РусскийFrançaisEnglish
  
     
         
Blog

L’évolution du concept d’oligarque dans la Russie post-soviétique

«J’ai commencé ma carrière à un moment particulier dans l’histoire. Le pays dans lequel j’étais né et où j’avais grandi avait disparu, mais ce nouveau pays n’était pas encore tout à fait créé. Le premier m’a donné une excellente éducation, et le second m’a donné l’opportunité de réussir»[1].

Cette déclaration de l’oligarque Oleg Deripaska lors d’une interview donnée au journal Bloomberg est la plus originale et élégante des introductions pour notre sujet. 

En effet, cet article est un petit échantillon d’un travail de recherche beaucoup plus conséquent. Nous allons ici aborder l’évolution du concept d’oligarque dans le contexte socio-culturel russe de l’après URSS. Le cadre chronologique le plus cohérent pour notre recherche est la période 1990’-2014. 

L’axe de recherche se concentre sur l’origine puis l’accélération du processus de capture de l’État lors des enchères «prêts contre actions» (zalogovye). Nous abordons également le supposé «accord šaščlyk» dit «accord de distanciation réciproque» introduit par Vladimir Poutine dans les années 2000 qui affirme «l’État prédateur» afin d’aboutir à une analyse historico-politique cohérente du contexte russe.

Notre cheval de bataille est donc d’expliquer concrètement qui sont les oligarques, d’où viennent-ils, comment ont-ils construit puis structuré leurs puissances, et enfin comment ont-ils pris le virage du 21e siècle (synonyme en Russie d’affirmation de la figure forte de Vladimir Poutine et de l’État prédateur).

L’oligarque ou du moins celui qui sera amené à être appelé ainsi bien des années plus tard émerge d’un contexte singulier. L’émergence de l’oligarque dans notre contexte est donc le résultat d’un «appel d’air» décrit avec justesse par le journaliste Andrey Kinyakin «la libération de l’économie intervenue sous la forme de privatisations massives sous Boris Eltsine a eu pour conséquence l’émergence et l’établissement d’une élite économique russe : l’Oligarchie»[2].

Une fois au pouvoir, le président Boris Eltsine enclenche un processus progressif de privatisation de l’économie russe. Il est à ce moment-là question de démembrer l’ancien géant soviétique afin de libéraliser l’économie et pouvoir rentrer de plein pied dans une économie de marché. La libéralisation coûte très cher, ajoutés aux crédits octroyés par la banque centrale, l’inflation du pays est supérieure à 100% par an. Néanmoins, pendant cette période, le gouvernement garde le cap de la privatisation. Dès 1992, l’État cède les petits commerces ainsi que les entreprises de taille moyenne dans un processus de privatisation de masse afin d’éviter que ces derniers ne se retrouvent dans les mains d’investisseurs étrangers pour des prix dérisoires.

Ces stratégies économiques mises en place par le gouvernement ont rapidement fait sortir du bois des individualités fortes qui anticipent la formidable opportunité que représente la privatisation de l’économie russe afin de capter une partie du pouvoir étatique.

D’une volonté d’acquérir une sécurité financière à bas prix par l’opportunité des privatisations, les futurs oligarques réalisent peu à peu une réelle capture économique de l’Etat. L’affirmation de ce processus de capture «intervint entre 1993 et 1995, lors d’enchères baptisées “prêts contre actions”. Organisées dans le cadre du programme de privatisation, elles étaient également destinées à combler les déficits du budget fédéral»[3]. Ces enchères «zalogovye» (qui prennent la suite des privatisations de masses) visaient à mettre en gage les grosses entreprises contre des fonds permettant d’équilibrer l’économie nationale le temps que celui-ci puisse se restructurer et rembourser ses emprunts, afin de récupérer ses entreprises. Nous pouvons pour illustrer notre propos, prendre l’exemple concret d’Oleg Deripaska.

Comme nous l’illustre Cédric Durand dans son étude de cas sur la métallurgie russe «les privatisations se sont déroulées selon des modalités qui ont entraîné une expropriation massive de la population et offert à certains acteurs d’acquérir des titres de propriété à moindre coût {et} crée les conditions du développement de pratiques prédatrices conduisant à la constitution de colossales fortunes privées»[4]. Nous pouvons, pour mettre en perspective ce propos, noter qu’en 2002, Oleg Deripaska contrôlait à travers sa société Russkij Aliuminij, environ 70% de la production d’aluminium russe.

A la fin des enchères «prêts contre actions», la capture de l’Etat (du moins sur le plan économique) est indéniable. C’est par la volonté des politiciens réformateurs de rendre les mesures irréversibles et éviter un retour au modèle soviétique que la vitesse des réformes, notamment des privatisations, a primé sur leurs qualités. L’un des exemples les plus marquants des individualités qui ont su utiliser l’opportunité de la privatisation de l’Etat pour s’affirmer en tant que ce que l’on appelle aujourd’hui «oligarque» est Mikhaïl Khodorkovski. Ce dernier est l’illustration même des individus qui, au lendemain du soviétisme, ont su utiliser leurs compétences et leurs intelligences pour saisir les opportunités offertes par la situation, pour non seulement créer une fortune financière mais aussi s’imposer comme une réelle force politique.

Vous devez souscrire à un abonnement EurasiaPeace pour avoir accès au contenu - Prendre votre abonnement
Previous Article

Conflit Abkhazie et Ossétie du sud / Géorgie – Point de situation au 12/05/2023

Next Article

Relations Chine – Asie du Sud-Est – Point de situation au 12/05/2023