Le film 12 de Nikita Mikhalkov : une oeuvre d’actualité ?

Grozny, 12 septembre 2024
Au théâtre Khanpashi Nuradilov, au cœur de la capitale tchétchène, le célèbre réalisateur russe Nikita Mikhalkov est accueilli par une pluie d’applaudissements. Malgré les années qui passent, son visage, orné d’une moustache grisonnante, demeure inchangé. Le temps d’une représentation, Mikhalkov endosse à nouveau le rôle du juré qu’il interprétait dans son film 12, dont la pièce actuelle constitue une adaptation. Tout semble ordinaire : un artiste russe de renommée internationale, proche du pouvoir fédéral, traverse le Caucase pour présenter une version théâtrale de son film à succès.
Cependant, une phrase résonne, prononcée avant sa prestation tchétchène. Une phrase qui aurait pu passer inaperçue, mais qui mérite une attention particulière :
« Toutes ces questions (du film 12) demeurent et doivent être débattues… Ces problèmes sont éternels, ils persistent. Ils ne font que s’imprégner des intonations et de l’époque dans laquelle ils se déroulent… Le problème est toujours d’actualité. »
t-align: justify;">Il n’en faut pas davantage pour susciter la curiosité, en particulier chez ceux qui s’intéressent à la région du Caucase du Nord. Il est évident que l’histoire d’un procès truqué visant un jeune Tchétchène, imprégnée de racisme systémique russe, trouve encore un écho dans la Russie actuelle. Toutefois, affirmer cela alors que Ramzan Kadyrov, président de la République tchétchène et fidèle allié de Vladimir Poutine, est au pouvoir, frôle l’acte de rébellion. Quel est donc ce film, perçu comme une critique de la Russie à l’égard des Tchétchènes ?
12 de Nikita Mikhalkov est une réécriture de 12 Hommes en colère (1957), réalisé par Sidney Lumet. Comme dans l’original, l’intrigue se concentre sur un jury de douze hommes appelés à statuer sur la culpabilité ou l’innocence d’un jeune homme accusé de meurtre. Cependant, 12 se distingue par son contexte russe et ses thèmes contemporains. L’accusé est un jeune Tchétchène, ancrant l’intrigue dans les tensions post-soviétiques, tandis que le film de Lumet évitait tout cadre géopolitique spécifique. Mikhalkov enrichit le récit en intégrant des scènes extérieures et les histoires personnelles des jurés, conférant au film une dimension à la fois philosophique et mélodramatique. Si les deux films abordent la justice et les préjugés, 12 intègre des réflexions sur la Russie moderne, la corruption et l’héritage soviétique.
12 se révèle être une œuvre cinématographique riche en analyses politiques, abordant des thèmes d’une pertinence aiguë dans le contexte russe contemporain. À travers l’histoire d’un jury devant décider du sort d’un jeune Tchétchène accusé de meurtre, le film interroge des questions fondamentales telles que le conflit ethnique, la justice, la corruption, et l’identité nationale.
L’une des dimensions les plus marquantes de 12 est son exploration du conflit ethnique et du nationalisme. En plaçant un Tchétchène au centre de son intrigue, Mikhalkov met en lumière les préjugés profondément ancrés dans la société russe. Le personnage de l’accusé incarne les tensions historiques et contemporaines existant entre les différentes nationalités au sein de la Fédération de Russie. Les jurés, issus de milieux divers, révèlent comment les stéréotypes et les idées préconçues influencent leur jugement, soulignant ainsi les défis d’une société multiculturelle encore marquée par ses luttes passées.
Le film soulève également des questions cruciales concernant le système judiciaire russe. À travers le processus de délibération du jury, Mikhalkov expose les failles d’un système qui, bien que fondé sur des principes de justice, est souvent entravé par les émotions et les préjugés des individus. Les jurés, confrontés à la responsabilité de décider du sort d’un homme, doivent jongler entre leurs convictions personnelles et le principe d’innocence. Cette tension met en évidence la fragilité de la justice dans un cadre où le doute et l’incertitude peuvent facilement l’emporter sur la rationalité.
En parallèle, 12 aborde la question de la corruption au sein des institutions russes. À travers les dialogues des jurés, le film révèle une désillusion généralisée envers un système perçu comme servant davantage des intérêts personnels que l’édification d’une société juste. Cette critique de la corruption institutionnelle souligne l’écart entre les idéaux de justice et la réalité vécue par les citoyens, renforçant un sentiment de méfiance envers les autorités.
L’identité nationale et la mémoire collective constituent d’autres axes de réflexion essentiels. Mikhalkov interroge comment l’histoire et les événements contemporains façonnent la perception de la nationalité russe. Les récits personnels des jurés, entrecroisés avec leurs opinions sur l’accusé, illustrent les luttes individuelles pour trouver un sens et une unité dans une Russie en constante mutation, tiraillée entre son passé glorieux et ses défis actuels.
Enfin, 12 met en lumière la dynamique de groupe et le processus de persuasion au sein d’une prise de décision collective. Les interactions entre jurés révèlent comment les opinions peuvent évoluer, influencées par des arguments ou des témoignages. Cette dimension humaine du film souligne l’importance de la responsabilité individuelle et la capacité de chaque membre du jury à faire face à ses propres préjugés.
Ainsi, 12 de Nikita Mikhalkov offre une réflexion profonde sur la société russe contemporaine, interrogeant non seulement le fonctionnement de la justice, mais aussi les défis liés à l’identité, à la corruption, et aux tensions ethniques. À travers ce récit poignant, Mikhalkov parvient à engager le spectateur dans une introspection sur la moralité, la responsabilité individuelle, et la quête d’une justice véritable.
À propos de l'auteur
Johann Lemaire
Biographie non renseignée