Les relations des États-Unis avec les pays d’Indo-pacifique – Point de situation au 13/03/2025

Après presque deux mois au sein de la Maison Blanche, on ne compte déjà plus le nombre de décrets signés par Donald Trump. Parmi eux, les questions climatiques et énergétiques ne sont pas épargnées. Véritable climatosceptique et adepte des énergies fossiles, le nouveau Président n’a pas hésité une seconde avant de sortir des accords de Paris, le jour même de son investiture. Cette décision a redessiné la géopolitique énergétique mondiale, accélérant la rivalité entre les grandes puissances.
Dans ce cadre, la stratégie de Donald Trump semble s’inscrire dans une volonté plus large de renforcer les alliances sécuritaires et économiques des États-Unis, notamment en Asie du Sud-Est, tout en contrôlant l’influence grandissante de la Chine dans la région. Pour les pays de cette zone, l’élection de Trump suscite à la fois des espoirs et des inquiétudes, entre les opportunités qu’elle pourrait offrir et les risques qu’elle engendre.
La suspension des financements de l’USAID (United States Agency for International Development – agence gouvernementale américaine chargée de fournir une aide humanitaire et de soutenir le développement économique – par l’administration Trump a perturbé de nombreux projets de développement énergétique dans la région Indopacifique. Cette aide permettait de dispenser une formation technique aux cadres du secteur de l’énergie et de renforcer les compétences en matière de commerce des énergies renouvelables au sein des pays de l’ASEAN. Néanmois, malgré cet apparent désengagement initial, Donald Trump a récemment intensifié les efforts pour accroître la présence énergétique américaine dans la zone Indopacifique.
Depuis quelques mois, la nouvelle administration américaine a augmenté ses exportations de GNL (gaz naturel liquéfié) vers cette région du monde, en particulier l’Inde. Dans cette continuité, Donald Trump a déclaré le 4 mars 2025 devant le Congrès : «Mon administration travaille sur un gigantesque gazoduc en Alaska, l’un des plus grands au monde, où le Japon, la Corée du Sud et d’autres pays veulent être nos partenaires avec des investissement de plusieurs milliers de milliards de dollars». Ce projet de 44 milliards de dollars traduit la volonté des parties prenantes se détacher de la dépendance énergétique à la Russie et aux pays du Golfe, et de s’imposer comme une puissance économique face à la Chine.
Le projet Alaska LNG vise à relier les champs gaziers du North Slope en Alaska à une installation de liquéfaction sur la péninsule du Kenai via un gazoduc de 1 200 kilomètres. Le terminal de Nikiski, basé sur un site inactif depuis 2018, ambitionne de devenir un hub stratégique pour l’exportation de GNL vers l’Indopacifique, réduisant ainsi le temps de transport vers certains ports asiatiques à moins de deux semaines. Le Japon, la Corée du Sud, les Philippines ou encore Taïwan auraient déjà fait part de leur intérêt pour le projet, sans qu’aucun accord n’ait été pour le moment établi.
La seconde préoccupation de Donald Trump concerne les minéraux critiques (ressources minérales essentielles aux technologies modernes et aux industries stratégiques mais dont l’approvisionnement est complexifiée par leur inégale répartition à l’échelle mondiale). Le Président a exprimé des inquiétudes concernant la dépendance des États-Unis, notamment envers la Chine et cherche à renforcer la production domestique tout en diversifiant ses sources d’approvisionnement pour assurer sa souveraineté nationale.
Dans cette dynamique, un exemple particulièrement frappant a émergé : Donald Trump aurait demandé à l’Ukraine de céder ses minéraux critiques en échange du soutien militaire américain. Cette demande a suscité des inquiétudes sur la possible instrumentalisation des ressources stratégiques à des fins géopolitiques. Il apparaît ainsi que la nouvelle administration Trump envisage d’utiliser les minéraux critiques comme monnaie d’échange pour obtenir des avantages stratégiques, une stratégie qui rappelle sa politique des tarifs douaniers, évoquée il y a quelques semaines. Ce rapprochement suggère que l’administration pourrait mettre en œuvre des politiques similaires vis-à-vis d’autres pays, notamment ceux de la région de l’ASEAN.
Une telle approche des États-Unis risquerait de compromettre les ambitions des pays de l’ASEAN en matière de développement minéral durable, notamment à travers le Mineral Cooperation Action Plan, qui vise à gérer les ressources minières de manière écologique et à éviter leur exploitation excessive. Si les États-Unis continuent d’utiliser les minéraux critiques comme levier géopolitique, cela pourrait entraver la mise en œuvre de ce plan et freiner les efforts pour une gestion plus responsable des ressources. Dans ce contexte, des pays comme l’Indonésie et les Philippines, principaux exportateurs de cuivre et de nickel, semblent avoir déjà pris des mesures pour encourager la transformation locale de ces minéraux et créer plus de valeur ajoutée, réduisant ainsi leur dépendance aux exportations brutes.
Les pays de l’Indopacifique sont actuellement en pleine transition énergétique, un défi complexe marqué par la nécessité de réduire leur dépendance aux énergies fossiles tout en répondant à une demande énergétique de plus en plus élevée. Des pays comme la Malaisie, par exemple, se fixent des objectifs ambitieux, visant à atteindre 70 % d’énergies renouvelables d’ici 2050 grâce à des investissements massifs dans l’hydrogène et les énergies vertes. Pendant ce temps, l’Indonésie et le Vietnam, encore largement dépendants du charbon, collaborent avec des partenaires internationaux pour financer et accélérer leur transition énergétique. De plus, des nations comme l’Australie, riche en nickel et en lithium, sont devenues des partenaires stratégiques des États-Unis, mais cette coopération pourrait entrer en contradiction avec les ambitions durables de certains pays de la région. Face à ces enjeux, la région se trouve à un carrefour où elle doit équilibrer croissance économique, ambitions écologiques et enjeux géopolitiques.
Ainsi, dans un contexte géopolitique incertain, il est crucial pour les pays de la zone de diversifier leurs partenariats stratégiques afin d’assurer une gestion efficace des enjeux énergétiques. L’Australie, par exemple, joue un rôle clé en tant qu’investisseur dans la transition énergétique durable de la région. En élargissant leurs partenaires et en attirant de nouveaux investisseurs, les pays de l’ASEAN peuvent créer des alternatives solides face aux influences des États-Unis et de la Chine.
Cependant, cette dynamique géopolitique accentue la rivalité entre grandes puissances, avec la Chine cherchant à sécuriser ses approvisionnements en énergies et en minéraux critiques, ce qui accroît les tensions dans des zones stratégiques comme la mer de Chine méridionale. Cette rivalité croissante pourrait entraîner une militarisation accrue des routes maritimes stratégiques, augmentant ainsi les risques de confrontation, notamment autour de Taïwan. En parallèle, les efforts des États-Unis pour diversifier leurs sources d’approvisionnement, en particulier avec l’Indonésie et l’Australie, risquent de mettre ces pays sous pression, ouvrant la voie à des représailles économiques de la part de Pékin. Dans ce contexte complexe, il est impératif que les nations de la région adoptent une approche collaborative afin de minimiser les tensions, favoriser la stabilité énergétique et promouvoir un développement durable à long terme.
À propos de l'auteur
Sidonie Ayroles
Diplômée en Relations Internationales, Sécurité et Défense, Sidonie a une forte appétence pour l’analyse géopolitique et les enjeux stratégiques. Spécialisée dans l’évaluation des risques sécuritaires, elle s'intéresse aux dynamiques de défense et aux menaces contemporaines, alliant veille stratégique et réflexion prospective sur les équilibres internationaux.