Afghanistan
Criminalité

Afghanistan et héroïne: du règne à la misère

Publié le 16/08/2024
5 min de lecture
Par Elisabeth Nagy Nagy
Société, Art et Culture

L’héroïne est l’opioïde le plus consommé en Europe avec 9,5 tonnes saisies en 2021. Cet opiacé puissant synthétisé à partir de la morphine extraite du pavot a vu sa production s’accroitre au fil des années, ravageant des populations entières, comme ce fut le cas en Afghanistan. En 2022, l’Afghanistan produisait 80 à 90% de l’héroïne vendue dans le monde, une production qui a chuté de 95% en avril 2022 avec le retour au pouvoir des talibans et le bannissement de la culture de pavot dans tout le pays.

Une rapide histoire de l’héroïne

Le premier rapport faisant état de l’utilisation de l’héroïne comme médicament remonte à 1874. Considéré par certains médecins comme un substitut « miracle » à la morphine, qui elle, au contraire, engendrée trop de dépendances chez les patients, ses effets d’apaisement sur les malades ont poussé le groupe pharmacologique Bayer a commercialisé la drogue comme médicament dès 1898.

Selon des documents provenant des archives de Bayer à Leverkusen datant 1899, Bayer vendait de l’héroïne dans plus de 20 pays.

Dès 1900, de nombreux articles ont rapidement vu le jour parlant de l’effet addictif du produit et de la demande toujours croissante des patients réclamant leur dose.

Dès 1910, l’héroïne a commencé à circuler dans les milieux criminels, plus facile à obtenir que l’opium et moins couteuse que la cocaïne.

En 1924, les États-Unis interdisent le produit sur son sol et il faudra attendre le XXème siècle pour que sa production, sa vente et sa possession soit interdite presque partout dans le monde.

Conséquences de l’interdiction de la culture du pavot en Afghanistan

Le 15 août 2021, les talibans reprennent le pouvoir de force en Afghanistan. Une campagne militaire éclair et sans heurts. En seulement 10 jours, l’ex-président Ashrat Ghali a capitulé et démissionné de ses fonction

s.

Le 3 avril 2022, le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, interdit officiellement la culture du pavot dans le pays, et exige que toutes les plantations découvertes soient détruites et leurs cultivateurs punis.

Cette même interdiction avait été décrétée en 2000, avant le renversement du régime par la coalition internationale et le déploiement de ses forces dans le pays en réaction aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

Une manne financière colossale

Pendant les vingt années de présence des forces étrangères sur le sol Afghan, les talibans ont lourdement taxé les producteurs de pavot dont les terrains étaient sous leur contrôle. Cet argent a permis aux talibans de financer leur guérilla et notamment les armes utilisées pour combattre les forces armées étrangères présentes dans le pays.

En 2023 et à la suite du ban, l’ONUDC a publié un rapport faisant état d’une baisse de 95% de la culture du pavot en Afghanistan, passant de 233 000 hectares de terre cultivables fin 2022, à 10 800 en 2023. Les revenus des cultivateurs, estimés à 1,36 milliard de dollars en 2022, se sont effondrés de 92%, passant à 110 millions de dollars en 2023.

A l’arrêt forcé de la production a suivi la perte de leur travail pour des millions d’afghans, tombant ainsi dans une pauvreté extrême.

En 2023, le média BBC Afrique rapportait les chiffres du Bureau des forces internationales de sécurité et de stupéfiants sur le nombre de toxicomanes en Afghanistan. Selon leurs estimations, en 2023, le pays comptait près de 4 millions de toxicomanes pour une population totale d’environ 40 millions d’habitants, 10% de la population.

Des centres de désintoxication à ciel ouvert

Pour endiguer le problème, les talibans ont réhabilité la base militaire de l’hôpital Ibn Sina en centre pour les toxicomanes.

Les patrouilles armées embarquent des personnes signalées par leur famille, par d’autres habitants ou à même la rue identifiées comme étant consommateurs et addicts, à bord d’ambulances ou de camions pour animaux, et les emmènent dans un de ces centres afin de leur faire suivre une « cure » de désintoxication.

Ces hommes et ces femmes, parfois très jeunes, s’entassent dans de grandes pièces sans chauffage, avec peu de soins, peu de nourriture, et ce pendant une quarantaine de jours. L’objectif des talibans et de les faire « décrocher » via un sevrage sans aide médicamenteuse. Aucun accompagnement n’est apporté à ces personnes, et le plus faibles décèdent par manque, par faim, par soif ou de maladie. Au bout de 40 jours, les familles peuvent venir chercher leur proche. Pour les autres, ils n’ont pas d’autres choix que de rester car les talibans ne les laissent plus sortir.

Quelles conséquences à long terme ?

L’arrêt de la production de la culture du pavot en Afghanistan fait craindre une résurgence d’autres drogues de synthèses telles que le fentanyl, ou encore les nitazènes qui aurait provoqué plus d’une centaine de décès au Royaume-Uni depuis l’été 2023.

En effet, pour pallier l’interdiction de la culture de la fleur de pavot, la production de l’éphédra, un petit arbuste des montagnes afghanes, à partir desquels est fabriquée la métamphétamines, prolifère dans le pays. Du pavot à la métamphétamine, la population afghane tente de s’en sortir par tous les moyens dans un pays ou les restrictions sont nombreuses, les abus fortement réprimés et les droits bafoués.

Le régime des talibans a récemment demander de l’aide à la coopération internationale afin de relever le pays et aider sa population. Cependant, les aides déjà parvenues ne semblent pas avoir permis d’améliorations croissantes dans un pays ou la corruption fait rage.

À propos de l'auteur

Elisabeth Nagy Nagy

Elisabeth Nagy Nagy

Biographie non renseignée

Auteur vérifié

Articles à lire dans cette rubrique

Russie
Soft power
il y a 9 mois
En savoir plus
Culture
Russie
il y a un an
En savoir plus
Culture
Histoire
+ 1
il y a 2 ans
En savoir plus

Newsletter

Recevez nos analyses géopolitiques directement dans votre boîte mail

Pas de spam, désabonnement en un clic