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Multipolarité stratégique et effritement de l’hégémonie occidentale

Publié le 23/06/2025
5 min de lecture
Par Noah VIDON
Asie de l'est

«Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de choses». L’éditorial «Combat» d’Albert Camus en 1945 s’ouvrait sur un ton empreint d’une lucidité désabusée quant à la fragilité des certitudes humaines. En 2025, cette formule résonne avec une acuité renouvelée dans un contexte géopolitique marqué par la désoccidentalisation accélérée de l’ordre international. Ce phénomène n’est plus seulement une inflexion idéologique, il s’incarne désormais dans la reconfiguration brutale des rapports de forces. 

L’opération «Rising Lion», déclenchée en juin par les forces de défense israéliennes a marqué une inflexion brutale dans le paysage géopolitique régional. En frappant plus de 1 100 sites stratégiques iraniens, dont des installations nucléaires, des bases des Gardiens de la Révolution et des infrastructures critiques, Tel Aviv a provoqué une réaction immédiate de Téhéran. En représailles, l’Iran a lancé une riposte à l’aide de missiles balistiques et de drones kamikazes, dont certains ont pénétré les systèmes de défense israéliens et atteint des zones urbaines. L’Occident vacille, hésite et tâtonne sans ligne claire alors que la Chine avance en silence et approfondit progressivement son ancrage politique et économique au Moyen-Orient. 

Une projection régionale multidimensionnelle 

La Chine a dépassé le temps de l’ascension pacifique (和平崛起), jadis fondée sur la seule puissance économique. Elle affirme désormais une présenc

e globale (sécuritaire, énergétique, technologique) et s’impose comme un acteur structurant du nouvel échiquier au Moyen-Orient. L’ouverture, en 2017, de sa première base militaire à Djibouti, équipée pour accueillir des bâtiments de guerre lourds à l’instar des Type 071, témoigne de cette ambition stratégique : située à proximité du détroit de Bab el-Mandeb, elle confère à Pékin un levier de contrôle sur un carrefour énergétique majeur.  Sur le plan politico-sécuritaire, le pacte sino-iranien de 25 ans signé en 2021, prévoyant un investissement total de 400 milliards de dollars sur toute la durée du pacte, avait élargi la coopération militaire, logistique, cybernétique et de renseignement. Ce pacte a de facto fait de l’Iran un pilier tactique dans la stratégie chinoise de contournement de l’axe américano-saoudien. Les satellites d’observation fournis par Chang Guang Satellite Technology permettent désormais à Téhéran de guider ses frappes de drones avec une précision accrue, grâce à l’intégration du système BeiDou, alternative chinoise au GPS. Par ailleurs, l’exercice naval trilatéral «Maritime Security Belt 2025», mené aux côtés de la Russie et de l’Iran, a permis à la marine de l’Armée Populaire de Libération de tester des capacités de projection régionale sur l’océan Indien, jusqu’aux abords du détroit d’Ormuz. 

Parallèlement, à travers la BRI, la Chine a investi dans plus de 25 ports – de Gwadar à Duqm en passant par Abu Dhabi et Port Soudan – dans une logique de contrôle des flux pétroliers, dont près de 40% transitent par la région. Ainsi, cette projection régionale intégrée constitue l’ossature opérationnelle d’un ordre post-occidental que les BRICS façonnent patiemment dans les failles du leadership atlantique.

La désoccidentalisation comme matrice stratégique de Pékin

La crise ouverte par l’opération «Rising Lion» a offert à la Chine une fenêtre stratégique : délégitimer l’Occident et affirmer ses prétentions. Pékin dénonce l’usage à géométrie variable du droit international par les puissances atlantiques, fustige leur silence sur les frappes israéliennes et réaffirme, en contrepoint, le principe de souveraineté inscrit dans la Charte de l’ONU. Cette posture s’accompagne d’un effort structurant : l’Organisation de Coopération de Shanghaï, élargie à l’Iran, devient le laboratoire d’un nouvel ordre, avec un mécanisme permanent de dialogue sécuritaire inspiré de la CSCE. Dans ce cadre, les BRICS+, désormais étendus à l’Egypte, l’Arabie Saoudite, l’Ethiopie, les E.A.U et l’Iran, incarnent le bras diplomatique d’un contre-modèle multipolaire. Pékin assume pleinement ses élans et admet un budget militaire en hausse (224,8 milliards en 2024), la première marine du monde en nombre de navires, et une capacité de projection croissante. Son partenariat avec Téhéran (cyber, renseignement, satellites) ancre durablement sa présence régionale.

Face à la relative inertie du  Conseil de sécurité des Nations unies et à la retenue de l’OTAN, peu désireuse de s’impliquer hors de son périmètre conventionnel, la Chine cherche à occuper un rôle central dans les initiatives de médiation, en promouvant un discours axé sur la souveraineté, la stabilité régionale et la multipolarité.  Toutefois, cette posture soulève des interrogations, dans la mesure où Pékin revendique la non-ingérence tout en consolidant, dans d’autres contextes, une influence stratégique marquée – notamment en mer de Chine méridionale ou dans ses relations avec des régimes autoritaires alliés. Dans le sillage de l’invasion russe de l’Ukraine, la Russie soutient une médiation eurasiatique en cohérence avec son ambition géopolitique, tandis que l’Iran s’appuie sur les BRICS et les corridors énergétiques pour élargir ses marges de manœuvre. L’Inde et le Brésil, quant à eux, défendent une approche de dialogue Sud-Sud fondée sur le pluralisme des voix diplomatiques – un pluralisme qu’ils invoquent surtout lorsque les rapports de force leur sont favorables. Désormais, les BRICS+ ne se limitent plus à contester les institutions dominantes : ils ambitionnent d’y proposer des alternatives. Cette dynamique reflète une recomposition partielle des relations internationales marquée par une montée en puissance de pôles non occidentaux, mais aussi par des contradictions internes quant aux principes qu’ils revendiquent.

À propos de l'auteur

Noah VIDON

Noah VIDON

Diplômé en Relations Internationales et Sciences-politiques, Noah nourrit une passion ardente pour l’analyse géopolitique et la prospective stratégique. Sa fascination pour l’Asie, creuset de cultures et acteur clé de l’échiquier mondial, aiguise son ambition. Fort d’un regard multiculturel, il aspire à servir une action publique innovante, au cœur des politiques étrangères de demain.

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