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Russie, isolée sur la scène internationale ?

Publié le 03/09/2025
9 min de lecture
Par Eurasia Peace
Dossier thématique

«Il y a quelques jours, j’ai dit que les Russes n’étaient pas fous et qu’ils n’attaqueraient pas l’Ukraine. J’avoue que j’avais tort (…). Le fou doit être isolé. Et il s’agit de ne pas s’en défendre uniquement par des mots, mais par des mesures concrètes».

La déclaration de l’ancien président tchèque Milos Zeman, faite quelques heures seulement après le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, met en lumière deux questions clés qui ont marqué les premiers mois du conflit dans l’espace public occidental : d’une part, la nature irrationnelle de l’offensive russe, et d’autre part, la stratégie d’isolement diplomatique proposée en réponse à cette agression. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette déclaration, c’est le lien sous-jacent entre ces deux affirmations, qui sont intrinsèquement connectées.

Milos Zeman semble suggérer que la « folie » de l’agression russe justifie une réponse par l’isolement. Cette rhétorique repose sur l’idée que le comportement irrationnel, ici au niveau étatique, nécessite une réponse d’isolement pour préserver l’ordre international. Dans la pensée de Hobbes, telle que l’a analysée Dominique Weber1, le « fou » en politique incarne une incapacité à évaluer les conséquences à long terme de ses actions. Selon Hobbes, un individu qui se laisse guider par des impulsions irrationnelles, sans tenir compte des effets futurs, devient un agent de désordre et de sédition, menaçant la stabilité de l’État et la cohésion sociale.

Dominique Weber souligne que la folie, en tant que pathologie du désir, révèle les dangers posés par un individu qui agit selon des passions irrationnelles et méprise les lois naturelles. Dans ce contexte, le « fou » politique est perçu comme un perturbateur potentiel de l’ordre établi, mettant en péril la conservation du Léviathan, c’est-à-dire de l’État souverain.

Dominique Weber souligne que la folie, en tant que pathologie du désir, peut conduire à des comportements irrationnels menaçant la cohésion sociale. Dans ce cadre, l’isolement pourrait être vu comme une manière de protéger la société des effets nuisibles de la sédition et de la désorganisation engendrés par un individu considéré comme fou.

Il est également important de noter que, selon Hobbes, l’isolement peut ne pas être la solution la plus efficace. Plutôt que de recourir à l’isolement, des approches axées sur l’éducation, la docilité et l’intégration des individus au sein d’une institution politique pourraient être plus bénéfiques pour la société. Hobbes insiste sur l’importance de la rationalité et de l’apprentissage institutionnel pour maintenir l’ordre, suggérant ainsi que la réhabilitation et l’éducation pourraient constituer des alternatives viables à l’isolement.

Cette analyse philosophique de la notion de folie nous révèle que le terme utilisé pour qualifier l’invasion russe n’est pas trivial. En étendant le concept de folie d’un individu à un État, et en appliquant la lecture de Hobbes sur la folie comme vecteur de désorganisation et de sédition, on comprend mieux les propos de Milos Zeman sur l’invasion de l’Ukraine. Derrière la logique et la stratégie de l’isolement se cache une perception de la folie qui soulève des inquiétudes quant à la stabilité de l’ordre mondial.

Cette amorce permet d’illustrer la genèse de notre dossier. Ce travail de recherche a débuté deux ans après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ainsi que deux ans après les déclarations de l’ancien président tchèque Milos Zeman. L’objectif est de faire le point sur les stratégies occidentales de sanction envers la Russie, en soulevant plusieurs questions pertinentes.

La première question, la plus évidente, est de savoir si la Russie est réellement une puissance isolée. Un examen des activités diplomatiques russes depuis 2022 montre que cette isolation n’est pas manifeste. En fait, la Russie semble au contraire étendre son influence et ses relations diplomatiques dans divers domaines.

Une autre question concerne l’efficacité des mesures restrictives et des sanctions imposées par les pays occidentaux : ont-elles un impact sur le conflit en Ukraine ? Il est raisonnable de penser que ces sanctions exercent une pression sur la Russie, mais il est difficile de déterminer dans quelle mesure elles ont contribué à un isolement diplomatique effectif.

 L’Occident pouvait-il vraiment espérer une réaction unanime de la communauté internationale pour condamner la Russie et rompre les relations diplomatiques avec elle ? Si tel était l’objectif, pourquoi mettre en place une stratégie d’isolation si elle semblait vouée à l’échec ?

Ce sont ces interrogations qui ont motivé notre recherche. En explorant l’isolement de la Russie sous les angles géopolitique, diplomatique et rhétorique, plusieurs pistes de réflexion ont émergé au début de ce travail.

Ces réflexions ont évolué en une question de recherche qui sert de fil conducteur pour l’ensemble des articles. L’isolement de la Russie sur la scène internationale est un thème central dans le cadre des sanctions imposées en réponse à son agression contre l’Ukraine. Cet isolement découle d’une série de mesures économiques, sociales et militaires principalement décidées par les puissances occidentales, visant à contraindre le Kremlin à changer de comportement.

Les sanctions économiques, telles que l’interdiction d’exporter des biens de haute technologie et l’importation de matières premières, visent à affaiblir l’économie russe2. Ces mesures sont conçues pour infliger plus de dommages à la Russie qu’à l’Europe, démontrant ainsi la détermination des pays occidentaux à exercer une pression significative sur le gouvernement russe. De plus, des restrictions sur les investissements et les prêts dans les secteurs de l’énergie renforcent cette stratégie d’isolement, rendant les opérations économiques avec la Russie de plus en plus risquées pour les entreprises étrangères.

L’isolement de la Russie se traduit également par son exclusion de certains systèmes financiers internationaux, comme le gel des avoirs des oligarques et l’exclusion de banques russes de SWIFT3. Ces actions visent à couper la Russie de l’accès aux marchés financiers mondiaux, limitant ainsi sa capacité à mener des transactions économiques essentielles.

Cependant, cette volonté d’isolement n’est pas partagée par tous. Certains pays, comme le Japon4, adoptent une approche plus prudente, soulignant que l’isolement de la Russie est un processus complexe, influencé par des intérêts économiques et politiques variés. Malgré cela,

l’image de la Russie en tant que paria international est renforcée, et le pays est confronté à une pression croissante pour mettre fin à ses actions militaires en Ukraine.

En conclusion, l’isolement de la Russie est un phénomène multidimensionnel résultant d’une combinaison de sanctions économiques et de mesures diplomatiques, visant à affaiblir le Kremlin tout en mettant en lumière les défis d’une réponse internationale unifiée face à cette crise.

Ce dossier souhaite étudier les stratégies et les ressources mobilisées par le Kremlin pour contourner cette volonté d’isoler la Russie. Ces leviers utilisés par la Russie laissent émerger des opportunités, des limites et des doutes pour la diplomatie et le pouvoir russe. Ce dossier propose un panorama des différentes stratégies du Kremlin pour contourner le plan occidental de l’isoler.

Notre démarche s’est divisée en deux procédés. D’abord la construction d’un plan regroupant les trois grandes thématiques abordées dans la recherche. La première partie de ce dossier analyse les stratégies géopolitiques et diplomatiques de la Russie pour redéployer son influence à l’échelle internationale. A travers une série d’articles et d’entretiens, nous questionnons les stratégies régionales du Kremlin pour entretenir et accroître sa présence politique, économique, diplomatique et militaire. Une deuxième partie du dossier présente les outils d’Hard et de Soft Powers mobilisés par la Russie depuis la guerre en Ukraine. Il s’agit des ressources matérielles et immatérielles à la disposition du pouvoir russe pour exister internationalement malgré les sanctions occidentales. Enfin, une dernière partie du dossier présente les conséquences et les effets de la guerre en Ukraine pour la Russie. Depuis février 2022, la société russe se voit être confrontée à de nouveaux défis et de nouvelles problématiques. Cette partie présentera les bouleversements sociétaux et politiques en Russie depuis la guerre en Ukraine.

Propos introductifs

Les auteurs

I – Le redéploiement de l’influence russe à l’échelle internationale 

Les BRICS : au croisement des ambitions russes et des revendications du Sud Global

Les stratégies diplomatiques et sécuritaires russes en Afrique

L’importance grandissante de l’Asie-Pacifique pour la Russie de Poutine

Le Moyen-Orient comme radeau stratégique de la Russie

Partenaires éloignés : l’essor des relations russo-latino-américaines depuis 2014

Zoom sur : L’Abkhazie et l’Ossétie du Sud-Alanie 

II – Hard et soft powers : un panorama des leviers d’influence 

Le développement du Triangle de Fer entre Moscou, Téhéran et Pékin

La pensée stratégique du soft power ou la confrontation des imaginaires.

Entretien avec Ilya Platov : L’évolution de l’imaginaire et de l’idéologie russe

Les relations entre le Kremlin et les organisations sportives internationales depuis 2014

Entretien avec Isabelle Facon – Le complexe militaro-industriel et la défense russe depuis 2014 

Entretien avec Julien Vercueil – Sanctions et isolement économique de la Russie

Zoom sur : L’Emirat islamique d’Afghanistan

III – Conséquences et effets de la guerre en Ukraine

La réémergence des questions d’armement nucléaire depuis 2022

ONG et monde de la recherche : état des lieux de la société civile en Russie depuis 2022

Entretien avec Jeanne Cavelier – Liberté de la presse et guerre informationnelle dans le contexte de la guerre en Ukraine

Entretien avec Carole Grimaud : Désinformation et guerre d’information dans le contexte du conflit russo-ukrainien

Entretien avec David Teurtrie : Résilience économique russe et discours sur l’isolement dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne

Le pari Kadyrov : Tchétchénie et Kremlin depuis le conflit ukrainien

Zoom sur : La Russie et le Myanmar 

Conclusion 

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