Corée du Sud : un an après la proclamation de la loi martiale

Corée du Sud : un an après la proclamation de la loi martiale
Le discours de Lee Jae-myung, la reconstruction de l’unité démocratique en Corée du Sud
À l’occasion du premier anniversaire de la proclamation illégale de la loi martiale le 3 décembre 2024, le président sud-coréen Lee Jae-myung a prononcé une allocution depuis le bureau présidentiel. Il y a proposé de faire du 3 décembre la « Journée de la Souveraineté du Peuple » et d’appuyer la candidature des citoyens sud-coréens au prix Nobel de la paix. Bien que l’instauration d’une nouvelle date commémorative soit soumise au vote parlementaire, cette annonce constitue avant tout, pour la nouvelle administration, un moyen de mettre en avant les efforts et la résilience de la population sud-coréenne.
Qualifiant cet épisode de « révolution de la lumière », le président Lee a insisté sur l’exceptionnalité de l’événement, rappelant qu’il s’agissait de « la première fois depuis le début du XXIe siècle qu’un coup d’État se produisait dans une démocratie comme la Corée du Sud ». Le chef d’Etat a ajouté que le pays a su « montrer au monde le haut niveau de conscience civique » de sa population.
En somme, cette prise de parole traduit une volonté de fédérer une nation et de restaurer l’unité du peuple sud-coréen, après une période de forte instabilité politique caractérisée par une érosion de la confiance citoyenne envers ses représentants. Le président a également évoqué la nécessité pour son pays de présenter des excuses à son voisin du Nord, notamment après l’ordre donné par son prédécesseur d’envoyer des drones et des tracts de propagande de l’autre côté de la frontière. Cette référence à la Corée du Nord dans le discours du chef d’État s’inscrit dans un contexte plus large où le gouvernement affiche l’ambition d’apaiser les tensions militaires et de relancer le dialogue intercoréen.
Comprendre les déterminants politiques de la proclamation de la loi martiale
L’annonce du 3 décembre 2024 constitue, à bien des égards, une exception. Historiquement mobilisée contre les régimes autoritaires depuis les années 1980, la société civile sud-coréenne a joué un rôle proactif dans l’évolution démocratique du pays. Une partie de la société sud-coréenne garde ainsi le souvenir d’une longue séquence de régimes autoritaires et de juntes militaires ayant façonné la vie politique du pays, depuis la fin de la colonisation japonaise en 1945 jusqu’à 1987. Cette année marque un tournant majeur en raison de vastes mobilisations populaires ayant ouvert la voie à la transition démocratique. Une autre partie en garde celui du 17 mai 1980, date à laquelle la dernière loi martiale fut étendue à l’ensemble du pays par Chun Doo-hwan (1980-1988). À cette mémoire collective, s’ajoute une génération plus jeune, née après 1980, qui croit fermement au modèle de la démocratie coréenne (K-democracy) et pour laquelle la proclamation de la loi martiale relevait jusqu’alors d’un passé révolu.
La proclamation de la loi martiale par Yoon Suk-yeol n’est pas le fruit d’une décision improvisée, elle s’inscrit au contraire dans un contexte politique et stratégique contraint. Pris dans un jeu d’équilibriste entre les États-Unis, allié sécuritaire, et la Chine, partenaire économique majeur, le président sud-coréen a fait le choix d’un alignement affirmé sur Washington. En parallèle, le chef d’État a adopté une stratégie politique fondée sur une rhétorique anti-communiste pour délégitimer ses opposants en les accusant de complaisance à l’égard de Pyongyang. Cette approche s’est traduite par un recours à la loi de sécurité nationale instaurée par Rhee Syngman en 1948, laquelle permet de poursuivre, voire d’incarcérer, toute personne soupçonnée de proximité avec la Corée du Nord. Toutefois, en 2024, la position du président était déjà fragilisée : discrédité sur le plan interne et confronté à une opposition renforcée à la suite des élections législatives de mars 2024, il faisait face à des menaces de destitution et à de multiples procédures judiciaires à son encontre. En novembre 2024, sa cote de popularité était au plus bas, avec seulement 17 % des Coréens satisfaits de sa présidence.
Dès lors, pour Yoon Suk-yeol, le recours à la loi martiale était, dans un contexte de dysfonctionnement institutionnel, de menace à l’ordre constitutionnel et de sécurité nationale, envisagé comme la seule issue disponible. Ces facteurs expliquent la décision Yoon Suk-yeol de miser sur un autoritarisme et de proclamer la loi martiale. Mais l’annonce du 3 décembre 2024 fut un choc immédiat. « L’imposition illégale de la loi martiale par le président Yoon Suk-yeol est invalide », comme l’a déclaré le soir même Lee Jae-myung. « Venez à l’Assemblée nationale maintenant. Je m’y rends également. » Plusieurs centaines de personnes ont répondu à l’appel et se sont rassemblées devant le Parlement. Ensemble, ils ont facilité l’accès des députés au bâtiment qui ont ensuite unanimement voté en faveur de la levée de la loi martiale et de la préservation de l’ordre démocratique sud-coréen.
Vers une nation unie ? La reconstruction politique post-Yoon
Trois heures seulement après la proclamation, la loi martiale est annulée par l’Assemblée nationale. Même si son application n’a duré qu’un instant, ses effets s’inscrivent dans une période longue de plusieurs mois. La Corée du Sud se retrouve soudain confrontée à un déficit de leadership, bloquant les avancées sur les affaires nationales et internationales. Le 3 avril 2025, la destitution de Yoon Suk-yeol est confirmée et son parti, le Parti du Pouvoir au Peuple (PPP), est amoindri. Les conservateurs se trouvent alors engagés dans un exercice périlleux, hésitant entre une prise de distance avec l’ancienne administration et le maintien de leur fidélité pour préserver l’électorat acquis et l’image du parti. Dans le même temps, une fracture interne naît au sein du PPP. Des voix prônent des excuses publiques, tandis que d’autres dénoncent une « diabolisation » politique. À l’inverse, le parti d’opposition progressiste, représenté par le Parti Démocrate de Corée (PD), est victorieux le 3 juin 2025. Lee Jae-myung, que Yoon avait battu en 2022 (48,56 % des voix contre 47,82 %), sort vainqueur du scrutin et est élu président.
Si la stabilité institutionnelle est désormais rétablie, cet épisode met en exergue deux visions duales : d’une part, les institutions démocratiques sud-coréennes ont révélé leur solidité, mais d’autre part, la crise n’a fait que renforcer le désenchantement de la population et des électeurs à l’égard de la classe politique. De plus, un an après la proclamation de la loi martiale, la société civile sud-coréenne demeure favorable à l’imposition d’une punition stricte aux instigateurs du coup d’État. Le président Lee en est conscient. Dans son discours du 3 décembre, le chef d’État a souligné en ce sens la nécessité de construire une nation dans laquelle nul ne puisse à nouveau rêver d’une remise en cause de l’ordre démocratique et ne puisse menacer la lumière de la souveraineté du peuple. Dans cette perspective, la promotion d’une « union juste » représente un élément essentiel du projet politique et mémoriel du nouveau gouvernement.
Apaisement intérieur et équilibre stratégique : une équation incertaine
La proclamation de la loi martiale le 3 décembre 2024 a marqué un moment de rupture dans l’histoire récente de la Corée du Sud. Si la situation interne fut tumultueuse, le discours de Lee Jae-myung s’inscrit dans une volonté de rétablir un sentiment d’unité nationale. L’enjeu pour le chef d’État réside toutefois dans sa capacité à parvenir à fédérer une société encore clivée et méfiante à l’égard des représentations politiques traditionnelles.
Au regard de la fragmentation de l’environnement politique national, l’adhésion aux idées du Parti démocrate ne fait pas l’unanimité, limitant la capacité du gouvernement à imposer une dynamique commune. Cette contrainte se double d’un autre enjeu crucial, la gestion des défis géopolitiques : face à l’escalade des tensions dans la zone, en particulier concernant la Corée du Nord et l’intensification des rivalités entre la Chine et les États-Unis, Lee Jae-myung ne dispose guère de marge de manœuvre. Sa capacité à conjuguer un apaisement en interne et un équilibre stratégique en externe constitue les éléments centraux de la future stabilité politique du pays.
À propos de l'auteur
Mathis Malhaire
Biographie non renseignée



