Nucléaire iranien : l’ONU à l’épreuve de la complicité israélo-américaine

Nucléaire iranien : l’ONU à l’épreuve de la complicité israélo-américaine
Le 13 juin 2025, les frappes israéliennes sur plusieurs sites nucléaires iraniens ont marqué un tournant dans les tensions régionales, torpillant les négociations discrètes menées à Oman entre Washington et Téhéran. Cette escalade intervient dans un contexte déjà tendu, où l’Iran refusait de coopérer pleinement avec l’AIEA, suscitant l’inquiétude de la communauté internationale. Face à cette nouvelle impasse, les Nations Unies, longtemps garantes du cadre de non-prolifération nucléaire, peinent à faire entendre leur voix. Face aux brasiers régionaux du Moyen-Orient, de nouveau hors de contrôle, quel est le rôle des Nations Unies dans ce schéma géopolitique incandescent ?
L’opération « Rising Lion », un tournant militaire aux enjeux mondiaux
Le 13 juin 2025, Israël déclenche une opération militaire d’envergure contre plusieurs sites stratégiques iraniens, marquant une escalade sans précédent dans les te
Cette attaque s’inscrit dans un contexte de durcissement des positions, notamment après la publication d’un rapport alarmant par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le 9 juin, son directeur général Rafael Grossi faisait état devant le Conseil des gouverneurs du manque de coopération iranienne. Non seulement Téhéran a refusé d’apporter des explications crédibles concernant la présence de particules d’uranium enrichi sur trois sites non déclarés (Varamin, Marivan et Turquzabad), mais l’agence estime que le stock d’uranium hautement enrichi en Iran dépasse désormais les 400 kilogrammes. Un seuil critique, rendant possible une percée vers l’arme nucléaire en quelques semaines si la République islamique le décidait.
Face à cette impasse, et dans une ambiance diplomatique déjà tendue, le Conseil des gouverneurs a voté le 12 juin la résolution GOV/2025/38, qui condamne officiellement le non-respect des engagements nucléaires par l’Iran. Le lendemain, Israël agit unilatéralement. Si l’objectif affiché est de freiner les ambitions nucléaires iraniennes, les conséquences diplomatiques de cette frappe ciblée semblent beaucoup plus larges.
Le contrecoup des négociations d’Oman
Quelques semaines avant cette flambée militaire, un canal diplomatique avait été réactivé à Mascate. Ce lieu avait déjà accueilli, dans le passé, des négociations exploratoires entre Washington et Téhéran. L’objectif était de rouvrir un dialogue sur le programme nucléaire et de rechercher un compromis encadré par les Nations Unies, notamment à travers une reprise partielle des termes du JCPOA (l’accord de Vienne de 2015).
Les discussions impliquaient plusieurs personnalités clés, dont Ali Shamkhani côté iranien, et Steve Witkoff côté américain. Cependant, la mort de Shamkhani prive l’Iran d’un interlocuteur expérimenté, au cœur des discussions récentes, tandis que le ministère iranien des Affaires étrangères a immédiatement suspendu toute participation aux négociations, dénonçant une complicité évidente entre Tel-Aviv et Washington.
Trump, facteur d’instabilité stratégique
Dans ce climat déjà explosif, la posture de Donald J. Trump a achevé de transformer une crise diplomatique en un point de rupture stratégique. Revenant à la Maison-Blanche en janvier 2025, l’ancien président républicain poursuit sa politique de confrontation avec l’Iran, bien loin de la diplomatie multilatérale promue par l’administration Obama. Le retrait unilatéral du JCPOA en 2018 avait déjà fragilisé le cadre juridique et diplomatique mis en place sous l’égide de l’ONU ; son retour au pouvoir confirme cette orientation.
Mais ce sont surtout ses prises de position publiques qui inquiètent. Sur sa plateforme Truth Social, Trump a exprimé son soutien explicite à l’offensive israélienne, accusant l’Iran d’être « l’unique responsable de l’escalade » et promettant « une destruction bien plus grande encore si Téhéran ne se conforme pas immédiatement aux exigences américaines ». Cette rhétorique martiale, sape les efforts de médiation onusienne et réduit à néant les chances de reprise du dialogue.
Israël, spécialiste de la méthode coercitive, maitre d’une violence décomplexée
L’attitude d’Israël dans la crise actuelle confirme une stratégie de long terme : empêcher par tous les moyens l’Iran d’accéder à un seuil nucléaire. De l’assassinat ciblé de scientifiques à l’usage de cyberattaques comme le virus Stuxnet, l’État hébreu a toujours privilégié l’action directe et asymétrique. L’opération Rising Lion s’inscrit dans cette logique, mais marque un changement d’échelle.
Contrairement aux opérations précédentes, qui visaient à ralentir ou à saboter sans faire tomber l’édifice diplomatique, l’attaque du 13 juin vise clairement à court-circuiter toute tentative de normalisation entre Washington et Téhéran. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a d’ailleurs déclaré sans ambiguïté qu’il « poursuivrait autant de frappes que nécessaire jusqu’à la fin du programme nucléaire iranien ». Cette déclaration place Israël en position de défi ouvert non seulement face à l’Iran, mais aussi face à la communauté internationale.
Pour les Nations Unies, cette situation rend le maintien d’un cadre multilatéral plus urgent mais aussi plus difficile. Le Conseil de sécurité est confronté à l’effondrement de décennies d’efforts, et devient spectateur d’une possible guerre préventive, pourtant illégale au regard du droit international.
Le rôle des Nations Unies, une architecture multilatérale fragilisée
Depuis la signature du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en 1968, les Nations Unies ont bâti une architecture de sécurité collective visant à prévenir la dissémination des armes nucléaires tout en garantissant le droit à l’énergie atomique à des fins pacifiques. Ce cadre repose sur un équilibre délicat entre transparence, inspections et coopération technique. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), bras opérationnel du système onusien dans ce domaine, joue un rôle central en tant qu’organisme de vérification et de dialogue technique.
L’Iran, en tant que signataire du TNP, est tenu de déclarer toutes ses activités nucléaires et d’accepter les inspections de l’AIEA. Toutefois, la méfiance historique entre Téhéran et les puissances occidentales, exacerbée par les tensions régionales, a souvent rendu la mise en œuvre de ces engagements difficile. La crise actuelle illustre une nouvelle fois les limites du système lorsqu’un acteur refuse la transparence.
En juin 2025, le rapport de Rafael Grossi met en lumière un fossé inquiétant : des sites nucléaires non déclarés, la présence inexpliquée de particules d’uranium enrichi, et un stock de matière fissile qui dépasse de loin les seuils civils usuels. Face à ces constats, l’AIEA a déclenché une réponse formelle en adoptant la résolution GOV/2025/38, affirmant que l’Iran n’était plus en conformité avec ses obligations de transparence.
L’Accord de Vienne (JCPOA), espoir brisé ou socle à réactiver ?
L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA), signé en 2015 entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne (P5+1), fut salué comme une avancée diplomatique majeure. Il encadrait strictement le programme nucléaire iranien, limitant notamment le niveau d’enrichissement d’uranium à 3,67 %, réduisant le stock de matière fissile, et soumettant l’ensemble du cycle nucléaire à des inspections renforcées. En contrepartie, les sanctions économiques étaient progressivement levées.
L’accord, négocié sous l’égide des Nations Unies, avait permis un rétablissement partiel de la confiance entre Téhéran et la communauté internationale. Mais son démantèlement progressif à partir de 2018, avec le retrait unilatéral des États-Unis sous l’administration Trump, a ouvert la voie à une reprise des activités nucléaires iraniennes sans surveillance crédible.
Depuis 2021, plusieurs tentatives ont été menées pour relancer l’accord, notamment sous la présidence Biden. Cependant, le retour de Trump à la Maison-Blanche début 2025 a stoppé net les efforts de réconciliation. L’absence d’un cadre légal contraignant et d’une volonté politique partagée empêche aujourd’hui tout retour immédiat au JCPOA. L’attaque israélienne du 13 juin, en sapant les discussions à Oman, enfonce un peu plus le clou dans le cercueil d’un accord pourtant stabilisateur.
Entre mission technique et impuissance diplomatique, l’important rôle de l’AIEA
L’AIEA, bien que dotée d’une compétence technique reconnue et de moyens d’enquête avancés, se heurte de plus en plus à des obstacles politiques. Son mandat repose sur la coopération des États, sans force coercitive directe. Dans le cas iranien, la stratégie de dissimulation et le refus d’accès à certains sites rend toute évaluation transparente quasi impossible.
Rafael Grossi, conscient des limites de son agence, multiplie les alertes devant le Conseil des gouverneurs. Mais aucune résolution n’est à ce jour en mesure d’imposer à l’Iran un retour contraint à la transparence. De même, aucune sanction collective significative n’est envisageable tant que la Chine et la Russie, proches de Téhéran, maintiennent leur soutien, menaçant d’user de leur pouvoir de veto.
Pour finir, la crise actuelle autour du nucléaire iranien démontre une fois de plus les limites du multilatéralisme face aux logiques des intérêts d’Etats souverains et sponsorisés par les grandes puissances mondiales. Tandis que l’AIEA peine à obtenir la coopération de Téhéran, l’intervention militaire israélienne fragilise encore davantage l’édifice diplomatique bâti autour de l’accord de Vienne. Le désengagement américain du cadre onusien, symbolisé par le retour de Donald Trump, achève d’affaiblir un système de régulation déjà mis à rude épreuve. Pourtant, c’est bien ce cadre, fondé sur la transparence, la vérification et le dialogue, qui a jusqu’ici permis de contenir les ambitions nucléaires iraniennes. L’érosion de ce mécanisme ouvre la voie à une dangereuse fragmentation de la gouvernance mondiale du nucléaire, dans laquelle le droit international risque d’être relégué au second plan face aux rapports de force régionaux.
À propos de l'auteur
Nans AMAIL
Passionné par les relations internationales, la diplomatie multilatérale et la géopolitique, je m’intéresse particulièrement au rôle global des Nations Unies face aux enjeux sécuritaires contemporains. Au sein d’EURASIAPEACE, je travaille sur la thématique : « Les Nations Unies face aux menaces contemporaines et hybrides », en apportant une analyse critique sur l’évolution des formes de conflictualité et la capacité d’adaptation des institutions internationales.