propos de l'auteur

Carole Massalsky

Carole Massalsky

Après une carrière dans l’audit financier et la finance d’entreprise, Carole a récemment obtenu un Master en Relations Internationales et Diplomatie auprès de l’Institut des Nations Unies pour la Formation et la Recherche (UNITAR). Elle est actuellement doctorante en Géostratégie et Géopolitique à l’Académie de Géopolitique de Paris, où elle consacre sa recherche aux relations entre l’Iran et l’Irak. Son intérêt pour les relations internationales et la géopolitique se concentre principalement sur l’Asie de l’Ouest et le monde arabe, avec une attention particulière à la politique étrangère de l’Iran et à ses relations avec ses voisins.

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