La répercussion des tarifs douaniers américains sur l’économie et la géopolitique des pays de l’Indopacifique

Deux mois après notre première brève sur le sujet concernant l’appréhension des pays de l’Indopacifique face aux risques de d’augmentation des tarifs douaniers par le nouveau gouvernement américain, le verdict est tombé. Le 2 avril 2025, Donald Trump a annoncé une succession de mesures tarifaires envers ces pays. La surprise fut d’autant plus grande que ces tarifs se sont avérés beaucoup plus élevés que ceux imposés à la Chine en février (10%). Ainsi, les nouveaux tarifs douaniers américains frappent durement plusieurs pays d’Asie du Sud-Est : 49 % pour le Cambodge, 46 % pour le Vietnam, 36 % pour la Thaïlande et 17 % pour les Philippines.
Si l’économie mondiale tout entière est mise à mal par les prises de décisions du Président américain, les pays de l’Indopacifique sont particulièrement vulnérables. Beaucoup de ces économies sont en développement ou se sont industrialisées récemment, avec une faible marge budgétaire et une grande sensibilité aux fluctuations des marchés globaux, sans compter leur dépendance aux exportations et investissements étrangers. S’ils avaient profité lors du premier mandat de Donald Trump d’un net avantage économique avec la délocalisation des entreprises installées alors précédemment sur le sol chinois, ils sont désormais dans une situation à risque particulièrement fragilisant. Par exemple, des entreprises multinationales telles que Nintendo
Bien que les nouveaux tarifs douaniers annoncés par les États-Unis ne soient pas encore entrés en vigueur, ils laissent entrevoir une période de négociation possible. Le Vietnam, particulièrement exposé, apparaît comme le pays le plus impacté par ces mesures. Aux côtés de la Thaïlande, autre partenaire stratégique de Washington, Hanoï cherche activement à établir un terrain d’entente avec l’administration américaine. Parmi les options envisagées figure l’augmentation des importations de biens en provenance des États-Unis, notamment d’éthane ou de soja, dans l’objectif de rééquilibrer la balance commerciale. Une autre piste consisterait à restreindre certains flux commerciaux avec la Chine, alors que le Vietnam, comme plusieurs pays de la région, est accusé de servir de plateforme de contournement pour les produits chinois visés par les sanctions américaines.
Malgré ces tensions, le Premier ministre vietnamien Pham Minh Chinh a récemment réaffirmé sa volonté, quant à la trajectoire économique du pays, de maintenant l’objectif ambitieux de 8 % de croissance, même en cas d’application définitive des droits de douane. De leur côté, l’Inde, la Thaïlande et la Corée du Sud ont réagi par des ajustements de leurs politiques commerciales : réduction ciblée de certains droits de douane, subventions à l’export ou incitations fiscales. Toutefois, ces mesures restent, dans plusieurs cas, insuffisantes face à l’ampleur des perturbations induites par le protectionnisme américain.
De même que l’imposition par les États-Unis de tarifs sur les importations en provenance des Philippines menace de compromettre un contrat d’armement important de 5,58 milliards de dollars, portant notamment sur l’acquisition de chasseurs F-16 auprès de Lockheed Martin. L’ambassadeur philippin aux États-Unis, Jose Manuel Romualdez, a récemment exprimé ses inquiétudes quant à la capacité de Manille à maintenir cet accord en raison de l’alourdissement des coûts causé par ces nouvelles taxes. Il y a donc sur l’échiquier mondial, une perte de confiance palpable envers les États-Unis
Paradoxalement, cette situation apparaît comme une aubaine pour la Chine, « Face à une Amérique trumpienne au comportement imprévisible et prédateur, la Chine apparaît par contraste comme la seule grande puissance bienveillante, stable, favorable aux affaires et à la poursuite de la mondialisation » écrit le journaliste Luc de Barochez. Pékin redore son blason et intensifie ses efforts diplomatiques dans la région. Le président Xi Jinping prévoit de visiter le Vietnam, la Malaisie et le Cambodge du 14 au 18 avril 2025, dans le but affiché de renforcer les relations bilatérales et de proposer de nouveaux accords économiques et stratégiques. Néanmoins les pays de l’ASEAN appréhendent une inondation de leur marché par des biens et services chinois. Ils redoutent également que la Chine, dotée de moyens financiers bien plus importants, parvienne à soutenir ses industries, alors que leurs propres États, soumis à de fortes contraintes économiques, auraient bien plus de difficultés.
Ainsi, pour atténuer les risques liés à la politique commerciale américaine, certains pays asiatiques renforcent leurs relations commerciales régionales. Des accords bilatéraux et multilatéraux sont renforcés pour réduire la dépendance vis-à-vis du marché américain. Plusieurs pays de l’ASEAN ont amorcé des ajustements structurels. La diversification des partenaires commerciaux devient un axe prioritaire. Le Vietnam, particulièrement exposé en raison de son excédent commercial élevé avec les États-Unis, développe activement ses liens avec l’Union européenne à travers l’EVFTA (Accord de libre-échange Vietnam-UE), tout en consolidant ses relations avec le Japon, la Corée du Sud et l’Inde. La région mise également sur une meilleure exploitation du RCEP (Partenariat économique régional global), signé en 2020, qui regroupe quinze pays de la zone Asie-Pacifique et constitue aujourd’hui le plus vaste accord commercial au monde. D’autres efforts sont visibles au niveau régional. Le Vietnam et la Thaïlande ont récemment affiché leur volonté d’atteindre un volume d’échange bilatéral de 25 milliards de dollars d’ici 2025, tandis que l’Indonésie et la Malaisie réactivent des partenariats industriels régionaux pour stimuler les investissements mutuels.
En somme, les nouvelles mesures protectionnistes adoptées par les États-Unis bouleversent non seulement les équilibres commerciaux de la région Indopacifique, mais obligent également les gouvernements à redéfinir leurs priorités économiques et diplomatiques. Entre réalignement stratégique, résilience économique et montée des tensions géopolitiques, l’Indopacifique se transforme en une zone d’expérimentation des nouvelles lignes de fracture du commerce mondial. La compétition entre la Chine et les États-Unis y redouble d’intensité, alors que les pays de la région tentent tant bien que mal de maintenir une forme de non-alignement stratégique, tout en naviguant dans un environnement international de plus en plus incertain.
À propos de l'auteur
Sidonie Ayroles
Diplômée en Relations Internationales, Sécurité et Défense, Sidonie a une forte appétence pour l’analyse géopolitique et les enjeux stratégiques. Spécialisée dans l’évaluation des risques sécuritaires, elle s'intéresse aux dynamiques de défense et aux menaces contemporaines, alliant veille stratégique et réflexion prospective sur les équilibres internationaux.