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Dans le silence des alliances, la Russie fait entendre sa voix

Publié le 17/05/2025
5 min de lecture
Par Noah VIDON
Asie de l'est

À l’occasion du “Jour de la Victoire”, le 9 mai, la place Rouge s’est une nouvelle fois muée en théâtre d’une liturgie patriotique, soigneusement orchestrée par le pouvoir russe. Mais, drapée de faste martial, rythmée par les hymnes et le grondement des blindés, la commémoration de la “Grande Guerre patriotique” a pris cette année une résonance géopolitique particulière : 29 dirigeants ont pris le parti de se rendre en Russie, et ont été accueillis par Vladimir Poutine lui-même. Parmi ces chefs d’Etats et de gouvernement se trouvait Xi Jinping, dont la présence a raisonné comme un signal fort sur la scène internationale : celui d’un axe sino-russe au sein des BRICS, non seulement reflet d’un partenariat stratégique, mais aussi témoin d’un front commun face à l’Occident libéral.

Une amitié sino-russe : l’échine du pouvoir, le vernis des sourires

Invité non tant par amitié que par convergence d’intérêts, le président chinois a, par sa venue, conforté un rapprochement assumé. Toutefois, ce déplacement ne saurait masquer les lignes de fracture sous-jacentes et les méfiances réciproques que ni les sourires diplomatiques ni les formules de circonstance ne sauraient dissiper totalement. Dans l’absolu, ce tête-à-tête relève moins d’une fraternité nationale que d’une saisie d’opportunité, où les calculs l’emportent sur les élans, et les compromis sur les convictions. Si, en diplomatie, le langage des symboles rivalise avec celui des armes,

l’image de Lula da Silva, To Lam, Loukachenko ou encore Robert Fico aux côtés de Xi Jinping esquisse les contours d’un Sud global en construction – solidaire dans la volonté de faire émerger un contre-monde

Moscou en spectacle : des chars pour convaincre, des mots pour régner

Sur fond de salves d’artillerie, la parade a déroulé toute la grammaire martiale du pouvoir russe. Environ 9 000 soldats et 75 unités de matériel militaire, incluant véhicules terrestres et aéronefs, ont défilé devant les tribunes. Pour couronner cette démonstration de puissance, Vladimir Poutine a posé les fondements de la création d’un nouveau narratif basé sur “la lutte contre les idées destructives et agressives” – face à elles, les BRICS se positionneraient en défenseurs de la souveraineté et de la multipolarité. La Russie ne parade pas seule, elle défile avec ses fantômes, ses mythes doctrinaux et ses alliés. 

La Russie continue de défier l’Histoire et donne le ton dans l’exil de sa grandeur

Désormais, la relation sino-russe intègre une dimension mémorielle qui prétend aller au-delà de la simple coopération commerciale. Alors que la Russie se retrouve graduellement isolée sur les plans diplomatiques et commerciaux, Vladimir Poutine cherche à transcender cette marginalisation en s’adossant à une idéologie exaltant la gloire nostalgique du passé impérial ainsi qu’en projetant l’illusion d’un avenir multipolaire, alternatif à l’ordre occidental. Néanmoins, si la parade a mis en lumière l’idée fondatrice d’une marche collective, la question de savoir encore combien de temps cette marche conjointe tiendra demeure.

La réponse du monde occidental à la parade russe

Les dirigeants européens ont, en réaction de ce tour de force diplomatique, également durci leurs discours en imposant pour la première fois un ultimatum : l’instauration d’un cessez-le-feu complet de 30 jours, préalable indispensable à l’ouverture de négociations. Les États-Unis ont, de leur côté, qualifié la mise en scène de “tentative désespérée de légitimation”, rappelant que le devoir de mémoire ne saurait en aucun cas justifier les agissements de la Russie en Ukraine. La France, elle, a dénoncé une appropriation partisane de l’histoire, soulignant l’usage stratégique de la mémoire au service d’un discours expansionniste et d’une quête de légitimité internationale. L’Union européenne a insisté sur la fragilité de l’axe Moscou-Pékin, rappelant que leur coopération demeurait avant tout conjoncturelle et opportuniste. Ce constat s’est vu renforcé dans la mesure où la Chine n’a pas directement réagi à la proposition des Européens, se bornant à commenter la contre-proposition russe de reprise des négociations “sans conditions”. Fidèle à sa posture de neutralité stratégique, elle s’est contentée d’affirmer “soutenir tous les efforts de paix”, sans s’engager davantage. L’absence d’inflexion dans le discours chinois témoigne, en creux, d’un soutien politique limité à l’entreprise russe en Ukraine –  un soutien prudent, qui n’a pas fondamentalement évolué malgré la visite officielle du dirigeant chinois à Moscou. En définitive, si la parade a offert à la Russie une tribune pour réaffirmer ses ambitions et galvaniser ses alliances, elle n’a guère modifié les lignes de force géopolitiques. Elle a surtout suscité méfiance, prudence et fermeté du côté occidental, sans provoquer de basculement notable.

À propos de l'auteur

Noah VIDON

Noah VIDON

Diplômé en Relations Internationales et Sciences-politiques, Noah nourrit une passion ardente pour l’analyse géopolitique et la prospective stratégique. Sa fascination pour l’Asie, creuset de cultures et acteur clé de l’échiquier mondial, aiguise son ambition. Fort d’un regard multiculturel, il aspire à servir une action publique innovante, au cœur des politiques étrangères de demain.

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