Au Tadjikistan, l’inquiétude face à la discrimination ethnique en Afghanistan

Au Tadjikistan, l'inquiétude face à la discrimination ethnique en Afghanistan
Depuis 2021, la question de la protection des Tadjiks d’Afghanistan est devenue une source majeure de préoccupation pour le Tadjikistan. Un rapport récent du Conseil de sécurité des Nations Unies indique que le gouvernement de l’Émirat islamique d’Afghanistan a réduit ses forces de sécurité de 20 %. Une part importante de ces suppressions concerne le nord du pays, notamment la région du Badakhchan, mais aussi les provinces de Kapisa, Parwan et Takhar, toutes à forte majorité tadjike ou ouzbèke. Officiellement, ces réductions sont présentées comme des mesures de rationalisation budgétaire. Cependant, le choix des régions touchées laisse apparaître une discrimination implicite envers les minorités non-pachtounes.
La recomposition sécuritaire afghane comme facteur de discrimination ethnique
Depuis Kandahar, la capitale politique du nouvel Émirat islamique d’Afghanistan, le chef suprême des Talibans Hibatullah Akhundzada a ordonné une restructuration des forces armées : plus de 4000 commandants et officiers auraient été relevés de leurs fonctions, dont plus de 1000 dans la seule province de Badakhchan, située dans le nord-est de l’Afghanistan et peuplée majoritairement de Tadjiks.
Ce changement confirme les craintes du gouvernement tadjikistanais : depuis le retour des Talibans au pouvoir, le président du Tadjikistan Emomali Rahmon a régulièrement alerté quant à la discrimination à l’encontre des Tadjiks en Afghanistan. En effet, le caractère quasi exclusivement pachtoune des élites politico-militaires talibanes a renforcé les marginalisations dont sont victimes d’autres groupes ethniques, comme les Tadjiks, Hazaras, Ouzbeks, Aïmaqs ou Turkmènes.
Dans les provinces du nord-est, des membres des communautés Tadjik, Hazara ou Ouzbèk seraient régulièrement expulsés de leurs habitats, et remplacés par des Pachtounes ou des nomades Kuchi (également Pachtounes). Selon l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile, les autorités talibanes locales auraient facilité ces expulsions.
Par ailleurs, les forces talibanes mènent fréquemment des opérations militaires contre le Front national de résistance (FNR), implanté en partie dans le nord du pays, dans des régions à très forte majorité tadjike, ce qui contribue à alimenter les tensions ethniques et sécuritaires.
Un contexte de tensions permanentes entre le Tadjikistan et l’Afghanistan
Depuis le retour des Talibans au pouvoir en 2021, le Tadjikistan a été le pays d’Asie centrale le moins enclin à coopérer avec le nouveau régime d’Afghanistan. Le gouvernement tadjikistanais a même été le seul de la région à exprimer publiquement sa désapprobation quant au retour des Talibans.
De plus, le gouvernement tadjikistanais exprime régulièrement son inquiétude quant à la présence d’une vingtaine de groupes terroristes actifs en Afghanistan, parmi lesquels le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MOI) depuis 1999, et l’État Islamique au Khorassan (EI-K), l’une des factions les plus actives de Daech. En effet, Douchanbé n’adhère pas à la rhétorique de Kaboul, selon laquelle le régime taliban serait le meilleur rempart contre les velléités expansionnistes des groupes terroristes de la région.
Par ailleurs, le rapport annuel de 2023 du Conseil de sécurité des Nations unies a démontré l’existence de plusieurs camps d’entraînement actifs d’Al-Qaïda dans trois provinces afghanes (Nangarhar, Kounar et Nouristan). Ce document souligne les liens étroits et flous entretenus par l’Émirat islamique d’Afghanistan et les différents groupes djihadistes de la région. Dans ce contexte, la coopération diplomatique entre les deux pays reste fragile. Une rencontre axée sur les questions de sécurité a eu lieu le 15 novembre 2025, mais les récents événements montrent à quel point la situation demeure instable : une attaque à la frontière tadjiko-afghane a visé des employés d’entreprises chinoises, illustrant les risques persistants malgré les efforts diplomatiques.
Ainsi, le gouvernement tadjikistanais s’inquiète quant au maintien des Talibans au pouvoir, à la fois à cause du caractère discriminatoire de l’organisation de l’Émirat islamique d’Afghanistan, mais également en raison du risque sécuritaire majeur que pose l’arrivée au pouvoir des Talibans.
À propos de l'auteur
Nathan Bataille
Étudiant en master de Relations internationales, spécialisé dans les dynamiques contemporaines de l'Asie centrale



