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Nowruz : symbole d’un retour aux sources pour les anciennes républiques socialistes soviétiques d’Asie centrale ?

Nowruz

Nowruz est une célébration issue des pratiques Zoroastriennes, religion préislamique implantée dans les régions allant de l’Iran à la Mer d’Aral (Ouzbékistan), ainsi qu’en Afghanistan, toujours pratiquée de nos jours entre le 20 et le 22 mars, au moment de l’équinoxe de printemps. Bien que l’Islam prédomine actuellement dans ces régions du monde, la fête de Nowruz apparaît comme l’un des rares vestiges du Zoroastrisme, encore largement célébré de nos jours dans les anciennes régions où se pratiquait cette religion. 

Bien que trouvant ses origines dans des traditions religieuses anciennes tombées dans l’oubli, cette célébration se verra interdite par le pouvoir soviétique dès 1937 des suites d’une vaste campagne anti-religieuse. Du fait de son caractère davantage traditionnel que religieux, certaines républiques socialistes soviétiques célébraient cette fête de façon non-officielle, notamment en Azerbaïdjan, au Turkménistan, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan et au Tadjikistan. Il faut attendre la Perestroïka en 1985 pour que Nowruz soit de nouveau célébrée en tant que fête officielle, puis 2016 pour qu’elle soit inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Ainsi, de nombreux marqueurs identitaires propres aux civilisations centrasiatiques ont été remaniés voire supprimés par les politiques soviétiques, au même titre que Nowruz. Depuis la chute de l’URSS, certaines républiques centrasiatiques se sont retrouvées presque sans repères culturels ni identitaires, les poussant à reconstruire de toute pièce un récit national. La fête de Nowruz est-elle un symbole de cette volonté de s’émanciper du narratif historique soviétique pour les actuelles républiques centrasiatiques ?

Nowruz : à la croisée des civilisations 

D’un point de vue civilisationnel, Nowruz n’a pas de frontière. En effet, bien qu’originellement issue d’une religion persane, cette fête est célébrée en Asie centrale aussi bien au sein d’ethnies de langue turcique (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan et Turkménistan), que de langue persane (Tadjikistan), aussi bien nomades que sédentarisées. Il est toutefois nécessaire de garder à l’esprit que les frontières physiques ne tiennent pas compte de la répartition ethnique des populations, de ce fait, on retrouve des populations persanophones dans des régions de langues turciques et inversement. La route de la soie ayant permis de nombreux échanges culturels et religieux et non seulement économiques, de nombreuses traces du Zoroastrisme ont été retrouvées dans la région, notamment au Kirghizstan. Durant le processus d’islamisation de ces territoires dès le VIIIème siècle à la suite de la bataille de Talas, les témoignages du passé Zoroastre ont été anéantis, rares sont les traces physiques de son existence dans la région, bien que certaines d’entre elles soient exposées dans les musées historiques nationaux. Comment expliquer qu’un héritage immatériel ait alors survécu à des siècles d’islamisation, puis de soviétisation ?

Contextualisation du paysage culturel et religieux en Asie centrale

A l’aube du XXIème siècle, les anciennes républiques socialistes soviétiques d’Asie centrale se sont interrogées sur les différentes façon de redéfinir leur culture et surtout sur les influences culturelles antérieures prédominantes à conserver ou non. Il faut alors remonter à la période soviétique pour mieux comprendre les choix des dirigeants actuels des différentes républiques. Dès les années 1921, le révolutionnaire Mirsäyet Soltangäliev constatait que les peuples nomades tels que les Kirghizes et les Kazakhs étaient bien moins favorables à une pratique stricte de la religion musulmane, à l’inverse des peuples sédentarisés tels que les Ouzbèkes. Cela se ressent encore de nos jours par l’influence de la religion au sein des différents Etats, sans surprise, c’est en Ouzbékistan que l’on retrouve l’une des plus grande activité religieuse dans l’espace public. Puisqu’il s’agit de mettre de côté les influences russes mais surtout soviétiques afin de prendre un nouveau départ, les républiques centre asiatiques cèdent à des influences externes de pays avec lesquels elles retrouvent des marqueurs identitaires communs comme la religion. Nous retrouvons alors deux acteurs : la Turquie, officiellement laïque mais dont la majorité de la population est sunnite, et la République Islamique d’Iran, à majorité chiite. A la fin de l’URSS, l’influence de l’Iran dans la région n’a en réalité été que minime, c’est essentiellement au Tadjikistan que l’on observe une relative activité religieuse chiite influencée par l’Iran. En revanche, la Turquie a su accroître son softpower de manière extrêmement efficace encore de nos jours au Kazakhstan, Kirghizstan et en Ouzbékistan notamment, aussi bien culturellement que du point de vue religieux. Ainsi, bien que demeurant laïques, ces républiques sont largement influencées par la Turquie dans leurs pratiques culturelles et religieuses. Toutefois, les pays de tradition nomade tendent à contrebalancer cette influence culturelle turque afin de préserver les rites et traditions liés au nomadisme tel que le Jailoo (à l’été, les Kirghizes se déplacent dans les montagnes pour les pâturages). De même, c’est surtout au Kirghizstan et au Kazakhstan que certaines traditions anciennes ressurgissent notamment avec la relative montée en popularité du tengrisme et du chamanisme, propres aux populations nomades de langues turciques. Nowruz semble ainsi s’inscrire dans la catégorie des pratiques culturelles et religieuses permettant de rassembler les populations autour de racines ancestrales communes.

Nowruz : un symbole universel

Si la disparition de l’URSS a certes laissé un grand vide aux yeux de nombreuses personnes en Asie centrale, il n’en reste pas moins que l’on assiste à un effacement des influences soviétiques au profit d’un renouement avec des traditions plus anciennes encore. Nowruz véhicule pourtant un message en réalité universel : l’arrivée du printemps, le renouveau de la nature, la paix etc. Ces valeurs, on les retrouve dans de très nombreuses cérémonies et traditions, qu’elles soient chrétiennes (Pâques symbolisant le passage de la mort à la vie, début avril), hindoues (Holi ou la fête des couleurs symbolisant la paix et l’amour, début mars) ou encore japonaises (Shunbun no Hi, célébrant l’arrivée du printemps le 21 mars). De même, la caractère universel de Nowruz est accentué par la grande étendue des territoires où elle est célébrée. Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’adresse à la nation mais aussi aux autres pays célébrant Nowruz chaque année : « Je tiens à célébrer la Journée internationale du Nowruz, avant-coureur du printemps et symbole de la paix et de la fraternité », (discours du 21 mars 2021).

Le caractère international de la fête de Nowruz souligné par le président turc permet de véritablement rassembler des populations pourtant divisées puisqu’elle met de côté les différences ethniques et les divergences concernant les diverses branches de la religion musulmane. En somme, malgré les persécutions qui menèrent les adeptes du Zoroastrisme à se convertir à l’Islam, le symbole que représentait Nowruz a permis à cette célébration de garder son importance au fil des siècles. En Asie centrale, l’accent est souvent mis sur l’importance de l’Ummah, c’est-à-dire l’unité de la communauté musulmane indépendamment de l’appartenance ethnique ou autre. Bien que n’étant pas une fête musulmane, Nowruz fait paradoxalement office de lien entre ces communautés.

Court témoignage du déroulé de la fête de Nooruz à Bichkek, le 21 mars 2022

Accompagné d’une galerie de portraits immortalisés à la fin des festivités

        « Dix heures du matin en plein cœur de la capitale kirghize sur la place Ala-too sont alignés des centaines de passants, tous venus assister au traditionnel spectacle de Nooruz. Un manaschi récite les vers de l’épopée de Manas, accompagné d’un komuz. Se tiennent derrière lui des dizaines d’artistes prêts à débuter leurs performances. Des écrans gigantesques sont dressés afin de permettre à la foule d’entrevoir une partie des festivités. Les invités de marque, les hauts-fonctionnaires d’Etat, les diplomates, les journalistes mais aussi et surtout les Aksakal coiffés de kalpaks et leurs femmes portant le traditionnel elechek sont confortablement installés sur le devant de la place face aux artistes. La cérémonie débute par des danses folkloriques, et se poursuivra plus de deux heures durant afin de dévoiler une partie des richesses du patrimoine culturel kirghize. Derrière la place sont regroupés les vendeurs de somoluk, spécialité culinaire répandue dans toute l’Asie centrale à base de blé préparée à l’occasion de Nowruz. De là-bas, on aperçoit le décor se résumant alors à de grandes affiches colorées, masquant difficilement le gris terne du béton de l’architecture soviétique. Pourtant, la place semble gaie : des plus petits au plus grands, chacun a fait l’effort de revêtir un habit traditionnel pour l’occasion, kalpaks, hijabs, fichus, tous plus colorés les uns que les autres. Des familles entières se regroupent une fois les festivités terminées afin de partager le traditionnel repas de Nowruz, mais avant toute chose, chacun prend le temps de se laisser photographier fièrement par les photographes et journalistes venus spécialement pour l’évènement. »

 

               

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