Recalibrer La présence russe : entre revers militaires, consolidation d’alliances et activisme onusien

Une stratégie russe mise à l’épreuve : maintien de l’influence malgré les contraintes
Le 13 novembre, la Russie a suspendu son projet de base navale à Port-Soudan en raison de la guerre civile entre la SAF (Soudian Armed Forced, l’armée régulière sous le commandement du général Abdel Fattah al-Burhan) et les RSF, (Forces de Soutien Rapide, une force paramilitaire autonome dirigée par Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti). Bien que l’accord ait été négocié dès 2017, et que l’armée soudanaise ait assuré début 2025 qu’il n’y avait aucun obstacle à la mise en place du projet, l’instabilité de la zone rend désormais impossible sa ratification. Effectivement, une attaque de drones près du site prévu a confirmé les risques pour les infrastructures. Cette suspension est un revers stratégique pour Moscou : la base aurait été sa première en Afrique depuis l’époque soviétique, et un point clé vers l’océan Indien. Par ailleurs, la Marine russe est affaiblie par la guerre en Ukraine, ce qui réduit fortement sa présence en Méditerranée et limite sa capacité à ouvrir de nouvelles bases. Les soldats russes en Syrie sont eux-mêmes dans une position délicate, pris entre les frappes israéliennes et l’instabilité persistante sur le terrain dans un contexte de pressions israéliennes et d’attaques de groupes pro-turcs.
Le lendemain, le vice-ministre des Affaires étrangères de la Frédération de Russie, Sergueï Verchinine, a rencontré l’ambassadeur de la République du Soudan en Russie, Mohammed Sirrag, à la demande de ce dernier. Ils ont discuté de l’actualité au Soudan et particulièrement de l’urgence de l’arrêt des combats, et de l’initiation d’un processus de résolution de la crise dans le pays. Malgré l’impossibilité de continuer le projet de base navale, la Russie veut conserver un dialogue politique actif avec les forces officielles soudanaises.
Diversifier et solidifier les alliances pour compenser les fragilités stratégiques
Le 12 novembre, Sergei Lavrov et le ministre des Affaires étrangères iranien Abbas Araghchi ont échangé par téléphone sur les développements bilatéraux et régionaux. Ils ont salué l’accord de cessez-le-feu entre l’Afghanistan et le Pakistan, négocié par le Qatar et la Turquie, et ont appelé à poursuivre le dialogue pour stabiliser la région. Un accent a été porté sur les tentatives de campagne anti-iranienne menées par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne à l’AIEA. Les deux ministres ont aussi évoqué leur coopération bilatérale, et réaffirmé leur engagement à mettre pleinement en œuvre le Traité de partenariat stratégique global (un accord de long terme renforçant la coopération économique, sécuritaire et technico-scientifique entre les deux pays), entré en vigueur le 2 octobre. Moscou continue de consolider ses liens avec l’Iran au-delà de la coopération énergétique, dans le cadre du contrat nucléaire russo-iranien.
Le 20 novembre, le ministère russe des Affaires étrangères a tenu une réunion, consacrée à la défense des intérêts russes face aux crises au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Moscou a réaffirmé que la résolution des conflits (Syrie, Irak, Libye, Yémen) doit passer par le dialogue politique interne, le respect de la souveraineté et une lutte coordonnée contre le terrorisme, principes centraux de la diplomatie russe. La Russie entend jouer un rôle actif via les formats internationaux et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité pour influencer les processus politiques régionaux. La Russie a souligné la nécessité d’une relance du processus israélo-palestinien, via le Quartet et la Ligue arabe, pour stabiliser l’environnement régional.
Moscou souhaite par ailleurs renforcer ses relations bilatérales au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, en particulier dans les secteurs énergétiques, militaire et économique. Pour la Russie, la région constitue à la fois un espace clé de projection de puissance, lui permettant de contourner l’isolement occidental, et un levier pour sécuriser son accès aux routes maritimes, aux marchés énergétiques et aux partenariats de défense. L’accent a aussi été mis sur la Syrie, où Moscou cherche à combiner lutte antiterroriste et avancée du processus politique, avec trois objectifs constants : maintenir un État syrien unifié, protéger ses bases militaires et consolider son statut de puissance incontournable.
Défendre ses positions régionales : l’ONU comme levier central de la stratégie russe
Le 10 novembre, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est entretenu par téléphone avec le ministre des Affaires étrangères, de l’Émigration et des Expatriés égyptiens de la République arabe d’Égypte, Badr Abdelatty. Ils ont discuté de l’actualité bilatérale, notamment du développement de la coopération entre la Russie et l’Égypte, de la mise en œuvre de projets d’infrastructures communs, ainsi que de la poursuite de la coordination en matière de politique étrangère, y compris à l’ONU. Ils ont également abordé les préparatifs de la deuxième conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie–Afrique. La Russie continue de s’implanter diplomatiquement sur le continent africain, en renforçant les alliances officielles, notamment dans un but d’augmenter son poids dans les organismes internationaux.
Le 15 novembre, Vladimir Poutine a eu un entretien téléphonique avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu afin d’évoquer plusieurs dossiers régionaux sensibles : l’évolution de la situation à Gaza, le dossier nucléaire iranien et la stabilisation de la Syrie.
Cet échange intervient dans un contexte diplomatique tendu, alors que la Russie vient de soumettre au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution alternatif à celui présenté par les États-Unis sur Gaza. Dans sa proposition, Moscou affirme que la situation dans les territoires palestiniens occupés constitue une menace directe pour la paix et la sécurité régionales, et appelle à une approche différente de celle défendue par Washington. À l’inverse, les États-Unis accusent la Russie de chercher à fragmenter le Conseil de sécurité et de fragiliser un consensus international au moment où le cessez-le-feu reste précaire. Cet appel à Netanyahu s’inscrit donc dans une stratégie russe visant à maintenir un dialogue avec Israël tout en contestant l’initiative américaine, afin de rester un acteur diplomatique incontournable.
Au Conseil de sécurité, Vassily Nebenzia, représentant russe à l’ONU, a réaffirmé que la Russie considère la Syrie comme un État allié stratégique en pleine transition politique. Moscou insiste sur la résolution 2254 et le respect de la souveraineté syrienne : une position cohérente avec son objectif de préserver l’influence politique et militaire acquise depuis 2015 et d’empêcher toute remise en cause du pouvoir syrien par les Occidentaux. La Russie a salué la levée des sanctions contre Damas, argumentant que cela facilitera la reconstruction du pays. Moscou semble vouloir accélérer la normalisation du régime syrien, indispensable pour sécuriser ses bases militaires (Hmeimim, Tartous) et consolider sa crédibilité régionale. Vassily Nebenzia a dénoncé les opérations israéliennes dans le Golan, perçues par Moscou comme un facteur de déstabilisation qui affaiblit son partenaire syrien. Il a également alerté sur l’aggravation de la crise humanitaire en accusant les sanctions occidentales de freiner l’aide, y compris le déminage, un secteur où la Russie cherche à accroître sa présence.
À propos de l'auteur
Océane Roche
Étudiante en dernière année d'étude à Sciences Po Lyon, en relations internationales et à l'Université Paris 10 en études russes et post-soviétiques.



