La Géorgie entre influence russe et aspirations occidentales – Point de situation au 12/02/2025

Intensification de la répression et durcissement législatif en Géorgie
Depuis plusieurs semaines, la situation politique en Géorgie est marquée par une répression accrue à l’encontre des manifestants, des journalistes et des opposants politiques. Le gouvernement dirigé par le parti Rêve Géorgien (GD) a intensifié ses mesures coercitives à l’approche d’une mobilisation massive prévue le 2 février. Deux jours avant cette date, le Parlement a ajouté les « autoroutes d’importance stratégique et internationale » à la liste des infrastructures protégées, criminalisant ainsi leur blocage par les manifestants. Cette modification législative a été suivie d’arrestations ciblées et de perquisitions aux domiciles d’activistes, illustrant une volonté de neutralisation préventive de l’opposition civile.
Le 4 février, le parlement géorgien a également adopté en troisième lecture un ensemble d’amendements législatifs renforçant les sanctions contre « l’outrage aux fonctionnaires » et les actes de « violence à l’égard des forces de l’ordre ». Ces nouvelles dispositions prévoient notamment des peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans pour les appels publics à la violence, auparavant sanctionnés administrativement. Le président du groupe parlementaire du GD, Mamuka Mdinaradze, a justifié ces mesures en dénonçant une « tentative continue de renverser le gouvernement par des agents de l’État profond ». Ces réformes s’inscrivent dans une tendance à la restriction des libertés publiques, avec des amendements successifs visant à entraver le travail des médias indépendants et à restreindre les manifestations.
Les manifestations du 2 février ont donné lieu à une violente répression. Plus de 40 personnes, parmi lesquelles des leaders de l’opposition et des journalistes, ont été arrêtées après une tentative de blocage de la route menant à Tbilissi. Des vidéos montrent Zviad Kharazishvili, le chef de l’unité des forces spéciales du ministère de l’Intérieur, participant directement aux violences, insultant les manifestants au mégaphone. Selon le Bureau du Défenseur Public, au moins 22 détenus ont rapporté avoir été victimes de mauvais traitements lors de leur arrestation, certains ayant été frappés après leur placement dans des véhicules de transport de détenus.
Par ailleurs, la pression sur les médias s’est accentuée. Shalva Papuashvili, président du Parlement, a accusé le média en ligne Publika d’inciter à des activités illégales pour avoir relayé l’appel à manifester du 2 février. Plusieurs organisations de la société civile ont dénoncé ces déclarations comme une tentative d’intimidation des journalistes. En parallèle, plus de 40 médias géorgiens ont signé une déclaration commune condamnant ces attaques contre la liberté de la presse.
Renforcement de l’alignement géopolitique et tensions avec l’Occident
Alors que la Géorgie traverse une période d’instabilité politique, les relations du gouvernement avec les partenaires occidentaux se détériorent. La suspension de l’exemption de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques géorgiens par l’Union Européenne a été suivie par des déclarations du gouvernement norvégien annonçant une possible mesure similaire. La Norvège a déjà suspendu ses projets de coopération avec le gouvernement géorgien et réduit ses contacts politiques, en réaction aux « développements inquiétants » observés en Géorgie.
Dans le même temps, la Russie renforce son influence dans les territoires occupés. Le 31 janvier, Sergueï Kirienko, premier chef adjoint de l’administration présidentielle russe, s’est rendu en Abkhazie pour y rencontrer les autorités de facto. Cette visite s’inscrit dans une stratégie d’approfondissement du contrôle russe sur ces territoires, Moscou ayant récemment désigné un nouveau responsable chargé de la supervision politique de la région. De plus, la reprise imminente des vols directs entre Moscou et Soukhoumi signale une volonté d’intégrer davantage l’Abkhazie dans l’espace russe, malgré l’absence de réaction officielle du gouvernement géorgien sur ce dossier.
Le Premier ministre Irakli Kobakhidze a par ailleurs salué la décision de l’administration américaine de suspendre son financement des programmes internationaux pendant trois mois. Il a qualifié cette suspension de « jour noir pour l’opposition radicale » et a accusé l’ancienne administration américaine d’avoir financé des « processus révolutionnaires et des troubles » en Géorgie.
Évolution du mouvement de protestation et réactions internationales
Les manifestations pro-européennes se poursuivent malgré la répression. Le 10 février, pour la 71ᵉ journée consécutive, les manifestants sont parvenus à bloquer l’avenue Rustaveli, malgré l’intervention de la police. La contestation reste centrée sur trois revendications principales : l’organisation de nouvelles élections, la libération des prisonniers politiques et la préservation des libertés fondamentales.
La réponse internationale se durcit. Le Bureau de l’INL du Département d’État américain a publié un rapport indiquant que la Géorgie était devenue un hub stratégique pour le trafic de drogues transnationales depuis le début de la guerre en Ukraine, une déclaration perçue comme un signal d’alerte à destination du gouvernement géorgien. En parallèle, l’Union Européenne et le Conseil de l’Europe ont appelé le gouvernement à abandonner ses projets de législation répressive et à libérer les journalistes et militants emprisonnés.
À propos de l'auteur
Alexis de Varax
Alexis de Varax est analyste géopolitique. Il est diplômé en géopolitique et philosophie, spécialisé dans les dynamiques politiques du Caucase et de l'Europe de l'Est. Il contribue à la production de veilles géopolitiques hebdomadaires et d'analyses approfondies sur les relations internationales et les enjeux contemporains dans les pays post-soviétiques.