La résolution 2719, le maintien de la paix 2.0 fragilisé par les réalités politiques

La résolution 2719, le maintien de la paix 2.0 fragilisé par les réalités politiques
La mise en vigueur de la résolution 2719 le 27 décembre 2024 devait marquer un tournant historique dans la gestion des opérations de paix sur le continent africain. Portée par la volonté de l’ONU de renforcer le rôle de l’Union africaine (UA) dans la gestion des conflits africains, cette résolution incarne la promesse d’un changement de paradigme. L’objectif affiché étant de confier davantage de responsabilités aux acteurs locaux, tout en repensant l’architecture du maintien de la paix.
À la lumière des premiers mois d’application, notamment avec le lancement de l’AUSSOM, il est désormais possible de dresser un premier bilan critique de cette ambitieuse réforme.
Les bienfaits d’un tournant structurel vers une autonomie africaine
L’un des apports majeurs de la résolution 2719 réside dans la reconnaissance de l’expertise et de la légitimité des acteurs africains sur leur propre continent. Confier à l’UA un rôle central dans les Peace Support Operations (PSO) permet d’appuyer des missions mieux adaptée
Ce changement symbolise aussi une avancée dans la décolonisation du multilatéralisme. L’Afrique, longtemps cantonnée à un rôle d’exécutant dans les opérations de paix, est désormais positionnée comme co-décideur stratégique. Ce recentrage est d’autant plus crucial que le continent a su démontrer une capacité croissante à gérer ses propres crises, comme en témoignent les interventions kenyanes en Somalie ou en République Démocratique du Congo, qui ont montré efficacité et réactivité.
La résolution 2719, en prévoyant une structure conjointe de planification et de supervision entre l’ONU et l’UA, ouvre ainsi la voie à une gouvernance plus équilibrée, rompant avec une logique hiérarchique héritée du passé. Dans une époque où l’ONU est de plus en plus contestée, notamment en Afrique de l’Ouest, cette dynamique pourrait redonner du crédit à l’architecture multilatérale.
Les limites opérationnelles et les inquiétudes persistantes
Malgré ces avancées conceptuelles, les limites pratiques de la résolution sont déjà visibles. La première est financière. Si le texte prévoit que l’ONU finance jusqu’à 75 % du budget des PSO, les 25 % restants doivent être assumés par l’UA ou levés sous forme de contributions extrabudgétaires. Or, de nombreux États membres africains ont déjà signalé leur incapacité à assumer ce fardeau, mettant en lumière une dépendance persistante au financement extérieur.
Ce déséquilibre fragilise le principe même d’autonomisation. L’UA peut difficilement prétendre à une liberté stratégique pleine et entière si son autonomie financière n’est pas assurée. Lors de la réunion du 27 décembre 2024, il a été admis que l’UA et l’ONU devront rechercher des financements complémentaires dans la communauté internationale, un aveu de faiblesse qui vient entacher la mise en œuvre du texte.
Autre point d’achoppement : le processus de prise de décision reste flou. Si l’UA dispose en théorie d’une grande liberté de lancement, la réalité est que le Conseil de sécurité conserve le dernier mot, notamment sur les financements. Cette asymétrie peut engendrer des tensions, voire des blocages si les visions stratégiques divergent. La crainte que l’ONU cherche à garder un contrôle indirect sur des missions financées en majorité par ses membres est bien réelle.
Enfin, le manque de retours d’expérience sur des missions similaires complique toute évaluation objective. À l’exception de la MINUAD (UNAMID), aucune mission passée ne peut servir de modèle pleinement applicable à la logique de la résolution 2719. Il s’agit donc d’un saut dans l’inconnu, dont les conséquences restent difficilement prévisibles.
La mise en œuvre concrète : le cas AUSSOM
La première application de la résolution 2719 s’est matérialisée avec le lancement de l’AUSSOM (Mission d’appui et de stabilisation de l’Union africaine en Somalie), en remplacement de l’ATMIS. Officiellement approuvée par le Conseil de sécurité via la résolution 2767, cette mission a été validée par 14 voix, avec l’abstention notable des États-Unis.
Prévue pour durer quatre ans avec un retrait progressif jusqu’en 2029, l’AUSSOM prévoit le déploiement de 11 911 personnels. Cette opération représente un test grandeur nature pour la résolution 2719, et une vitrine de ce nouveau modèle hybride. Toutefois, les premiers retours soulèvent de nombreuses préoccupations.
Washington a exprimé des doutes quant à la maturité de cette mise en œuvre, estimant que les conditions d’application de la résolution ne sont pas encore réunies. Leur abstention exprime la crainte que l’ONU soit contrainte de financer plus que prévu, possiblement jusqu’à 90 %, faute d’une solution concrète pour combler les 25 % restants. Ce flou budgétaire, déjà identifié dans les textes préparatoires, devient une menace réelle pour la viabilité de l’AUSSOM. À ce stade, l’UA et l’ONU prévoient de mobiliser des financements extrabudgétaires, mais aucune méthode précise n’a été arrêtée. Ce manque de clarté menace l’efficacité même de la mission et pourrait dissuader les donateurs potentiels.
Vers une nouvelle ère ou un énième échec ?
L’enjeu symbolique de la réussite de l’AUSSOM dépasse largement le cadre somalien. Il s’agit d’une mission fondatrice. Si elle fonctionne, elle légitimerait le modèle proposé par la résolution 2719. En cas d’échec, elle pourrait anéantir tout espoir d’autonomisation africaine dans les OMP et discréditer le projet à long terme. À l’heure actuelle, la situation reste incertaine. L’UA est engagée dans une course contre la montre pour démontrer sa capacité à piloter une mission de cette envergure avec des moyens limités. L’ONU, de son côté, observe avec prudence, consciente que son image en Afrique dépendra en grande partie de l’issue de cette collaboration.
La résolution 2719 incarne l’ambition d’un multilatéralisme plus inclusif, plus juste et plus enraciné dans les réalités du terrain. Elle donne un signal fort à l’Afrique, celui de la reconnaissance d’un rôle de leadership dans la gestion de ses propres crises. Mais entre ambition et exécution, un fossé demeure. Le lancement de l’AUSSOM représente un premier jalon. Il sera scruté par les observateurs, les partenaires internationaux, et surtout les populations locales, premières concernées par le succès ou l’échec des missions de paix.
Ceci étant dit, rien ne prévoyait le coup de tonnerre provoqué par les prises de positions radicales de la nouvelle administration étasunienne. En effet, les promesses de financement faites par l’administration Biden ne sont plus d’actualité. L’administration Trump, suivant la même trajectoire que pour l’USAID, refuse de financer l’opération AUSSOM.
La mission de maintien de la paix, ainsi que les ambitions de la résolution 2719, perçue pourtant comme historique et nécessaire, sont plus que jamais en péril. Cette déception ne fait que suivre la continuité d’un manquement régulier, de la part d’une grande partie des Etats membres, envers leurs devoirs de financement au sein de l’ONU.
À propos de l'auteur
Nans AMAIL
Passionné par les relations internationales, la diplomatie multilatérale et la géopolitique, je m’intéresse particulièrement au rôle global des Nations Unies face aux enjeux sécuritaires contemporains. Au sein d’EURASIAPEACE, je travaille sur la thématique : « Les Nations Unies face aux menaces contemporaines et hybrides », en apportant une analyse critique sur l’évolution des formes de conflictualité et la capacité d’adaptation des institutions internationales.