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L’humanitaire mondial sous pression, le cri d’alarme des Nations Unies

Publié le 17/09/2025
5 min de lecture
Par Nans AMAIL
Monde

L’humanitaire mondial sous pression, le cri d’alarme des Nations Unies

Le système humanitaire traverse une crise inédite, à la fois budgétaire, opérationnelle et sécuritaire. Sous-financement chronique, multiplication des conflits et attaques contre le personnel fragilisent l’accès aux populations vulnérables, au point de menacer la stabilité internationale dont le réseau humanitaire est son pilier le plus vital.

Besoins en hausse, moyens en berne

En 2024, plus de 300 millions de personnes ont nécessité une assistance d’urgence, un record qui illustre l’addition de crises armées (Ukraine, Soudan, Sahel), de catastrophes climatiques récurrentes et de chocs économiques ou pandémiques. Ce contexte de « polycrise », pour reprendre l’expression du Secrétaire général de l’ONU, met à rude épreuve les agences onusiennes comme les ONG internationales. Le rapport 2025 du Global Humanitarian Overview (OCHA) indique que seuls 45 % des besoins financiers ont été couverts, un plancher jamais atteint depuis une décennie. Les principaux bailleurs que sont les États-Unis, Union européenne, Royaume-Uni, pays du Golfe réduisent ou redirigent leurs contributions, contraints par leurs priorités domestiques et des budgets sous tension.

Cette contraction a des effets immédiats : rationnement des rations alimentaires du Programme alimentaire mondial, suspension de programmes de santé ou retards dans la reconstruction post-catastrophe. Le modèle basé sur des appels de fonds volontaires annuels montre clairement ses limites face à une croissance structurelle des crises.

Des capacités d’intervention étirées et vulnérables

Le déficit n’est pas seulement financier. Les ressources humaines et logistiques se trouvent saturées par un enchaînement de crises simultanées : conflit à Gaza, déplacements massifs en RDC, inondations au Pakistan, sécheresse dans la Corne de l’Afrique. Infrastructures de transport détruites, manque de personnel qualifié et difficultés d’acheminement ralentissent l’aide. Les organisations locales, pourtant en première ligne, manquent de moyens alors qu’elles représentent un maillon essentiel de l’efficacité opérationnelle.

Dans le même temps, les travailleurs humanitaires sont de plus en plus pris pour cibles. La base de données AWSD relève une hausse de 25 % des incidents violents en 2024, notamment en Syrie, au Soudan et en Haïti. Certains États restreignent l’accès humanitaire sous prétexte de sécurité ou de lutte contre l’ingérence, comme en Éthiopie ou en Birmanie, compliquant la neutralité et dissuadant les bailleurs de financer des zones à haut risque.

Fragmentation des acteurs et rivalités géopolitiques

La gouvernance humanitaire se transforme également. La multiplication des ONG et l’arrivée de nouveaux bailleurs étatiques non occidentaux, principalement la Chine, la Turquie et des États du Golfe diversifient les financements mais alimentent la compétition et la duplication des efforts. Les mécanismes de coordination onusiens, tels que le cluster system, peinent à s’imposer face à des agendas parfois divergents. Cette fragmentation affaiblit l’impact global et dilue la responsabilité collective, tandis que les grandes puissances n’hésitent pas à instrumentaliser l’aide à des fins stratégiques, fragilisant davantage le principe de neutralité.

Ces désordres ont un coût géopolitique tangible : aggravation des flux migratoires non contrôlés, vides sécuritaires exploitables par des groupes armés, défiance accrue envers les institutions internationales. L’humanitaire n’est plus seulement une question morale ; il devient un facteur central de stabilité ou d’instabilité régionale.

Les pistes de réforme et innovations nécessaires

Face à ce cercle vicieux, l’ONU et plusieurs think tanks plaident pour une refonte structurelle du système humanitaire, en insistant sur quatre leviers complémentaires. D’abord, un financement plus prévisible et pluriannuel est jugé essentiel. Inspirés des mécanismes de financement climatique, certains projets proposent de passer des appels de fonds volontaires à des contributions quasi obligatoires ou à des prélèvements automatiques sur certaines transactions internationales. Cette évolution, débattue à l’Assemblée générale et au Conseil économique et social, permettrait de réduire la dépendance aux cycles budgétaires nationaux et d’assurer la continuité des programmes.

Parallèlement, le renforcement des acteurs locaux constitue un enjeu majeur. Les rapports de Development Initiatives rappellent que les ONG communautaires sont souvent les premières à intervenir. Leur donner un accès direct aux financements, accompagné de formations et de mécanismes de redevabilité adaptés, accélérerait l’action humanitaire tout en renforçant sa légitimité.

L’innovation technologique est un autre pilier de cette transformation. L’intelligence artificielle pour anticiper les catastrophes, la logistique par drones ou les paiements numériques sont déjà expérimentés par le Programme alimentaire mondial et le HCR. Le World Economic Forum estime que ces outils pourraient réduire les coûts et accélérer les interventions, sous réserve de solides garanties en matière de protection des données et d’équité d’accès.

Enfin, la protection du personnel humanitaire demeure une priorité absolue. Le renforcement du droit international humanitaire et l’adoption de sanctions ciblées contre les auteurs d’attaques, qu’ils soient membres de groupes armés ou acteurs étatiques, sont soutenus par le Comité international de la Croix-Rouge et repris dans des résolutions du Conseil de sécurité, notamment S/RES/2730 (2024). Ces mesures visent à instaurer une véritable dissuasion et à garantir un accès sûr aux zones de conflit.

Un investissement stratégique et réfléchi plus que jamais nécessaire

Jamais les besoins n’ont été aussi élevés et jamais les moyens relatifs aussi contraints. Sans réforme, le système humanitaire risque une perte de légitimité et d’efficacité, avec des répercussions directes sur la paix mondiale. Considérer l’aide non comme une charge budgétaire mais comme un investissement stratégique dans la sécurité internationale apparaît aujourd’hui indispensable. Dans un monde marqué par la polycrise, renforcer l’humanitaire revient à renforcer la stabilité globale.

À propos de l'auteur

Nans AMAIL

Nans AMAIL

Passionné par les relations internationales, la diplomatie multilatérale et la géopolitique, je m’intéresse particulièrement au rôle global des Nations Unies face aux enjeux sécuritaires contemporains. Au sein d’EURASIAPEACE, je travaille sur la thématique : « Les Nations Unies face aux menaces contemporaines et hybrides », en apportant une analyse critique sur l’évolution des formes de conflictualité et la capacité d’adaptation des institutions internationales.

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