Visite d’Etat de Vladimir Poutine au Tadjikistan : état des lieux des relations russo-tadjikes

Visite d’état de Vladimir Poutine au Tadjikistan : état des lieux des relations russo-tadjikes
Du 8 au 12 octobre dernier, le président russe Vladimir Poutine était à Douchanbé, au Tadjikistan, pour une triple rencontre internationale. La plus importante était celle de la 25ème réunion des chefs d’Etat de la CEI, la Communauté des Etats Indépendants. Le 10 octobre y étaient conviés la majorité des anciennes républiques de l’Union Soviétique. La deuxième réunion était un sommet Russie-Asie Centrale, la seconde de ce genre après celle d’Astana en 2022. La troisième réunion était une visite d’Etat de Vladimir Poutine auprès d’Emomali Rahmon, le président du pays depuis 1992.
Différents accords bilatéraux d’importance ont été signés lors de cette semaine diplomatique, renforçant la place de la Russie comme premier interlocuteur au sein de la CEI. Mais au-delà de ces rencontres régionales, Vladimir Poutine est resté pas moins de 4 jours au Tadjikistan. Selon le ministère de l’Intérieur tadjik, il a été accueilli « avec un profond respect et une sincère chaleur« , une déclaration rarissime tout comme les déplacements du président russe. Parmi 16 documents d’association signés au terme de cette visite, un plan d’action vers l’augmentation du volume d’échanges entre les deux capitales, divers arrangements concernant l’immigration du travail tadjike vers Moscou, ou encore un accord énergétique via Rosatom.
A l’heure où d’autres pays d’Asie Centrale, en premier lieu le Kazakhstan, s’éloignent du centre gravitationnel de Moscou, Douchanbé maintient une relation solide de coopération avec l’ancienne puissance soviétique. Une coopération presque forcée dont la source est à chercher dans la nature profondément asymétrique du rapport entre les deux régimes.
Karolina Kluczewska, dans son article scientifique Post-Soviet power hierarchies in the making : Postcolonialism in Tajikistan’s, relations with Russia, met en avant l’idée des rapports « explicitement post-coloniaux » de la Russie avec le Tadjikistan, deux pays considérés comme des régimes autoritaires, étant placés parmi les dernières places du Democracy Index. Economiquement, le Tadjikistan est et reste le pays le plus pauvre d’Asie Centrale. Cherchant de meilleures opportunités et de meilleurs salaires, plus d’un million de tadjiks travaillent ainsi en Russie, sources intarissables de « main d’œuvre à bas coût« . En effet, là où Moscou s’est immédiatement dessiné comme le successeur de l’Union soviétique, le Tadjikistan a, rapidement après son indépendance, sombré dans une guerre civile dont le leitmotiv fut l’identité même de la nouvelle nation. Le caractère enclavé et pauvre en ressources du territoire tadjik renforce le décalage grandissant avec Moscou.
C’est à partir de ce lien de dépendance économique que découle la dépendance politique et internationale du pays : toujours selon Karolina Kluczewska, là ou les économies les plus occidentalisées de l’ex-URSS (pays Baltes essentiellement) se sont tournées résolument vers l’Europe, celle du Tadjikistan reste de loin la plus assujettie au bon vouloir du Kremlin. Le caractère liberticide autant que répressif du gouvernement tadkik est ainsi lié à la persistance du rapport de dépendance avec la Russie hérité de l’époque soviétique.
La Bibliothèque numérique des Nations Unies fournit ainsi des données concrètes sur les votes de la Russie et du Tadjikistan concernant les résolutions sur le sujet de l’Ukraine. Douchanbé s’abstient de voter presque systématiquement, ce qui est assez commun pour les nations d’Asie Centrale. Cependant, certains pays comme l’Ouzbékistan, mais aussi et surtout le Kazakhstan, se sont officiellement éloignés d’une posture de soutien à Moscou. Le vice-ministre des Affaires Etrangères kazakh, Roman Vassilenko, a déclaré qu’Astana « reconnaissait l’intégrité territoriale de tous les Etats, y compris l’Ukraine ».
Face à ces prises de position, la déclaration du ministre des Affaires Etrangères Sirojiddin Mukhriddin soutenant un règlement pacifique du conflit en Ukraine est absolument neutre, contrastant avec les éloges vis-à-vis de Vladimir Poutine à l’issue de sa visite d’Etat. Vis-à-vis du reste de l’Asie Centrale, le pays constitue désormais un cas à part. Là ou Astana et Tachkent sont en train de diversifier leurs économies, Douchanbé reste prisonnière de la mainmise moscovite sur sa puissance de projection et son indépendance factuelle. L’âge avancé du président Tadjik, au même titre que Vladimir Poutine, les deux présidents étant nés en 1952 à quelques mois d’écart, pose néanmoins la question de sa succession : que deviendra le pays à la mort du président-fondateur ?
À propos de l'auteur
Thomas Kerebel
Thomas Kerebel est étudiant en Master de Géopolitique à l'université Paris 8. Passionné par le monde post-soviétique, il souhaite se spécialiser dans la médiation diplomatique en Asie Centrale. Il travaille actuellement sur le Karakalpakstan.



