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La Géopolitique du Pacte Vert Européen

Géopolitique Pacte Vert Européen

Par Emma Chlebowski et Enzo Padovan.

Le 1er janvier 2022 s’est ouvert le trio de présidence du Conseil de l’Union européenne réunissant la France, la République Tchèque et la Suède. Composé de quatre piliers principaux, le programme de trio est axé notamment sur la protection des citoyens et de leurs libertés, sur la construction d’un modèle européen pour l’avenir et la protection des intérêts et valeurs européennes dans le monde. La quatrième thématique est celle de la construction d’une Europe climatiquement neutre, écologique, juste et sociale, en lien donc avec le Green Deal dont il sera question dans cet article.

Objectifs fixés par le Green Deal européen présenté par Ursula von der Leyen le 11 décembre 2019.

Prenant la présidence du Conseil de l’UE pendant six mois chacun, les trois pays ont fait de l’environnement l’une de leurs priorités, avec pour ambition de maintenir les objectifs prévus pour 2030 et 2050. En effet, si la crise du Covid-19 a bouleversé l’agenda politique européen, elle a également contribué à l’accélération de la transition écologique à travers une stratégie de relance économique et des plans nationaux de relance et de résilience.

L’application du Green Deal a donc été ralentie à cause du Covid-19, et elle est aujourd’hui confrontée à de nouveaux défis avec l’inflation galopante que connaît le continent européen et l’invasion russe en Ukraine du 24 février 2022 qui a revivifié la solidarité européenne. Par conséquent, le trio de présidence porte l’enjeu environnemental avec ferveur, bien que la réception de ce Green Deal ne soit pas uniforme dans les trois pays. En effet, son application représente aussi bien un défi économique et financier qu’un défi institutionnel et politique. S’il est clair qu’elle nécessite une coopération plus étroite au sein-même de l’Union européenne, la question des relations extérieures de l’Union européenne reste également primordiale. Comment envisager de devenir le premier continent climatiquement neutre en étant dépendant d’exploitations fossiles dans des États hors de l’Union européenne ? Il ne s’agira ici donc pas de décrire ce qu’est le Green Deal, mais plutôt d’étudier les différents enjeux propres à son application, de la politique intérieure de l’Union européenne à sa politique extérieure, en passant par des exemples concrets et par les forces et faiblesses de celle-ci.

 

Un défi économique et financier 

En France, des ambitions nationales qui s’inscrivent dans le cadre des ambitions européennes

Depuis la présentation du Green Deal, la France se positionne comme l’un des promoteurs du projet européen, avec de fortes ambitions qui se traduisent d’ores et déjà à l’échelle nationale. Emmanuel Macron, dès la présentation du grand plan d’investissement d’avenir «France 2030» le 12 octobre 2021, a souhaité se positionner en leader de la transition écologique en affirmant : «la France de demain commence aujourd’hui». Sur les 54 milliards d’euros déployés sur 5 ans pour le programme, 8 milliards sont dédiés au secteur de l’énergie. Dans cette même dynamique s’inscrit la mise en place de la Convention citoyenne pour le climat qui a abouti à un rapport en 2020. 150 personnes tirées au sort, représentant la «France en miniature», ont cherché à tendre vers un verdissement de la Constitution en proposant 149 mesures, dont seulement 28 ont été conservées avec parfois des modifications.

La France est, en matière environnementale et en bien d’autres domaines, l’un des alliés principaux de l’Union européenne. La Commission européenne a adopté un accord de partenariat avec la France à hauteur de 18.4 milliards d’euros pour la période 2021-2027 dans le cadre de la politique de cohésion. Ainsi, 2.8 milliards d’euros sont consacrés à la mise en œuvre de ce Green Deal dans le pays. Avec ce partenariat, les investissements locaux devraient eux aussi être renforcés, puisque dix territoires français dans six régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est, Hauts-de-France, Normandie, Pays-de-la-Loire, Provence-Alpes-Côte-d’Azur) sont concernés par le milliard d’euros dédié au Fonds pour une transition juste.

Au niveau européen, il convient également de rappeler que c’est sous la présidence française du Conseil de l’UE que le paquet Fit for 55 ou «Ajustement à l’objectif 55» a été adopté. Permettant de placer l’Union européenne «à l’avant-garde du combat climatique» selon Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la Transition énergétique, il contient 13 directives et règlements dont trois mesures phares : la fin de la vente de véhicules à moteur thermique à partir de 2035 – mesure adoptée officiellement par le Parlement européen le 14 février 2023 –, la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne,  et le renforcement du marché européen du carbone. L’objectif de ce paquet est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990 pour atteindre la volonté première du Green Deal : avoir un continent climatiquement neutre en 2050.

Infographie représentant les mesures adoptées dans le paquet Fit for 55.

L’Union européenne soutient également les initiatives de la France en termes d’investissements pour la transition écologique. La Commission a donné son accord le 13 février 2023 pour que la France mette en place une mesure incitative de 2.08 milliards d’euros afin de soutenir la production d’énergie éolienne en mer. Cette mesure devrait permettre à la France de produire 33% de ses besoins énergétiques grâce à des sources renouvelables d’ici 2030 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 430.000 tonnes de CO2 par an à terme. Si la Commission européenne a donné son feu vert pour la mise en place de cette mesure, c’est parce qu’elle respecte les lignes directrices de la Commission concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour 2022 (les «CEEAG») qui permettent d’autoriser les États membres à fournir le soutien nécessaire pour tendre vers les objectifs et cibles du Green Deal et des réglementations européennes environnementales et énergétiques.

Enfin, pour transcrire la législation européenne à l’échelle nationale, le gouvernement français a adopté la Loi énergie-climat en 2019 – qui inscrit notamment l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 – renforcée par la Loi Climat et Résilience de 2021 portant des mesures phares comme l’amélioration de la qualité de l’air dans les grandes villes ou la lutte contre la bétonisation des sols. L’Union européenne, dans le cadre de l’application du Green Deal, sait donc pouvoir compter la France, État membre pilier de la construction européenne et de sa politique encore aujourd’hui.

En Tchéquie, une bonne volonté mais des craintes notables

 La République Tchèque, qui succède à la France dans la présidence du Conseil de l’Union européenne, a également cherché à faire de l’environnement l’une de ses priorités. Si le gouvernement tchèque a adopté en mai 2021 un plan national de rétablissement et de résilience (PNRR), le processus d’adoption de ce plan a été vivement critiqué par la société civile qui relevait le manque de possibilités de participation effective, comme cela a été le cas en France au sujet de la Convention citoyenne. Au total, ce sont 7.9 milliards d’euros qui sont investis dans la transition écologique, soit 3.7% du PIB du pays. Toutefois, le Green Deal et les objectifs climatiques de l’UE n’y sont que brièvement évoqués, et le plan national tchèque pour l’énergie et le climat (PNEC) n’est lui-même pas aligné sur les objectifs fixés pour 2030.

La thématique environnementale a été au cœur des débats en 2019 lorsque le gouvernement a mis en place une commission chargée de travailler sur un calendrier et des modalités de sortie du charbon tchèque – la «Commission Charbon» – étant donné la place qu’il prend dans les industries et la production d’électricité dans le pays. Si la date de 2038 a été annoncée, elle n’a pas été retenue en raison d’une volonté de sortir du charbon bien avant cette date. Les aspects sociaux liés à l’emploi dans les anciennes régions charbonnières et la question des sécheresses de longue durée ont également contribué à l’accélération des discussions au sujet de l’environnement.

Infographie représentant les différentes sources de production d’électricité en 2020 dans le pays.

Aujourd’hui, les citoyens tchèques ne s’opposent pas à l’application du Green Deal, mais ont des craintes fondées concernant ses potentiels effets sur l’économie nationale. Le 15 septembre 2022, à l’initiative de la Chambre agraire de la République Tchèque et de l’Union agricole de la République Tchèque, a été organisée une manifestation visant à critiquer la redistribution des subventions au profit des fermes familiales qui est l’une des mesures majeures du plan stratégique tchèque de la PAC. Ces mêmes agriculteurs craignent que cette nouvelle politique de distribution des aides agricoles et l’application des objectifs du Green Deal fasse de l’alimentation européenne «un luxe coûteux qui ne sera certainement pas à la portée de tous». Les manifestants ont su trouver le soutien d’organisations agricoles d’une grande partie des PECO.

Au-delà de la question agricole, la population tchèque est consciente de l’urgence climatique mais environ la moitié d’entre elle pense que le Green Deal nuira au pays, selon une enquête de l’agence STEM présentée le 20 septembre 2022. Ce scepticisme reste à nuancer : seulement 12% des personnes interrogées ont connaissance des objectifs de ce Pacte vert pour l’Europe. La ministre de l’Environnement Anna Hubáčková a reconnu que les ménages à faibles revenus ont peu de moyens pour revoir leur système de chauffage ou d’électricité mais elle souhaite que cela change en attribuant des aides financières pour se rapprocher des énergies renouvelables et des mesures d’économie d’énergie.

Pour pallier ce problème, tout comme pour la France, la Commission européenne a donné son feu vert à la République Tchèque le 16 décembre 2022 pour un régime d’aides tchèques de 1.2 milliard d’euros pour promouvoir le chauffage urbain vert pour tendre vers les objectifs du PNEC susmentionné et du Green Deal. Les différents projets bénéficiant de ce soutien permettront une baisse d’au moins 15% des émissions de CO2 et de 10% de la consommation d’énergie primaire non renouvelable par rapport aux niveaux d’avant le soutien. A nouveau, cette mesure respecte les lignes directrices de la Commission concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour 2022. 

La Suède, pionnière en matière environnementale 

La Suède est connue et reconnue pour son investissement en matière environnementale. Sur le plan historique, il s’agit du premier État au monde à avoir adopté une loi garantissant la protection de l’environnement en 1967. C’est dans ce même pays que s’est tenue en 1972 la première conférence des Nations Unies sur l’environnement mondial.

En poursuivant les politiques menées par la France puis par la République Tchèque, la Suède cherche à revoir les ambitions environnementales de son pays à la hausse et à maintenir celles du Green Deal au niveau européen. Le gouvernement suédois cherche d’ores et déjà à tendre, grâce à son grand parc automobile électrique, vers un secteur du transport exempt de combustibles fossiles d’ici 2030 pour que le pays en soit totalement exempt en 2045 tous secteurs confondus, remplissant alors le critère de neutralité avant 2050. Par ailleurs, la Suède maîtrise les meilleures techniques de tri sélectif et de recyclage. Elle produit également une électricité presque exempte de combustibles fossiles en mêlant nucléaire et énergies renouvelables, notamment l’hydroélectricité.

Infographie représentant la proportion d’énergies renouvelables utilisées dans la production d’électricité suédoise.

Si le modèle suédois semble dominer le peloton de tête européen, le pays doit toutefois faire face à une consommation individuelle très importante. La consommation de gaz à effet de serre représente environ neuf tonnes par personne chaque année. Selon l’agence publique nationale de protection de l’environnement, c’est neuf fois plus que le niveau qu’il faudrait conserver pour ne pas risquer de dépasser une hausse des températures de 2 degrés d’ici 2050. A titre d’illustration, la consommation des ménages représente deux-tiers des émissions liées à la consommation. L’ONG Global Footprint Network rappelle que si chaque individu, à l’échelle mondiale, avait consommé comme un Suédois, le «jour du dépassement» aurait eu lieu le 3 avril 2020 et non pas le 29 juillet comme cela a été le cas cette même année.

La Suède, dans le cadre de la présidence du Conseil de l’Union européenne, se doit d’adopter une position ferme pour maintenir les objectifs du Green Deal. En effet, la guerre en Ukraine a montré le talon d’Achille de l’Union européenne qu’est sa dépendance au pétrole et au gaz russe. Ainsi, toute décision prise à court terme pour assurer la sécurité énergétique de l’Union européenne doit aller dans le même sens que la réponse à long terme au changement climatique. Mais sa légitimité semble, dans une certaine mesure, être remise en question. Sa gestion forestière suscite de nombreuses préoccupations étant donné qu’elle s’éloigne de la Nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts à l’horizon 2030. A travers ce programme phare du Green Deal, la Commission européenne invite les pays à éviter la coupe à blanc – la principale méthode de coupe en Suède – qui consiste à abattre tous les arbres d’une même zone, y compris les plus âgés, entrainant une détérioration du sol et de la biodiversité dans la zone. En conséquence, plus de 2.000 espèces forestières sont aujourd’hui menacées, dont 400 par la coupe à blanc. Les dirigeants de l’industrie forestière suédoise, accusés de faire du «marketing trompeur», cherchent à montrer qu’ils ne nuisent pas à l’action climatique, et cette pression est renforcée par l’opinion du gouvernement qui affirme que la Commission européenne n’a pas l’expertise nécessaire pour commenter sa gestion forestière.

Le dernier élément majeur à prendre en considération dans le rapport qu’entretient à la Suède au Green Deal est caractérisé par le basculement d’orientation politique à la suite des élections législatives de septembre 2022 où le parti des Démocrates de Suède a remporté 20.6% des voix. En effet, avec ce gouvernement, c’est la première fois en 35 ans qu’il n’y a pas de ministère de l’environnement indépendant. Pour les Verts, cela en dit long sur la considération du nouveau gouvernement à l’égard de l’urgence climatique. 

Un défi institutionnel et politique

Un nécessaire renforcement de la cohésion politique

Renforcer la cohésion politique et mettre en place des outils de solidarité sont les clés de réussite de l’application du Green Deal. Sans étroite coopération entre Bruxelles et les États membres, il faut s’attendre à une progressive désintégration de l’Union européenne liée aux différences de capacités des gouvernements à assurer un soutien à leur économie et leur population et à l’aggravation des disparités socioéconomiques. En mettant en œuvre le Green Deal, la Commission européenne a pour objectif de trouver un nouvel équilibre entre les dimensions sociale, économique et environnementale de l’intégration, de sorte qu’émerge une gouvernance holistique des politiques de l’Union. La cohésion politique, en ce sens, dépasse le partage des compétences défini dans les traités. Comme l’indique le point 2.1 du texte, le Green Deal «fera systématiquement appel à tous les leviers d’action : réglementation et normalisation, investissement et innovation, réformes nationales, dialogue avec les partenaires sociaux et coopération internationale».

L’application du Green Deal est, effectivement, pour la Commission européenne, un moyen de renforcer la cohésion et la cohérence des politiques publiques européennes. Si l’article 7 du TFUE rappelle que «L’Union veille à la cohérence entre ses différentes politiques et actions, en tenant compte de l’ensemble de ses objectifs et en se conformant au principe d’attribution des compétences», le Green Deal va plus loin dans cette cohérence en proposant une hiérarchisation des objectifs pour plus de cohésion. En effet, l’ensemble des politiques de l’Union européenne doit contribuer à atteindre la neutralité climatique en 2050. En ce sens, on voit apparaître dans la communication du Green Deal la notion de «serment vert» (point 2.2.5) ainsi que la fondamentalité de la protection de l’environnement comme la Cour de Justice de l’Union européenne l’a rappelé dans son arrêt du 27 février 2020 Commission c. Grèce, aff. C – 298/19, ECLI : EU : C : 2020 : 133, concernant le non-respect de la directive « nitrates » de 1991.

Infographie montrant les mesures qu’implique le « serment vert ».

Le renforcement de la cohésion politique passe également par une «remobilisation de la nation européenne». Le Green Deal étant perçu comme un moyen de croissance économique et d’amélioration des conditions de vie des Européens, il entend de facto créer une union des Européens et une mobilisation générale de tous les acteurs de la société. Ces valeurs sont essentielles pour une bonne application du Green Deal étant donné les bouleversements que son adoption a provoqués. En effet, dès le Conseil européen de décembre 2019, la Pologne ne s’est pas alignée aux conclusions sur la neutralité carbone, défendant la nécessité d’avoir plus de temps et d’argent. Par ailleurs, une coordination plus forte entre les États membres et entre l’État et les collectivités locales est nécessaire. Il reste à noter que les États membres ont pris conscience de la nécessité d’agir à l’échelle communautaire.

Enfin, le nécessaire renforcement de la cohésion politique de l’Union européenne amène à tendre vers une gouvernance plus inclusive de celle-ci. Dans l’application du Green Deal, il est question de «ne laisser personne sur le bord du chemin» de la transition, d’où la multiplication d’outils de solidarité comme le fonds de transition juste. La transition écologique ne peut se faire si la politique sociale de l’Union européenne est négligée. «Ne laisser personne sur le bord du chemin», c’est certes accompagner l’ensemble des États membres, mais il s’agit aussi d’intégrer la société civile dans la mise en œuvre du Green Deal en incluant davantage d’acteurs pour faire de ce projet un projet «politiquement crédible». C’est ainsi que le Green Deal s’est construit aussi dans une dynamique bottom-up, comme le montre la Loi européenne sur le climat qui a réuni les opinions de la société civile, des ONG, des entreprises ou encore des associations représentant les secteurs industriels à travers des consultations publiques de la Commission. 

Un nécessaire changement de paradigme politique

L’application du Green Deal induit également un changement de paradigme politique. Si la crise du Covid-19 a mis un terme au paradigme néolibéral européen, l’Union européenne doit désormais s’orienter vers la résilience stratégique, le leadership industriel et la décarbonation. De plus, un obstacle supplémentaire s’est ajouté à l’application du Green Deal avec l’adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis qui vise, entre autres, à la mise en œuvre de subventions dans les technologies bas carbone et qui mettrait donc l’Union européenne en difficulté. L’industrie européenne s’en voit en effet menacée pour trois motifs : certaines des mesures de subventions incitent à acheter américain, les entreprises produisant aux États-Unis pourraient bénéficier d’allègements fiscaux et les subventions à la production pourraient conduire à une course aux subventions. Ainsi, en réponse à cet IRA, la Commission européenne a publié le 1e février sa proposition de Green Deal Industrial Plan. Ayant pour but de renforcer la compétitivité industrielle de l’Europe et sa capacité de production pour atteindre progressivement la neutralité climatique, ce plan encourage la décarbonation et l’innovation grâce à des subventions représentant déjà plusieurs milliards d’euros à travers quatre piliers : un environnement réglementaire prévisible et simplifié, un accès plus rapide à un financement suffisant, des compétences renforcées, et un commerce ouvert pour des chaînes d’approvisionnement résilientes.

Pourtant affiché comme une réponse aux plans d’investissements américain et japonais, le plan n’a pas suscité de réaction homogène parmi l’ensemble des acteurs concernés. Le Parti populaire européen, Renew Europe et les Verts regrettent la présentation tardive du projet et espèrent qu’il permettra de stimuler la compétitivité de l’industrie européenne de manière efficace et effective. Le parti S&D est plus critique en affirmant que le Green Deal Industrial Plan n’est pas à la hauteur des ambitions américaines. Les États membres, de façon générale, ont souligné la proposition qui favorise le «Made in Europe». Toutefois, les ONG à dimension environnementale craignent que ce plan soit plus un programme d’aide à l’industrie qu’un programme global pour une industrie durable.

Tableau comparant le Green Deal Industrial Plan européen aux plans américains et japonais.

En tous les cas, face au choc qu’a représenté l’annonce de l’IRA parmi les 27, il était nécessaire pour la Commission européenne d’afficher une position ferme, au risque de voir les usines de fabrication de technologies propres s’installer aux États-Unis plutôt que sur le sol européen. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’a expliqué en ces termes : «Nous avons une occasion unique de montrer l’exemple avec célérité, ambition et détermination, pour garantir l’avance industrielle de l’UE dans le secteur en pleine croissance des technologies à zéro émission nette. L’Europe est déterminée à jouer un rôle moteur dans la révolution des technologies propres. Grâce à un encadrement simplifié, il sera plus facile pour nos entreprises de transformer les compétences en emplois de qualité, et l’innovation technologique en production à grande échelle. Un meilleur accès au financement permettra à nos principales industries de technologies propres de se développer rapidement». 

Une nécessaire coopération des partenaires extérieurs

L’UE est dépendante de ses partenaires extérieurs pour son énergie. Dès lors, il est impossible d’envisager une séparation parfaitement hermétique entre l’application du Pacte Vert dans les frontières de l’Union, et les relations extérieures de cette dernière. De fait, les nouvelles politiques environnementales supposent une coopération renforcée avec les partenaires actuels de Bruxelles. La guerre en Ukraine a révélé l’interconnexion profonde qui caractérise le système énergétique mondial, un produit direct de la mondialisation contemporaine.

Avec pour objectif la neutralité carbone d’ici 2050, l’Europe ne pourra pas continuer à exploiter les énergies fossiles au même rythme qu’actuellement. La Norvège, bien qu’elle ne fasse pas partie du marché commun, représente le plus grand producteur européen d’hydrocarbures. En 2018, 7,2% du pétrole consommé par l’Union provenait de Norvège, ce qui en fait un de ses principaux partenaires économiques. Oslo constitue ainsi un allié stratégique doublé d’un fournisseur crucial, notamment via l’oléoduc Europipe II. Ce dernier, opérationnel depuis 1999, est directement relié au reste de l’Union via l’Allemagne ; Berlin a importé depuis la Norvège, en décembre 2022, 40% de son gaz. En parallèle, l’oléoduc BalticPipe est actuellement en construction, et devrait relier la Pologne, la Suède et le Danemark à ce réseau gazier dans les prochaines années. 

Carte des oléoducs Europipe II et BalticPipe, reliant l’Europe du nord à la Norvège.

Malgré les avantages économiques que représentent de telles ventes, la Norvège est aussi un des pays les plus moteurs en matière de renouvelable. Près de 98% de son électricité est produite par des énergies vertes, la consommation de pétrole et de gaz étant généralement limités aux secteurs du transport et de l’industrie. Le pays représente un exemple que bon nombre de nations européennes aspirent à suivre, et la coopération norvégienne semble être une excellente piste à suivre pour favoriser la décarbonation.

Si l’on revient au cas allemand, le pays s’est engagé à ce que 80% de son électricité soit produite par des énergies renouvelables d’ici 2030. Berlin ne pourra alors pas continuer à importer du gaz éternellement via son allié nordique ; c’est pourquoi les deux pays cherchent actuellement des alternatives. Depuis quelques années, Oslo promeut l’utilisation de l’hydrogène, et l’exploitation des étendues maritimes (avec le secteur hydraulique, ou l’installation d’éoliennes offshore), ce qui n’a pas échappé à ses voisins. Le 5 janvier 2023, une déclaration conjointe entre allemands et norvégiens a annoncé une volonté commune de développer des infrastructures d’acheminement d’hydrogène. Cela favorisera une sortie progressive du gaz. En outre, le 17 février 2023, les groupes industriels Equinor et EnBW (respectivement norvégien et allemand) ont annoncé le début d’un projet de parc éolien offshore, déployé en mer Baltique. En définitive, l’Europe peut compter sur certains de ses partenaires principaux pour favoriser le développement d’un bouquet énergétique plus respectueux de l’environnement.

Certaines nations adoptent cependant une posture plus nuancée. L’exemple de la Chine est très important : cette dernière représentait, en 2021, un quart des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, mais a annoncé son intention d’attendre la neutralité carbone d’ici 2060, soit 10 ans après l’UE. 

La coopération avec les partenaires pourrait d’ailleurs connaître plusieurs formes. L’exemple de la Chine est très important : cette dernière représentait, en 2021, un quart des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, mais a annoncé son intention d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, soit 10 ans après l’UE. Face à des objectifs similaires mais aux feuilles de route différentes, les relations commerciales entre ces deux pôles de la Triade seront inévitablement impactées par les politiques environnementales en vigueur. Entre 2018 et 2021, la majorité des investissements européens en Chine se concentraient sur des secteurs particulièrement émetteurs de carbone : citons parmi ceux-ci l’automobile (31% des investissements), l’agroalimentaire et sa distribution (14%) ou encore l’industrie chimique (9%). Au fur et à mesure que les législations climatiques entreront en vigueur, les entreprises de l’UE seront, à l’aide de taxes ou d’interdiction, découragées à investir dans les industries polluantes à l’étranger. Cependant, Beijing est aussi le premier producteur mondial de véhicules électriques, dont l’UE aimerait démocratiser l’utilisation. Ainsi, dans les prochaines années, tel le cas norvégien, la Chine va modifier la nature de ses échanges commerciaux avec l’Europe, notamment dans le secteur automobile, offrant une meilleure place à la production électrique.

Mais pour les autres secteurs industriels chinois que les nations du vieux continuent de financer, le Pacte Vert pourrait potentiellement représenter un problème. Ce dernier ne fera d’ailleurs que s’accentuer, au fur et à mesure que ces mêmes Etats vont délaisser les énergies fossiles. Il en va de même pour les Etats-Unis, dont les exportations transatlantiques de GNL ont grandement augmenté au cours de l’année 2022, compensant le manque à gagner russe. Si l’administration Biden a, depuis deux ans, réintégré les accords de Paris, démocrates et républicains demeurent divisés sur les mesures à adopter pour contrôler les effets du changement climatique. Il n’est pas impossible, qu’à la suite de futures élections, un Pacte Vert Américain ne soit mis en place (comme le suggère la Parlementaire Alexandria Occasio-Cortez) : ou au contraire, qu’un nouveau gouvernement ne décide de revenir sur les engagements climatiques pris par Washington. Dans les deux cas, les changements de politiques auraient un réel impact sur les rapports avec l’UE, quatrième partenaire commercial de Washington, prouvant par là même l’importance des partenaires extérieurs pour la question énergétique. 

 

La question des relations extérieures

La restructuration des relations avec les fournisseurs de combustibles fossiles

La question du Pacte Vert devient centrale dans les rapports étrangers de l’UE, étant donné la dépendance des 27 aux exploitations fossiles d’autres Etats. Selon le cabinet de conseil Cambridge Econometrics, en 2018, 96% du pétrole utilisé dans l’Union était importé par cette dernière, et est consommé aux deux tiers par le secteur des transports. Toujours selon la même source et les données de la Commission, les trois principaux pays fournissant du pétrole à l’Europe sont la Russie (30% environ en 2018), l’Irak (9%) et l’Arabie Saoudite (7,5%). Cependant, il s’agit d’estimations globales ; la réalité varie grandement d’un État à l’autre. Les anciennes républiques du bloc de l’Est (Slovaquie, Hongrie, Bulgarie, par exemple) sont beaucoup plus dépendantes des importations russes que ne le sont la France et l’Espagne, qui importent leurs ressources principalement depuis l’Afrique. D’ailleurs, la relation franco-algérienne s’appuie fortement sur ces échanges énergétiques, Alger fournissant près de 9% du gaz naturel consommé dans l’Hexagone.

Ainsi, bien que des tendances générales se dégagent, les dépendances ne sont pas toujours de la même nature, les Etats-membres de l’UE étant par définition très différents les uns des autres. Entre les bouquets énergétiques de Malte et de la Suède, en 2019, deux tableaux très différents nous sont offerts : La Valette n’utilisait que 8,2% d’énergies renouvelables dans sa consommation totale, et reposait principalement sur les importations de ressources fossiles pour faire fonctionner son économie. Sa géographie insulaire la force ainsi à effectuer des sacrifices plus grands que la Suède, dont la balance énergétique penche bien plus en faveur des productions bas carbone. Avec une part de renouvelables atteignant les 54,6% à la signature du Green Deal, Stockholm est l’État le plus avancé dans sa transition verte. Les efforts que Malte devra fournir seront, proportionnellement, beaucoup plus importants que la Suède sur le long terme.

La transition énergétique va, dans les prochaines décennies, bouleverser les rapports entre l’Europe et ses principaux fournisseurs d’énergie fossile. Pour de nombreux Etats producteurs d’hydrocarbures, l’UE représente un marché conséquent (20% de toutes les importations globales de pétrole, en 2019), dont la perte risque d’engendrer des conséquences économiques importantes. Les pays africains ont exporté, l’année de signature du Green Deal, plus de 840 millions de barils de pétrole brut à leurs voisins outre-Méditerranée : il s’agit donc de transactions représentant plusieurs dizaines de milliards de dollars de bénéfices, auxquels l’Afrique tient. De même, les pays de l’OPEP, qui fournissent abondamment le marché européen, pourraient être tentés d’équilibrer la perte européenne en baissant leurs prix, afin de récupérer les marchés des nations les moins industrialisées. La présence de cette organisation à la semaine de l’énergie africaine, en 2021, n’est peut-être pas un hasard ; face à la perte d’un de leurs plus gros clients, les producteurs d’hydrocarbures n’ont d’autre choix que de se tourner vers de nouveaux acheteurs, à qui faire parvenir leurs stocks.

Néanmoins, il est important de rappeler que l’Europe ne peut et ne compte pas fonctionner en circuit fermé ; certes, les importations de pétrole et de gaz en provenance de l’Afrique vont diminuer dans les prochaines années. Toutefois, cela ouvrira la voie à de nouveaux échanges commerciaux avec le continent. En octobre 2022, un accord provisoire entre Bruxelles et la Namibie avait été discuté, sur la thématique des terres rares vitales pour l’exploitation des énergies renouvelables. Le continent africain étant riche dans ces minerais précieux (utilisés notamment dans la fabrication des panneaux photovoltaïques), il s’agit d’une opportunité de remplacer les investissements dans les énergies fossiles par des projets plus verts. Sur le long terme, l’Union Africaine pourrait même envisager d’emboîter le pas aux nations européennes, en se servant des investissements étrangers pour financer leur propre transition.

Tableau de présentation des sources de pétrole brut importé dans l’UE.

La guerre en Ukraine, facteur d’accélération du Green Deal en Europe

Le conflit ukrainien est, à tous égards, un des catalyseurs justifiant l’adoption des mesures contenues dans le Green Deal. Souvent, cet accord est associé à des questions purement écologiques et économiques, visant à encourager une transition du fossile vers le renouvelable. En réalité, l’accord vise aussi à diversifier les sources d’énergie utilisées par l’Union, afin de réduire la dépendance des Etats-membres envers des pays tiers. Avant l’invasion du 24 février 2022, la Russie était le premier approvisionneur de gaz et de pétrole pour la plupart des PECO. Alors même que le Pacte Vert débutait son application, à partir de 2021, la Russie exportait 155 milliards de mètres cubes aux 27 Etats-membres ; cela représente l’équivalent de 45% du gaz naturel importé dans l’UE, selon l’Agence Internationale de l’Energie, et 40% de la consommation totale de gaz en Europe. Avec les problèmes de livraisons d’hydrocarbures provoqués par le conflit ukrainien, le prix des hydrocarbures russes a grandement chuté, entraînant une perte d’environ 160 millions d’euros par jour pour Moscou. Le think tank CREA (Centre for Research on Energy and Clean Air) précise que les pertes commerciales russes les ont poussé à se tourner, dans les derniers mois, vers d’autres partenaires : le Japon a, de fait, remplacé les Etats européens à la première place des importations de GNL en provenance de la Russie.

Les conséquences de telles privations, dans les États-membres, ont varié en intensité. Le laboratoire universitaire EconomiX (affilié à l’Université de Paris-Nanterre) avait mesuré, dans une étude, le degré de dépendance des nations du vieux continent au gaz russe. L’Espagne, le Portugal ou encore l’Irlande, géographiquement et économiquement éloignés de Moscou, n’ont pas été impactés de la même manière que les Etats de l’est. Les pays baltes, par exemple, dont le secteur gazier était virtuellement indissociable des exploitations de leur ancien allié, ont dû restructurer toute leur consommation à partir du 1er avril 2022, date à laquelle les importations de GNL ont cessé.

La Tchéquie, qui avait pourtant entamé un éloignement vis-à-vis de la Russie, est un très bon exemple des conséquences de la crise énergétique pour les Etats importateurs de gaz. L’alimentation tchèque en énergie passait principalement via l’oléoduc Droujba, construit dans les années 60 par les soviétiques : son but était de connecter les réseaux d’approvisionnement des Etats européens membres du Comecon, assurant donc une forme de dépendance énergétique envers Moscou. Toujours en activité aujourd’hui (bien qu’avec des livraisons réduites), l’oléoduc dispose d’une terminaison à Litvinov, dans le nord de la Tchéquie, qui reçoit ses livraisons par la Slovaquie. Cette liaison lui livrait près de 87% de son gaz naturel.

Or, depuis le début des hostilités en Ukraine, les livraisons ont été grandement amoindries, en réponse aux sanctions décidées par Bruxelles. Désormais, le gaz russe ne représente plus que 3 ou 4% de la consommation de Prague, selon Euractiv. Cela a poussé le groupe industriel tchèque ČEZ (České energetické závody), ainsi que deux autres compagnies allemandes, à porter plainte contre l’entreprise Gazprom pour violation de contrat ; des compensations économiques, à hauteur de plusieurs millions d’euros, sont demandées afin de compenser le dommage subi par l’arrêt des livraisons de gaz. En parallèle, la République Tchèque a connu une inflation record dans la seconde moitié de 2022, atteignant les 17,5% en août 2022. Cela l’a poussé à recommencer l’utilisation du charbon brun dans son mix énergétique, alors qu’elle envisageait pourtant une sortie totale de cette énergie d’ici le 1er janvier 2033. S’il n’est bien entendu pas dit que la crise actuelle retarde cette volonté d’abandonner les énergies les plus polluantes, elle prouve néanmoins que des facteurs extérieurs peuvent jouer un rôle dans l’évolution du Green Deal, en mal comme en bien.

Carte du réseau de l’oléoduc Droujba, qui alimente les anciennes républiques socialistes en hydrocarbures.

En effet, les conséquences énergétiques du conflit ukrainien ont révélé un autre enjeu majeur des politiques européennes, à savoir la dépendance aux ressources provenant de partenaires instables. Si les 27 Etats-membres ont déjà entamé, depuis plusieurs années, une réduction de la dépendance aux hydrocarbures russes, la fin des importations a grandement aggravé la crise énergétique, qui avait débuté un an avant l’invasion de l’Ukraine. La concentration de la dépendance sur un Etat en particulier est donc un problème que Bruxelles désire résoudre, en diversifiant ses partenaires à l’échelle mondiale. Afin de garantir une meilleure sécurité d’approvisionnement, et une stabilité permanente en matière d’énergie, la solution serait donc de trouver de nouveaux fournisseurs à qui acheter les ressources nécessaires au bon fonctionnement de l’énergie européenne. 

Vers de nouveaux partenariats extérieurs ?

Le 18 mai 2022, la Commission Européenne a exposé son plan REPowerEU, qui se présente comme un véritable plan d’action afin de s’affranchir des importations d’énergies fossiles russes. Parmi les thématiques abordées par ce plan, l’une d’elles consiste en une liste de partenaires avec lesquels travailler sur le sujet de l’énergie. Si certains Etats sont déjà de grands alliés de Bruxelles (Norvège, Asie de l’Est, Etats-Unis), d’autres représentent de nouveaux potentiels pour des coopérations à développer.

Sur le sujet des énergies fossiles, quelques partenariats à renforcer ou à développer sont étudiés par la Commission. Le plus important d’entre eux est le corridor gazier sud-européen, un projet mis en place depuis 2020, et qui représente une alternative sérieuse afin de réduire la dépendance envers Moscou. En partance de l’Azerbaïdjan (pays moteur en matière d’exportation d’hydrocarbures) et transitant par la Géorgie puis la Turquie, ce réseau de trois oléoducs a exporté 12 milliards de mètres cubes de gaz, en 2022 (soit un bond de 30% par rapport à 2021). L’objectif serait désormais d’élever le degré d’importation à 20 milliards de mètres cubes par an, d’ici 2027 ; si cela ne peut bien entendu pas couvrir toute la consommation européenne, il s’agit d’un potentiel que les Etats ont bien identifié, et qu’ils souhaitent réellement exploiter.

Carte du corridor gazier sud-européen, reliant l’Azerbaïdjan à la Grèce via un réseau de trois gazoducs, contournant la Russie.

En plus de ce partenariat avec les Etats du Caucase, l’Union se tourne vers de nouveaux accords proche-orientaux pour ses énergies fossiles. Le 15 juin 2022, un mémorandum conjoint était signé entre Bruxelles, l’Egypte et Israël au Caire ; parmi les promesses de ce mémorandum, on retrouve de futures discussions autour de la coopération pour le gaz naturel et l’hydrogène. Les deux pays concernés faisant partie du Forum Est-Méditerranéen pour le Gaz (où l’UE fait office d’observateur), des projets d’acheminement énergétiques pourraient être envisagés dans les années à venir, où l’approvisionnement passerait alors par Chypre ou la Grèce. Ces programmes ne seraient pas, précisons-le, uniquement concentrés sur la question du gaz, l’hydrogène étant tout autant avancée par le mémorandum. L’énergie verte demeure aussi une priorité, qui est prise en compte par les décideurs politiques européens.

Cependant, d’autres aires géographiques concentrent des problématiques bien particulières, qui pourraient avoir une influence sur l’application du Pacte Vert européen. L’Afrique est, dans sa globalité, un continent très important pour l’énergie des 27 Etats-membres. Le Sahara dispose d’un potentiel solaire et éolien extrêmement important, et l’Europe entretient un dialogue permanent avec les nations d’Afrique du Nord sur ces questions. Des initiatives de liaisons câblières reliant l’Egypte à la Grèce, la Tunisie à l’Italie, ou encore le Maroc à l’Espagne ont toutes été envisagées, et présentent des avantages pour les deux continents. En effet, la Banque Mondiale rappelle que le Maroc est dépendant à plus de 90% des importations pour son fonctionnement énergétique ; la construction de centrales solaires lui permettrait d’inverser cette tendance, et de se mettre à exporter sa propre production. De plus, l’Europe a intensifié ses investissements vers l’Afrique sub-saharienne, toujours dans cet objectif de s’affranchir de l’influence russe.

Malgré les avantages de ces programmes, une partie du continent ne voit pas forcément d’un très bon œil la présence européenne dans la région. 45% de la population nigérienne n’a pas accès à l’électricité, et pourtant, le pays est le plus grand exportateur de pétrole pour la péninsule ibérique. De même, l’exploitation du Sahara à des fins énergétiques suppose des déplacements de population, des aménagements en profondeur du territoire, qui ne bénéficieront pas forcément directement aux communautés locales. Enfin, la question des infrastructures reste particulièrement importante ; quand bien même l’Afrique parviendrait à alimenter l’Europe en énergie, comment acheminer le gaz, le pétrole, ou l’uranium sur une aussi grande distance, tout en maintenant des prix abordables ? Cela implique des investissements, et le déploiement d’infrastructures qui, en raison de la géographie africaine et du nombre d’acteurs impliqués, pourraient ne pas voir le jour avant de nombreuses années.

Dès lors, si l’Afrique est et restera un partenaire privilégié de l’Europe sur la question énergétique, il faut garder à l’esprit les limites de cette approche. L’UE doit mobiliser des investissements responsables chez ses partenaires extérieurs, et favoriser leur transition verte autant que la sienne. Comme pour tous ses accords ayant une portée environnementale, il n’existe ni solution unique, ni pays parfaitement adapté pour devenir l’allié principal de Bruxelles. Il s’agit d’un jeu d’équilibre et de prospection, qui doit prendre en compte les effets à court comme à long terme des politiques environnementales. 

Conclusion

Dans une communication officielle de la Commission Européenne, publiée le 11 décembre 2019, Ursula von der Leyen commentait le Pacte Vert en ces termes : « C’est une stratégie pour la croissance qui redistribue plus qu’elle ne prend. Et nous voulons que les choses soient vraiment différentes. Nous voulons être les pionniers des industries respectueuses du climat, des technologies propres, de la finance verte. Mais nous devons aussi nous assurer que personne ne soit laissé derrière. »

Ces mots décrivent parfaitement tous les enjeux de l’application du Pacte Vert. Les 27 Etats-membres de l’Union font face à des défis environnementaux, économiques et sociaux très variés, mais tous ont accepté de travailler ensemble pour limiter les effets du réchauffement climatique. Les trois pays occupant tour à tour la présidence de l’UE, entre le 1er janvier 2022 et le 30 juin 2023, sont de bons exemples de cette variété de contraintes et de succès, qui se rejoignent néanmoins tous par la volonté commune d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Certains Etats rencontrent des difficultés, auxquelles ils devront faire face pour toute la durée de leur transition énergétique. La crise du COVID-19, ou encore celle ayant été accélérée par l’invasion russe de l’Ukraine, ont révélé des vulnérabilités plus profondes au sein de chaque membre de l’Union : dépendance énergétique, retard sur les énergies renouvelables, et autres difficultés socio-économiques sont autant de paramètres nationaux qui, mis ensemble, menacent la cohésion européenne en matière de climat. Sans coopération interne et mise en place d’outils compréhensifs (tels que le Green Deal Industrial Plan) capables d’engager des efforts communs, c’est tout le processus de développement durable qui se trouve remis en question.

En définitive, le Pacte Vert ne marchera que si l’UE parvient à faire face à ses défis, qu’ils soient de nature institutionnels, économiques, ou encore diplomatiques. Pour cela, elle devra renforcer la solidarité entre les pays, tout en garantissant ses liens avec ses partenaires extérieurs fiables. Comme tous les accomplissements précédemment atteints par l’UE, celui de la transition verte sera, avant toute autre chose, le fruit d’une volonté et d’efforts communs, fournis par des États unis dans un intérêt global de sauvegarde de l’environnement et de développement durable. 

 

Bibliographie

 

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