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La reconnaissance des Talibans par Moscou : un acte attendu ?

Publié le 02/09/2025
4 min de lecture
Par Thomas Kerebel
Russie

Le 3 juillet, le Vice-ministre des Affaires étrangères Andreï Roudenko a accepté les lettres de créance du nouvel ambassadeur d’Afghanistan en Russie, Gul Hassan. Cet évènement symbolise la reconnaissance officielle du régime taliban par Moscou. Jusqu’à présent, la Russie était, malgré plusieurs ambivalences, alignée sur la position internationale de non-reconnaissance du pays. Le Kremlin reste à l’heure actuelle le seul gouvernement à avoir passé le cap diplomatique de la légitimation.

Cet acte fait suite à une première décision prise le 17 avril dernier par la Cour suprême russe retirant les Talibans de sa liste des organisations terroristes. Depuis la victoire du régime sur la République islamique d’Afghanistan en 2021 avec la prise de Kaboul, le nouveau gouvernement est relégué au ban des nations. Cette décision était et reste motivée par plusieurs motifs : l’illégitimité des Talibans à prendre le pouvoir par un moyen non démocratique, les violations graves des droits des femmes et des êtres humains en général, mais aussi et surtout la dégradation sécuritaire régionale provoquée par la présence talibane. 

Par conséquent, la coopération officialisée entre les gouvernements russe et afghan représente un enjeu stratégique de taille pour la communauté internationale. Celle-ci est une aubaine pour Moscou qui cherche de nouveaux alliés dans un contexte d’influence diplomatique dégradée pour la Russie, notamment après la perte de la Syrie par Bachar al-Assad.<

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Cette nouvelle situation favorise les questionnements, en particulier au regard des relations historiques entre les deux pays, mais aussi vis-à-vis de la situation internationale actuelle. Déterminer si le poids de la mémoire de la guerre soviéto-afghane peut avoir un impact sur la nouvelle coopération bilatérale est primordial. Cela fait la différence entre une coopération de circonstance, logique au regard du récit occidental d’un isolement du Kremlin, et une nouvelle doctrine d’adoubement du régime islamiste. La position de l’Afghanistan comme pays en développement, faisant partie du Sud Global, serait ainsi un atout pour la Russie. 

C’est toujours dans ce cadre que M. Stavros Lambrinidis, Ambassadeur de l’Union Européenne auprès des Nations Unies, a réaffirmé le 7 juillet 2025 « l’engagement de l’UE envers le peuple d’Afghanistan », tout en soulignant « les violations massives des droits des femmes et des filles ». Cette déclaration, 4 jours après la reconnaissance du régime Taliban par Moscou, peut être interprétée en filigrane comme une condamnation de cet acte par la communauté internationale.

Concrètement, la nouvelle relation entre la Russie et l’Afghanistan est autant politique qu’elle était déjà économique. En effet, dans la foulée du premier semestre de 2025, plusieurs accords de coopération ont été signés. Le 20 juin, lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, les deux parties se sont accordées sur un programme d’expansion de la main-d’œuvre afghane qualifiée vers la Russie. En particulier, une partie des travailleurs acheminés devraient être intégrés dans le secteur militaro-industriel. 

Plus tôt dans l’année, au Forum de Kazan, 5 accords de coopération ont également été conclus, devant favoriser le commerce, les transports, et la prospection de gaz. L’Afghanistan devrait devenir une base régionale pour le raffinage de pétrole et de gaz, dans un contexte d’échanges commerciaux très limités avec le reste de l’Asie Centrale. 

Le reste de la région tend également à adopter une posture de plus en plus conciliante vis-à-vis de Kaboul, sans toutefois franchir le pas réalisé par le gouvernement russe. Ainsi, le Kazakhstan a précédé Moscou en retirant le régime taliban de sa liste des groupes terroristes dès 2024. Le Kirghizistan a suivi la tendance cette même année. Ainsi, en dehors du Tadjikistan qui semble rester foncièrement hostile à Kaboul, l’ensemble des pays d’Asie Centrale a rétabli ou est en voie d’établir de meilleures relations avec le gouvernement des Talibans, allant de l’acceptation de simples chargés d’affaires à une coopération plus profonde. 

En somme, la reconnaissance du groupe terroriste comme régime politique légitime de l’Afghanistan par la Russie ne semble être qu’une étape dans une tendance régionale plus large visant à la normalisation des rapports avec le pays. Bien que hautement symbolique, la politique de Moscou n’est pas isolée sur la scène asiatique. Elle pose néanmoins la question d’une légitimation généralisée de l’Afghanistan par les pays de l’ancien bloc soviétique en Asie.

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