Energie
Kazakhstan
Russie

Le géant nucléaire Rosatom de retour au Kazakhstan : un nouveau Grand Jeu ?

Publié le 29/09/2025
4 min de lecture
Par Thomas Kerebel
Russie

Le 8 août, le Directeur Général de Rosatom, Alexeï Likhachev, a inauguré à Ulken, Kazakhstan, un nouveau projet de construction de réacteur nucléaire. Le nouveau président de l’agence kazakhe pour l’énergie atomique, Almasadam Satkaliyev, était également présent. La discussion préliminaire à l’établissement de cette coopération s’était déroulée lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, en juin dernier.

Cette annonce de Rosatom signe le retour de l’utilisation civile de l’atome au Kazakhstan, le pays ne possédant plus aucune production électrique nucléaire depuis 1999, lors de la mise à l’arrêt définitif du réacteur BN-350. Il s’agira en particulier pour Astana de «réduire l’empreinte carbone du pays». Le choix de Rosatom pour la construction d’une nouvelle centrale nucléaire fait suite à une sélection concurrentielle parmi d’autres propositions.

L’agence Rosatom est, depuis la fin de l’ère soviétique, un acteur central du point de vue énergétique en Asie Centrale. Ainsi, si la Chine tend également à prendre une place nouvelle dans le secteur nucléaire (via la China National Nuclear Corporation), Moscou conserve une relative prédominance dans le domaine, précisément par Rosatom.

En Ouzbékistan, la société russe Atomstroyexport a, par exemple, signé un protocole pour le développement d’une centrale nucléaire dotée du nouveau réacteur russe RITM-200N. De plus, toujours au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, un autre accord visant à construire des infrastructures atomiques de plus grande envergure a été conclu le 20 juin dernier. Quant au Kirghizistan, au-delà du nucléaire, Rosatom y construira sous 3 ans une centrale hydroélectrique permettant de développer 30 MW d’électricité.

Le choix de la Russie comme partenaire énergétique majeur dans la région est autant pratique que symbolique. En premier lieu pratique, de par la proximité géographique avec la Russie, mais surtout symbolique, de par les liens historiques, anciens comme contemporains, entre Moscou et ce qui était l’ancienne région historique du Turkestan. A l’heure de ce qui constitue la plus grande rupture entre la Russie et l’Occident depuis la fin de la Guerre Froide, le maintien d’une véritable coopération énergétique (et donc, a fortiori, lucrative) avec la plupart des anciennes républiques soviétiques constituerait une sorte de défi posé à l’UE et à l’OTAN.

Toutefois, si la Russie a longtemps été l’acteur politique hégémonique de l’Asie Centrale, elle est en passe de perdre son monopole. En effet, à l’instar du Grand Jeu entre puissances européennes qui avait bouleversé les khanats musulmans du XIXème siècle, les sanctions antirusses à l’œuvre depuis 2022 ont également produit leurs effets. Une des stratégies des entreprises russes et occidentales pour continuer à commercer serait de passer par des pays tiers conservant des liens de proximité avec Moscou.

Selon David O’Sullivan, envoyé spécial de l’Union Européenne pour les sanctions, «dès lors qu’il y a des sanctions, il y a des contournements». La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement mentionne également « une augmentation des exportations vers le Kazakhstan et le Kirghizistan ». Ces exportations se font notamment depuis certains pays européens, comme l’Allemagne pour les exportations automobiles.

Pour revenir sur le volet énergétique, la région voit donc s’opposer plusieurs influences. La première, objet de cet article, est celle de la Russie via l’intermédiaire de Rosatom. Mais depuis quelques années, de nouveaux pays avec de l’expertise dans le domaine électrique ont investi l’Asie Centrale. Ainsi, pour le projet de centrale nucléaire au Kazakhstan, la France avait également, via EDF, proposé son propre modèle de réacteurs, l’EPR1200. La Chine et la Corée du Sud furent également présentes. Les Etats-Unis ont également présenté leurs propres modèles.

Nous voyons donc bien que d’un point de vue économique, et en particulier énergétique (la thématique des ressources fossiles pourra faire, en son temps, l’objet d’un autre point de situation), l’Asie Centrale est en train de modifier ses habitudes. Au Kazakhstan, le fait que plusieurs acteurs aient pu présenter leurs modèles à égalité avec le modèle russe est un acte important en soi.

La mise en concurrence, même inégalitaire, de la Russie avec d’autres pays pour la présence sur le marché régional pose une question de poids : qu’adviendra-t-il de l’hégémonie russe ? Dans un contexte économique ou les puissances européennes portent un intérêt nouveau à cette zone géographique, Moscou peut chercher à remodeler ses propres stratégies sur place.

À propos de l'auteur

Thomas Kerebel

Thomas Kerebel

Biographie non renseignée

Auteur vérifié

Articles à lire dans cette rubrique

Diplomatie
Palestine
+ 1
il y a 19 jours
En savoir plus
Afghanistan
Diplomatie
+ 1
il y a un mois
En savoir plus
Diplomatie
Russie
il y a 6 mois
En savoir plus
Diplomatie
Russie
il y a 6 mois
En savoir plus

Recevez nos analyses géopolitiques directement dans votre boîte mail

Pas de spam, désabonnement en un clic