L’initiative pragmatique « ONU80 » et la quête d’une nouvelle légitimité multilatérale pours les Nations Unies

L’initiative pragmatique « ONU80 » et la quête d’une nouvelle légitimité multilatérale pours les Nations Unies
À l’approche de son 80e anniversaire, l’Organisation des Nations Unies se trouve confrontée à une interrogation fondamentale : peut-elle encore incarner un ordre multilatéral crédible dans un monde fracturé ? Loin d’un simple anniversaire commémoratif, l’initiative ONU80, lancée sous l’impulsion du Secrétaire général António Guterres, ambitionne de repenser l’architecture globale de la gouvernance internationale. Entre idéalisme assumé et contraintes géopolitiques, ce projet pose une question brûlante, s’agit-il d’une réforme de façade ou d’une réelle tentative de refonder un multilatéralisme en difficulté ?
ONU80, Une réforme causée par des soucis budgétaires difficilement soutenable
Annoncée en juin 2024, l’initiative ONU80 s’inscrit dans le sillage du programme de réforme engagé par Guterres dès 2021 avec son « Appel à l’action », puis son « Agenda commun », véritable diagnostic systémique d’un multilatéralisme en crise. Déséquilibres Nord-Sud croissants, ineffectivité du Conseil de sécurité, inégalités structurelles, recul démocratique, exclusion persistante des jeunes, des femmes et des peuples autochtones. L’enjeu désormais affic
L’initiative s’articule autour de plusieurs piliers interdépendants, conçus comme les fondations d’un nouveau cadre de gouvernance mondiale.
Premièrement, le Pacte pour l’avenir : ce texte-cadre, adopté lors du Sommet de l’Avenir les 22 et 23 septembre 2024 à New York, énonce une série d’engagements collectifs sur les grands défis contemporains : prévention des conflits armés et hybrides, justice climatique, gouvernance responsable des données, financement équitable du développement durable, encadrement de l’intelligence artificielle et renforcement du socle des droits humains. S’il ne crée pas de nouvelles obligations juridiques, il entend néanmoins affirmer une vision partagée des responsabilités globales. L’ambition est de faire émerger une constitution morale du XXIe siècle, fondée sur la coopération plutôt que sur la compétition.
Deuxièmement, une Déclaration sur les générations futures : ce texte vise à institutionnaliser la solidarité intergénérationnelle en inscrivant dans les mécanismes onusiens une représentation plus structurée des jeunes, des peuples autochtones et des communautés historiquement marginalisées. En dépassant le cadre strictement interétatique, cette initiative entend amorcer un basculement vers un multilatéralisme plus horizontal, ancré dans la diversité des sociétés civiles et non plus uniquement dans les chancelleries.
Troisièmement, une plateforme de réforme structurelle : elle aborde les angles morts de l’architecture onusienne. Il s’agit notamment de repenser la composition du Conseil de sécurité, souvent critiquée pour son anachronisme, de renforcer le rôle stratégique de l’ECOSOC, de créer un Conseil mondial consultatif sur l’intelligence artificielle, et de simplifier les lourdeurs bureaucratiques qui freinent l’agilité du système. Ces chantiers, bien que techniques, sont éminemment politiques et reflètent des rapports de force profondément enracinés.
Enfin, un processus ouvert, inclusif et participatif : à travers des consultations régionales, des forums multipartites, des contributions citoyennes et des dialogues avec le secteur privé, l’ONU tente de rompre avec une tradition décisionnelle verticale. L’objectif affiché est de restaurer la légitimité sociale et politique du système multilatéral, en l’ancrant dans les réalités du terrain et en le rendant plus perméable aux revendications des sociétés contemporaines.
Il ne s’agit pas simplement de « réparer l’ONU », mais bien de « la réinventer » en fonction des besoins et des aspirations des générations futures. Reste à savoir si cette intention réformiste peut survivre à la brutalité des rapports de pouvoir.
Réformer, oui… mais avec qui ?
Depuis la fin de la Guerre froide, les propositions de réforme de l’ONU se sont succédées sans guère de conséquences concrètes. L’élargissement du Conseil de sécurité, longtemps évoqué, demeure dans l’impasse. La réforme du Secrétariat reste tributaire des résistances internes. La coordination entre agences onusiennes se heurte à des cloisonnements bureaucratiques profondément enracinés.
Ce qui distingue ONU80 est moins son contenu, qui s’inscrit dans une continuité réformatrice, que sa méthodologie participative. Le processus veut associer acteurs étatiques et non étatiques, de la diplomatie classique aux mouvements sociaux.
Les fractures stratégiques persistent, révélant la profondeur des divergences au sein du système multilatéral. La Chine et la Russie, défenseurs d’un multilatéralisme rigide fondé sur la souveraineté absolue des États, s’opposent fermement à toute tentative d’internationalisation contraignante des normes, perçue comme une menace à l’autonomie décisionnelle nationale. Les États-Unis, quant à eux, bien qu’ouvertement favorables à certaines réformes ciblées, demeurent réticents à toute évolution qui pourrait affaiblir leur pouvoir de veto ou compromettre leur position dominante dans les enceintes onusiennes.
Du côté des puissances émergentes tel que l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, la revendication d’une représentation accrue dans les instances de décision est constante, mais peine à se structurer en une vision commune du multilatéralisme réformé. En parallèle, de nombreux acteurs non étatiques, ONG, syndicats, communautés de base, dénoncent l’entre-soi diplomatique et la persistance de logiques hiérarchiques héritées de l’ordre postcolonial. À ce morcellement géopolitique s’ajoute une crise de confiance interne, alimentée par les dysfonctionnements bureaucratiques et les tensions institutionnelles, qui fragilise la légitimité même du projet réformateur.
Une crise de gouvernance au cœur du système
La mise en œuvre de l’initiative ONU80 intervient dans un contexte délicat, en juin 2025, plus de 1 000 fonctionnaires onusiens à Genève ont adopté une motion de défiance contre António Guterres, dénonçant une gestion jugée opaque, un favoritisme structurel et un manque de redevabilité. Ces accusations de sexisme institutionnel, de blocage hiérarchique et de déconnexion avec le terrain illustrent une fracture interne entre les idéaux proclamés et le fonctionnement réel du système onusien. Cette initiative ne fait pas l’unanimité, néanmoins, face aux difficultés économiques, une révision douloureuse de la manière de faire de toute l’Organisation des Nations Unies est nécessaire afin de faire face au laxisme des Etats quant au financement des Nations Unies.
Le moment actuel que traverse l’Organisation des Nations Unies ne se résume ni à une simple crise institutionnelle ni à une étape prévisible de son évolution. Il s’inscrit dans un basculement plus large des équilibres mondiaux, marqué par l’érosion de la centralité occidentale, la montée de nouvelles puissances régionales, la fragmentation normative et l’hybridation croissante des conflits. Dans ce contexte, l’initiative ONU80, à travers le Pacte pour l’avenir, la Déclaration sur les générations futures et les propositions de réformes structurelles, tente d’articuler un projet de gouvernance globale à la hauteur de cette recomposition. Elle s’inscrit également dans un moment où plusieurs institutions internationales, du FMI à l’OMC, sont engagées dans des processus de réajustement, parfois sous pression de coalitions d’États du Sud global plus assertives.
Au cours du Sommet de septembre 2024, plusieurs propositions et pistes de réflexion ont été avancées pour renforcer la pertinence et l’efficacité de l’ONU face aux défis contemporains. Ces échanges, comme lors du discours du 75ème anniversaire, ont mis en lumière la nécessité d’approfondir la coopération multilatérale. Notamment en matière de prévention des conflits, de justice climatique et de solidarité intergénérationnelle. La mise en œuvre de réformes significatives dépendra donc largement de la volonté des États membres à dépasser les logiques de blocs traditionnels, à remettre en question certains privilèges hérités et à s’engager dans une diplomatie fondée sur la coopération véritable. Plus qu’une simple modernisation administrative, ce processus appelle à une redéfinition profonde de la légitimité internationale.
À propos de l'auteur
Nans AMAIL
Passionné par les relations internationales, la diplomatie multilatérale et la géopolitique, je m’intéresse particulièrement au rôle global des Nations Unies face aux enjeux sécuritaires contemporains. Au sein d’EURASIAPEACE, je travaille sur la thématique : « Les Nations Unies face aux menaces contemporaines et hybrides », en apportant une analyse critique sur l’évolution des formes de conflictualité et la capacité d’adaptation des institutions internationales.